Une pièce qui valorise les communautés queer et franco-ontarienne

Une intersection des cultures qui fait rire et réfléchir

Christian Gammon-Roy

IJL – Réseau.Presse - Tribune : la Voix du Nipissing Ouest

Michel Gervais, de Sturgeon Falls, est un habitué de la scène. Artiste de drag depuis longtemps, son alter égo Jenna Seppa présente régulièrement des spectacles dans la région et s’est même rendu jusqu’au petit écran dans la série télévisée Call Me Mother. L’été dernier, il s’est lancé pour la première fois dans un projet théâtral, acceptant un rôle dans la pièce Nickel City Fifs pour trois représentations du 22 au 24 juin à Sudbury. Cette incursion dans le monde du théâtre a été un succès, si bien que la pièce s’est mérité deux prix qui lui donneront un nouveau souffle. « Le Prix RADARTS est accompagné d’une invitation à présenter un extrait du show à la FrancoFête en Acadie en novembre prochain; et le Prix Audace de Réseau Ontario nous permettra d’organiser une tournée parmi les diffuseurs membres du réseau,» s’enthousiasme Alex Tétreault, auteur et metteur en scène de la pièce, co-produite par le Théâtre du Nouvel Ontario.

Pour Michel Gervais, c’est un plaisir de pouvoir continuer à présenter Nickel City Fifs. «Premièrement, juste le fait que je fasse du théâtre, point, c’est quelque chose qui m’excite, surtout que je ne pensais jamais que j’allais retomber dans le théâtre,» dit-il, avouant que son expérience jusque-là se limitait à quelques rôles durant son secondaire à Franco-Cité. Malgré son manque d’expérience, il a vite trouvé sa place parmi les comédiens chevronnés. « Michel a été super game dès le départ d’embarquer dans nos niaiseries. Malgré le fait que Michel n’ait jamais fait de théâtre, proprement parlant, c’est un artiste de la drag, ça fait qu’il a déjà cette théâtralité là qu’il a pu facilement appliquer à ce show,» décrit Alex Tétreault.

Tous les deux espèrent travailler ensemble encore, évidemment lors de la future tournée de Nickel City Fifs, mais aussi sur d’autres projets. «C’était vraiment une belle découverte pour nous, puis j’espère que dans les années à venir, Michel continuera à travailler avec le gang de Sudbury. On avait vraiment un gros kick sur Michel,» déclare l’auteur.

Michel Gervais est aussi fier de pouvoir continuer à transmettre l’histoire unique de Nickel City Fifs, qui donne voix aux Franco-ontariens et aux personnes queer en même temps. La pièce fait un parallèle entre la lutte pour préserver l’identité franco-ontarienne et la lutte pour défendre l’identité queer. «C’était l’un de mes objectifs au niveau du texte. Si tu lis du théâtre franco-ontarien du début des années 1970, vraiment le début de la révolution culturelle, tu remarques qu’on est beaucoup dans l’identitaire, dans la revendication, la forme est éclatée, c’est ‘weird’, il y a des numéros musicaux qui apparaissent de temps-en-temps. Tout ça, parce que c’était vraiment une communauté marginalisée qui, avec les moyens du bord - parce que dans ce temps il n’y avait pas encore les structures, pas d’institutions - ont voulu créer quelque chose à leur image pour qu’ils puissent se voir et raconter leurs propres histoires sur scène. Le théâtre queer, c’est beaucoup ça aussi. C’est rejeter les structures, les normes, les traditions, pour arriver à raconter nos histoires et nos vies sur scène,» décrit Alex Tétreault.

Michel Gervais pense que les obstacles alimentent l’art, et selon lui, ces deux groupes ont des obstacles en commun. «Dans les deux identités, on a eu de la misère d’une manière ou d’une autre, mais on est toujours aussi forts, aussi présents, et créatifs. Il y a une culture, il y a de l’art qui sort de ces défis-là et de cette misère-là. C’est beau de le voir dans une pièce de théâtre, ensemble,» affirme-t-il.

Alex Tétreault est d’accord, ajoutant que sa pièce est un bon point de départ pour sensibiliser les gens aux enjeux qu’ils ne connaissent peut-être pas, l’intersection des luttes franco-ontariennes et des luttes queers servant à illustrer ce que traverse chaque collectivité. «On fait énormément de références à la culture, au théâtre, à des artistes franco-ontariens, mais on le ‘queerifie’ un peu. Donc, c’est là où les deux univers se mélangent,» décrit le metteur en scène, donnant comme exemple Denise Truax, originaire de Sturgeon Falls et directrice de la maison d’édition Prise de parole, qui est interprétée comme une drag queen dans l’une des scènes. Il continue : «Je voulais vraiment prendre les traditions franco-ontariennes, puis juste les ‘twister’ pour que ça se trouve un peu plus sur le côté revendicateur-broche-à-foin de ses débuts.» Pour sensibiliser les Francophones à la culture queer, Alex Tétreault pense qu’il faut utiliser ce qu’ils connaissent comme point de départ. «Ils connaissent bien la culture franco-ontarienne, mais en ajoutant le twist queer, en expliquant et en contextualisant des affaires, ça aide à mieux passer, » décrit-il.

L’auteur et son interprète pensent que l’humour est un bon outil pour faire passer un message, d’où le côté drôle et déjanté de Nickel City Fifs. «Les gens veulent s’amuser, puis si je peux leur faire passer quelques messages en même temps, bonus. Il y a vraiment un appétit, un engouement pour des histoires qui sont différentes, pour des formes qui sont éclatées,» explique Alex Tétreault. Michel Gervais estime que c’est mission accomplie. «Qu’est ce qui est le fun aussi, c’est qu’il y a des thèmes assez sombres et sérieux, mais c’est une pièce vraiment drôle, vraiment niaiseuse. Ça te fait penser, mais ça te fait rire aussi,» dit-il.

En ce moment, les détails sur les prochaines représentations de Nickel City Fifs restent à préciser. Ils n’ont pas encore choisi l’extrait qui sera présenté en novembre, et la tournée en 2025 est encore en planification. «À date, on a l’intérêt d’une dizaine de diffuseurs en Ontario,» dit le metteur en scène, heureux de constater la demande pour son projet, qu’il voyait comme une chose plutôt personnelle au départ.

«À l’une des représentations, une gang de jeunes de mon ancienne école secondaire sont venus voir le show, puis après il y en a un qui m’a dit que c’est juste le fun de voir parler de moi, en français, sur une scène. C’est un peu ça qui m’a motivé d’écrire le show. J’ai écrit l’affaire que j’aurais aimé voir quand j’avais cet âge-là,» raconte-t-il. Évidemment, la demande pour un spectacle à la fois francophone et queer est plus répandue qu’il ne le croyait, et c’est bon signe pour l’interprète bourgeonnant qu’est Michel Gervais. «Je me sens représenté (…). Quand on est valorisé pour cette identité-là, c’est vraiment spécial,» exprime-t-il.

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Photos

Fifs1 : Michel Gervais (au centre) sur scène pendant une représentation de Nickel City Fifs dans le bar Zigs, à Sudbury, l’été dernier.  Photo : Isak Vaillancourt

Fifs2 : Michel Gervais (à gauche) sur scène pendant une représentation de Nickel City Fifs dans le bar Zigs, à Sudbury, l’été dernier.  Photo : Isak Vaillancourt

Crédit photos : Isak Vaillancourt

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  • Date de création 15 mars, 2024
  • Dernière mise à jour 15 mars, 2024
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