Une toute première stratégie territoriale de gestion de l’alcool

Le GTNO mettra en place quinze mesures d’ici cinq ans pour réduire les méfaits liés à l’alcool, et les collectivités seront parties prenantes.

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Marie-Soleil Desautels

IJL – Réseau.Presse – L’Aquilon

Inciter l’achat de boissons moins alcoolisées en ajustant les prix, encourager la sobriété lors d’évènements, augmenter l’offre d’activités récréatives ou offrir des programmes éducatifs sur l’alcool et les drogues plus tôt à l’école ne sont que quelques-unes des quinze mesures de la toute première stratégie territoriale de gestion de l’alcool pour les Territoires du Nord-Ouest. L’objectif du gouvernement : réduire les méfaits liés à l’alcool et améliorer le bienêtre et la santé de la population. Et les collectivités, qui sont appelées à se prononcer sur les mesures susceptibles de les aider, sont au cœur de cette stratégie.

La ministre de la Santé et des Services sociaux, Julie Green, a présenté la nouvelle stratégie la semaine dernière à l’Assemblée législative. Elle a déclaré être « profondément préoccupée par les méfaits de l’alcool », par ses « effets dévastateurs » et par tous les « problèmes de santé, les problèmes sociaux et les couts économiques » engendrés. Elle s’est dite optimiste que cette stratégie apportera « de nouvelles idées et de nouvelles réponses à notre relation trouble avec l’alcool. »

Le gouvernement territorial planche sur cette stratégie depuis la publication d’un rapport accablant, en 2019, par l’Institut canadien de recherche sur la toxicomanie de l’Université de Victoria. Dans celui-ci, le GTNO avait échoué dans neuf des onze catégories utilisées pour évaluer les politiques canadiennes sur l’alcool ; l’Institut a alors recommandé au gouvernement de se doter d’une stratégie. Les conséquences de la consommation d’alcool aux Territoires du Nord-Ouest, qu’on parle de maladies, de décès ou de couts, sont parmi les pires du Canada.

Bryany (Bree) Denning, conseillère principale en matière de consommation problématique de substances du ministère de la Santé et ancienne directrice générale de la Yellowknife Women’s Society, a piloté pendant près de trois ans les travaux de ce chantier. « Plusieurs des mesures prévues nécessiteront de collaborer à de nouveaux niveaux », dit-elle lors d’une entrevue virtuelle avec Médias ténois.

 

Miser sur les collectivités

La stratégie de gestion de l’alcool, présentée dans un document d’une trentaine de pages, compte quinze mesures dans cinq catégories : les communications, les politiques, la prévention, la sécurité publique et le traitement. Ces mesures doivent être mises en œuvre d’ici 2028, selon des échéanciers établis, par la Société des alcools et du cannabis des TNO, les trois administrations de santé, ainsi que les ministères de la Santé et des Services sociaux, des Finances, de la Justice, de l’Éducation et de l’Infrastructure.

La stratégie a notamment été élaborée grâce à de la recherche, à l’étude de programmes, à des entretiens avec des prestataires de services ou des personnes ayant vécu de la dépendance, à des sondages ou à des activités d’échanges avec les jeunes. Un organe consultatif autochtone l’a examinée et commentée comme celle-ci prenait forme et les quinze mesures s’alignent aussi sur les appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation.

Les collectivités sont au premier plan dans la stratégie, afin que les mesures ciblent au mieux leurs besoins. « Nous avons offert une grande marge de manœuvre, car chaque collectivité est différente, affirme Bree Denning. Il n’existe pas de solution unique et nous serons là pour apporter notre soutien là où c’est nécessaire. »

Par exemple, les services de traitement des dépendances et de rétablissement pourraient varier d’une collectivité à une autre. L’une pourrait décider qu’il est prioritaire d’offrir un camp de guérison à proximité, tandis qu’une autre pourrait plutôt mettre l’accent sur des soins de suivi afin de mieux encadrer ses membres qui reviennent après un traitement dans le Sud, donne en exemple la conseillère principale.

Les mesures qui varieront le plus d’une collectivité à une autre devraient être celles liées au traitement, à l’offre de loisirs ou à l’ajout de points de vente d’alcool, une option offerte pour lutter contre la contrebande.

La vente illégale d’alcool est en effet un problème reconnu aux TNO. Comme l’alcool n’est vendu au détail que dans six des 33 collectivités, des individus en profitent pour faire de l’argent en écoulant, généralement, de l’alcool fort à prix élevé. Selon le GTNO, de nouveaux points de vente pourraient permettre aux habitants d’avoir accès à autre chose que des spiritueux et à moindre prix, tout en offrant un certain contrôle. « Les contrebandiers se fichent généralement de l’âge, de l’heure ou de l’état d’ébriété de l’acheteur », expose Bree Denning. Une collectivité pourra choisir le type d’alcool vendu et que n’y soit offert, par exemple, que de la bière. Elle pourra aussi fermer le point de vente après l’avoir ouvert, ce qui n’était pas possible auparavant.

Même les messages sur l’alcool, comme ceux pour décourager la conduite en état d’ébriété ou pour promouvoir les nouvelles directives canadiennes en matière de consommation d’alcool à faible risque, seront adaptés à chaque collectivité. Un nouvel organe interministériel s’en occupera, avec leur collaboration.

Rappelons qu’aucune quantité d’alcool n’est bonne pour la santé, selon le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances qui a partagé en début d’année les nouvelles directives.

« La stratégie pour les TNO s’adresse à tout le monde, affirme sa maitre d’œuvre. Même si la consommation d’une personne n’est pas problématique, elle pourrait mener à des maladies ou à un cancer. Il s’agit donc d’examiner les comportements dans leur ensemble et de faire des choix pour que tout le monde soit en meilleure santé. »

Diminuer la consommation

L’un des objectifs de la stratégie est d’ailleurs d’inciter les gens à acheter des boissons moins alcoolisées en ajustant les prix selon le taux d’alcool. Les études démontrent, peut-on lire dans le document, que les personnes plus à risque, dont les jeunes et les gros buveurs, ont tendance à acheter les boissons alcoolisées les moins dispendieuses. Ainsi, une bière à 2,5 % d’alcool, par exemple, viendra à couter moins cher qu’une bière à 6 %. Même chose pour le vin : une bouteille de 750 ml qui ne contient que quatre verres standards, au lieu de huit pour une autre, sera plus abordable. Les boissons avec moins d’alcool seront ainsi plus économiques.

La stratégie veut aussi établir un prix minimum par verre standard, de quoi mettre fin aux spéciaux qui attirent – encore une fois – surtout les jeunes et les gros buveurs, deux des groupes les plus exposés aux méfaits liés à l’alcool.

Plusieurs mesures de prévention ciblent d’ailleurs les jeunes, que ce soit par l’offre de programmes éducatifs plus tôt dans leur curriculum scolaire ou par l’ajout d’activités pour les distraire.

Tammy Roberts, directrice générale de l’organisme Home Base qui soutient les jeunes à Yellowknife, estime que « la création d’un plus grand nombre d’évènements sobres est très positive ». Son organisme en offre déjà et tant mieux s’il y en a plus, partage-t-elle dans un courriel à Médias ténois. Elle croit aussi que de bonifier les programmes éducatifs et de débuter la sensibilisation à un plus jeune âge « est une excellente idée », mais que, malheureusement, « de nombreux jeunes confrontés à l’alcool ont déjà décroché de l’école ».

« Les jeunes s’ennuient », résume Bree Denning. « Ils ont dit qu’ils voulaient avoir plus d’accès à des loisirs sains, plus d’occasions pour passer du temps avec des adultes en santé, pour s’engager auprès des ainés et pour en apprendre sur leur culture. »

Le financement des activités destinées aux jeunes devrait augmenter dès cet été.

« Les loisirs, c’est la prévention, continue Bree Denning. Il est primordial d’avoir autre chose à faire que de boire de l’alcool et de consommer des drogues. Et ça vaut aussi pour les adultes. »

Comme l’a rappelé la ministre de la Santé, Julie Green, à l’Assemblée législative, « dans de nombres collectivités, il y a peu d’activités sociales qui n’impliquent pas d’alcool » et d’« essayer de devenir sobre et de le rester, c’est se sentir seul. » Il est ainsi suggéré de soutenir les entreprises et les groupes communautaires, dont les revenus dépendent de la vente d’alcool, pour qu’ils offrent des évènements sans alcool ou qu’ils ajoutent des choix non alcoolisés à leurs menus.

Le gouvernement territorial affirme qu’il mènera à bien les quinze mesures d’ici 2028. Est-ce réaliste ? « On fait des pas dans la bonne direction, dit Bree Denning, et c’est sûr qu’il y aura encore du travail à faire pour réduire les méfaits liés à l’alcool dans cinq ans. » Le succès de la stratégie sera évalué au fil des années selon, par exemple, la diminution du nombre de visites à l’hôpital, de blessures et d’appels à la GRC liés à l’alcool.

Le financement des éléments de la stratégie, qui ne contient aucun montant, fera l’objet d’une « conversation continue », affirme Bree Denning. S’il y a « encore beaucoup d’inconnues », continue-t-elle, le GTNO est « conscient du cout de l’inaction ». « Nous dépensons un milliard de dollars dans tout le Canada en soins de santé, en justice et en perte de productivité à cause de la consommation de substances psychoactives. On économisera en agissant. »

Si la maitre d’œuvre de la stratégie se dit heureuse du consensus obtenu, elle le sera surtout lorsque des résultats seront observables. « Je veux que de plus en plus de personnes puissent vivre leur vie sans être affectées par les méfaits de l’alcool, inverser la tendance et qu’on soit, collectivement, en meilleure santé. Ça concerne vraiment tout le monde. »

Médias ténois a tenté d’obtenir, en vain, les réactions des chefs de la nation dénée, du conseil tribal des Gwich’in ou de la Première Nation Déné Lutsel K’e.

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Photos par Cristiano Pereira

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  • Date de création 10 octobre, 2023
  • Dernière mise à jour 10 octobre, 2023
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