Vivre sa religion en milieu minoritaire

On compte au Yukon entre 120 et 130 personnes de confession musulmane. Mais comment vit-on sa religion en contexte minoritaire, et ce en étant francophone?

Driss Harbal, francophone originaire du Maroc, se réjouit de vivre à Whitehorse où il sent qu’il peut vivre librement sa religion.

PHOTO : GWENDOLINE LE BOMIN

Le 29 janvier dernier, le pays marquait la Journée nationale de commémoration de l’attentat à la mosquée de Québec et d’action contre l’islamophobie. Sept ans plus tôt, le Centre culturel islamique de Québec à Sainte-Foy a subi une attaque. Ce jour-là, six personnes ont perdu la vie et 19 autres ont subi des blessures graves.

Dans un communiqué publié le 29 janvier 2024, le premier ministre Ranj Pillai a déclaré que « les Yukonnais et les Yukonnaises doivent impérativement s’unir contre l’islamophobie et réaffirmer leur engagement à bâtir une société où tout un chacun peut pratiquer sa foi librement et sans crainte. L’éducation, la sensibilisation et le dialogue ouvert sont des outils essentiels à l’élimination des préjudices et à la création d’un climat de tolérance ».

Au Yukon

Anna Potvin est née en Ontario. Sa famille s’installe au Yukon lorsqu’elle a neuf ans et elle se convertit à l’islam à seize ans.

Elle raconte n’avoir jamais été victime d’islamophobie ou d’impolitesse à cause du port de son foulard, ou de son appartenance à la communauté musulmane. « Je reçois cependant beaucoup de regards, mais je pense que c’est simplement parce qu’il n’y a pas beaucoup de femmes qui portent le hijab en ville et que les gens sont simplement curieux », estime-t-elle.

Israr Ahmed, ancien président de la Yukon Muslims Society, va dans le même sens : « Je ne dirais pas qu’il n’y a pas d’islamophobie à Whitehorse, car j’en ai personnellement fait l’expérience avec ma famille. En novembre dernier, un événement de solidarité avec la Palestine a eu lieu. Pendant la marche de solidarité, quelques personnes qui passaient par là ont fait des remarques préjudiciables. Je ne dirais donc pas qu’il n’y a pas d’islamophobie à Whitehorse, mais c’est un nombre très limité de personnes qui sont touchées par cette maladie. En ce qui me concerne, l’expérience a été très positive pour moi depuis trois ans. Heureusement, ce n’est pas une grande préoccupation, jusqu’à présent, à Whitehorse. »

Même son de cloche pour Driss Harbal, coiffeur francophone installé depuis trois ans à Whitehorse. Originaire de Rabat au Maroc, il se dit heureux de vivre dans cette ville. Il se réjouit également de la diversité de la culture musulmane sur le territoire. Beaucoup viennent du Pakistan, de l’Inde, ou encore du Maghreb, précise-t-il.

Anna Potvin est née au Canada. Installée au Yukon depuis son enfance, elle estime ne pas être victime d’islamophobie ou d’impolitesse à cause du port de son foulard. Toutefois, elle relève des regards portés sur son voile.

PHOTO : FOURNIE

Loi 21 au Québec

Depuis 2019 au Québec, la Loi 21 (Loi sur la laïcité de l’État) interdit le port de symboles religieux à toute personne en position d’autorité embauchée après son entrée en vigueur.

Selon Anna Potvin, « le hijab, pour les femmes musulmanes, est une obligation et c’est quelque chose que des millions de femmes aiment porter. Personnellement, j’ai l’impression qu’il s’agit d’une attaque contre les femmes musulmanes. Je trouve que c’est très contrôlant parce que je n’ai jamais rencontré une situation où le foulard que j’enroule autour de ma tête m’a empêchée d’être une bonne personne et une bonne employée. Je pense qu’il est ridicule de dire à une personne ce qu’elle doit ou ne doit pas porter, en particulier un vêtement religieux, car la religion est une chose à laquelle les gens sont très attachés et il ne devrait pas y avoir de conflit sur la question de savoir si je peux ou non porter quelque chose qui fait partie de ma religion ».

Pour Israr Ahmed, « il s’agit d’une loi absolument étroite d’esprit et myope parce qu’elle est en contradiction avec la Charte canadienne des droits qui garantit la liberté de religion, et la liberté de religion est l’une des composantes fondamentales du fondement de ce pays. Dire que l’on ne peut pas porter de symboles ou d’articles religieux dans les institutions publiques va à l’encontre de l’esprit même de la charte […] La beauté de ce pays réside dans le fait que chacun est libre de faire ce qu’il veut dans les limites de la loi, et la loi est là pour régir cette liberté, elle n’est pas là pour la restreindre de manière autocratique ».

Le 31 janvier dernier, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA) a organisé un webinaire sur le thème « Parlons de l’islamophobie dans les communautés francophones et acadienne du Canada ». Une des panélistes, Haweya Farah, a grandi au Québec et habite actuellement en Ontario. Elle se dit « déçue par rapport à cette loi parce qu’elle restreint les gens de vivre leur quotidien alors que c’est leur identité. Le fait de restreindre l’identité des personnes enlève l’inclusion à la communauté. Il y a d’autres problèmes plus importants que de se soucier de l’apparence des personnes », estime-t-elle.

Israr Ahmed, ancien président de la Yukon Muslims Society, milite pour le dialogue entre les différentes communautés.

PHOTO : GWENDOLINE LE BOMIN

Militer pour la tolérance

Au lieu de s’engager dans le conflit, Israr Ahmed promeut l’ouverture : « Beaucoup de ces personnes peuvent avoir une mauvaise opinion des musulmans et de l’islam parce qu’elles ne connaissent pas les musulmans ou l’islam, qu’elles ont des idées erronées qui leur ont été inculquées par des islamophobes, par des médias islamophobes, et c’est pourquoi il est important que vous parliez aux gens. Lorsque vous parlez, lorsque vous raisonnez, lorsque vous montrez aux gens que ce qu’on leur a dit est faux, lorsque vous leur dites la réalité, neuf fois sur dix, j’aime à penser qu’ils acceptent qu’ils se sont trompés pendant tout ce temps. Nous devons prendre ces mesures pour faciliter le dialogue, nous asseoir l’un en face de l’autre et en parler. Nous devons créer cet écosystème […] Nous devons apprendre à tolérer les différences de chacun. » Israr Ahmed a d’ailleurs organisé en novembre dernier une collecte de fonds pour la Palestine avec les communautés juive et chrétienne.

À ce propos, le premier ministre du Yukon a rappelé que « nous devons réitérer notre promesse de prôner une culture d’inclusion, de compréhension et de respect de la diversité. Nous devons activement combattre et démanteler les stéréotypes, les préjugés et la discrimination qui alimentent la haine et l’intolérance ».

IJL – Réseau.Presse – L’Aurore boréale

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  • Date de création 8 février, 2024
  • Dernière mise à jour 8 février, 2024
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