Vers un tourisme autochtone éthique… et francophone

Le tourisme autochtone a connu une croissance exponentielle au cours des cinq dernières années en Alberta, attirant de plus en plus de visiteurs désireux d’explorer l’histoire et les traditions des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Cette vague de popularité incite cependant à la prudence, préviennent des acteurs du milieu. Pour s’assurer de participer à une immersion authentique, les touristes ont avantage à trouver des activités qui ont été conçues et orchestrées par les membres de ces communautés.

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Gabrielle Audet-Michaud

IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO

La question de la «souveraineté narrative» des peuples autochtones est au cœur des préoccupations de Juanita Marois qui dirige le Métis Crossing, un centre d’interprétation culturel situé sur la Victoria Trail, à 10 minutes de Smoky Lake. Selon elle, les Autochtones sont les mieux qualifiés pour raconter leur histoire et devraient jouer un rôle central dans l’expérience touristique.

Lorsqu’elle accueille des visiteurs à son centre, c’est précisément cette vision qu’elle s’efforce de mettre en œuvre. Que ce soit à travers le camping, les ateliers de tissage au doigt, le tir à l’arc ou les dégustations de plats traditionnels, la multitude d’activités proposées garantit aux touristes une expérience immersive et culturellement véridique lors de leur visite. Et ce qui ajoute une touche «encore plus» spéciale, souligne Juanita, c’est que l’équipe qui travaille «sur le terrain» avec les visiteurs est entièrement composée de personnes métisses.

«Je n’ai aucune flexibilité par rapport à cela. De toute façon, les touristes veulent du “vrai”», note-t-elle d’une voix ferme, mais chaleureuse. Elle renchérit en expliquant que Métis Crossing a été «conçu, imaginé et construit» par des membres de son peuple, un aspect qui contribue à leur processus de guérison. «Je le précise toujours, car, contrairement à d’autres initiatives publiques, c’est nous qui gérons le centre et réfléchissons à l’information que l’on souhaite partager. Et les profits nous reviennent entièrement», ajoute-t-elle.

Malgré son appréciation pour le travail de certains alliés, tels que le Indigenous Peoples Experience du Fort Edmonton Park, qui a développé son exposition en consultation avec les nations autochtones, Juanita se questionne sur l’authenticité réelle qui découle des initiatives gouvernementales et allochtones. Elle constate que lorsque les peuples autochtones n’ont pas de contrôle sur l’information qui est partagée avec les touristes, une sorte de musellement a cours et, en conséquence, des distorsions factuelles peuvent survenir.

«Quand nos alliés nous demandent comment ils peuvent mieux raconter nos histoires, je leur dis souvent qu’ils feraient mieux de nous laisser les raconter nous-mêmes. Sinon, ce n’est pas vraiment notre perspective à nous qui est présentée», précise-t-elle.

Touristes à la recherche d’authenticité

Tim Patterson, membre de la Lower Nicola Indian Band (appartenant à la nation Nlaka'pamux) et fondateur de l’entreprise de guides de montagne Zuc’min Guiding, estime, lui aussi, qu'il vaut mieux laisser les Autochtones gérer leurs propres activités touristiques. Il observe d’ailleurs, auprès de sa clientèle, un intérêt croissant pour des «expériences touristiques authentiques et ancrées dans la culture autochtone». Selon lui, les touristes ne veulent plus seulement visiter un musée, mais ils aspirent à apprendre, à expérimenter et à entrer en contact directement avec les membres des Premiers Peuples.

Son entreprise organise justement des randonnées pour permettre à ces touristes de découvrir des paysages à couper le souffle en sa compagnie, l’objectif des excursions étant surtout de les immerger dans les récits, les légendes et les croyances autochtones dans un lieu rassembleur. «Mon espoir, c’est de ne pas seulement leur offrir un produit, une randonnée, mais d’aider les touristes à comprendre les peuples autochtones et de présenter nos connaissances à partir de ce qui nous unit : la nature. Et la demande est bel et bien présente pour ce genre de partage», laisse-t-il entendre.

Pourtant, prévient-il, l’accès à ces expériences touristiques authentiques peut être entravé par la présence de charlatans ou «pretendians» qui usurpent l’identité autochtone à des fins pécuniaires. Pour éviter de tomber dans le piège, Tim suggère aux visiteurs de mener des recherches préalables et de «poser des questions aux entrepreneurs autochtones». «Si les réponses sont floues, qu’on ne sait pas trop à qui reviennent les profits, qu’on ne comprend pas trop qui est propriétaire de l’entreprise, qu’on a des doutes sur l’identité autochtone d’une personne, ça peut vouloir dire qu’on a affaire à un [charlatan]», évoque-t-il.

Le guide de montagne propose également aux touristes de passer par des canaux comme Indigenous Tourism Alberta (ITA) ou l’Association touristique autochtone du Canada (ATAC) qui pourront les guider vers des services dont la qualité et l’authenticité ont été vérifiées. En outre, avec sa nouvelle marque d’excellence L’Original Original, l’ATAC cherche à accréditer des entreprises autochtones pour faciliter les recherches des touristes.

De son côté, l’ITA a récemment bénéficié d’un financement de six millions de dollars sur trois ans de la part de Travel Alberta dans le but de stimuler le développement de nouveaux produits et expériences touristiques authentiques. «[Cela] représente le plus grand investissement dans le tourisme autochtone au pays, ce qui est extraordinaire [...] Si on veut que cette industrie atteigne son plein potentiel, on doit continuer de favoriser les partenariats avec les communautés autochtones et prévoir un financement stable à long terme», écrit un représentant d’ITA.

Surfer sur la vague… en français

Si le tourisme autochtone en anglais est en pleine éclosion dans la province, des acteurs francophones s’efforcent maintenant de développer l’offre en français qui, elle, en est encore à ses balbutiements. Depuis deux ans, le Conseil de développement économique de l’Alberta (CDEA) collabore étroitement avec des partenaires pour combler ce manque, notamment à l’aide de son projet de routes touristiques bilingues qui propose des trajets touristiques sur mesure.

«Pour les deux routes autochtones [qu’on a créées], on a fait des démarches pour trouver des entreprises tenues par des membres des communautés qui offrent, ou qui sont ouverts à l’idée d’offrir, des services en français», explique la gestionnaire des communications et relations publiques, Sandrine Croteau. Selon elle, Métis Crossing et Zuc’min Guiding sont deux entreprises qui ont répondu à cet appel avec enthousiasme.

La première compte se baser sur ses liens étroits avec la francophonie - historiquement, le terme «Métis» s’appliquait aux enfants nés de femmes cries et de commerçants de fourrures français - pour développer de plus en plus de services dans la langue de Molière. Plusieurs membres des communautés métisses «parlent encore le français et on les encourage à travailler au centre», explique d’ailleurs Juanita Marois. La deuxième entreprise offre déjà des services de guide en français aux touristes qui le souhaitent et prévoit maximiser cette offre au cours des années à venir, précise Tim Patterson.

«Ces deux entreprises ont la volonté de s’afficher en français et de reconnaître que la langue française peut être une source de croissance économique pour eux. Il faut comprendre que la clientèle francophone est vraiment friande d’expériences humaines et conscientes», ajoute Sandrine.

  • Nombre de fichiers 7
  • Date de création 27 juillet, 2023
  • Dernière mise à jour 19 juillet, 2023
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