Une Île à deux vitesses

À l’heure de la COVID-19, Internet n’a jamais été aussi essentiel pour télétravailler, étudier et rester en contact avec ses proches. Pourtant, des milliers d’Insulaires en sont encore privés. Le gouvernement de l’Île mise sur un plan de 10 millions de dollars pour en finir avec les «zones blanches».

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Marine Ernoult

Initiative de journalisme local - APF - Atlantique

Depuis trois ans, Angie Cormier se désole de sa connexion Internet «dépassée». «C’est lent, ça marche mal, la bande passante est trop faible», souligne la propriétaire des Maisons de bouteilles à Cap-Egmont, en région Évangéline.

L’attraction touristique, située dans une zone rurale isolée, est privée de haute vitesse. Certains jours, le terminal de cartes débit ou crédit de la boutique, relié à Internet, ne fonctionne plus. «Les visiteurs sont obligés de payer en liquide, je perds des achats et des revenus à cause de ça», regrette Angie Cormier, qui contacte en vain le service client de son fournisseur pour obtenir des réponses.

Sa maison, située à quelques kilomètres de son entreprise, est carrément en zone blanche. Autrement dit, elle n’est pas desservie par Internet. «Le câble s’arrête avant chez moi», explique-t-elle.

L’Acadienne a été obligée d’installer une antenne pour capter le signal des Maisons de bouteilles, mais, là aussi le débit est loin d’être au rendez-vous. Le jour, télécharger un document de quelques pages ou participer à une réunion en ligne est un casse-tête tant la connexion est lente. Le soir, regarder un film sur une plate-forme de diffusion en continu est inenvisageable.

«Depuis le début de la crise sanitaire, c’est pire qu’avant, constate Angie Cormier. La qualité du service a beaucoup baissé. J’ai l’impression qu’il y a plus de pression sur le système.»

Sentiment d’exclusion

Alors qu’à l’heure de la COVID-19, de nombreux Insulaires ne peuvent envisager le télétravail sans connexion haute vitesse, les éloignés du numérique n’ont pas d’autres choix que de faire sans. Et leur sentiment d’exclusion se renforce.

Dans la région de Tignish, Janelle Chaisson, enseignante à l’école Pierre-Chiasson, a cumulé les handicaps pendant le confinement. «Pour les réunions pédagogiques, les cours avec les élèves, l’envoi et le téléchargement de documents, c’était difficile, ça me prenait parfois une à deux heures pour faire une chose», raconte-t-elle.

Le phénomène est loin d’être anecdotique. Sans surprise, ce sont surtout les campagnes qui sont touchées de plein fouet. Dans le secteur de Prince Ouest, «on a Internet dans les municipalités. Tignish et Alberton ont la fibre, mais dès qu’on en sort, il n’y a plus rien», se désespère Tammy Rix.

La directrice de la Chambre de commerce de la région témoigne de la frustration de ses membres : «Pendant le confinement, beaucoup ne pouvaient pas travailler de la maison à cause de la lenteur de leur connexion». Avant d’ajouter : «Ils paient pourtant cher».

Elle évoque l’impossibilité d’organiser la moindre visioconférence sur l’application Zoom après 15 h 30. «On devait tout le temps redémarrer nos ordinateurs», s’exaspère la responsable qui veut assurer une égalité d’accès à tous les Insulaires et qui plaide pour qu’Internet soit considéré comme «un service essentiel».

Un plan critiqué

Pour réduire la fracture numérique, la province a lancé en 2019 le plan Internet rural. Ce projet, qui représente 10 millions de dollars d’investissements, vise à aider les fournisseurs de service à éradiquer les zones blanches. L’objectif : raccorder 30 000 foyers à Internet haute vitesse d’ici 2022.

Mais un détail fait grincer des dents : le gouvernement a signé des contrats avec seulement deux opérateurs, Bell et Xplornet. «Pourquoi ne pas s’ouvrir à d’autres compagnies, plus petites? s’interroge Tammy Rix. Les consommateurs auraient plus d’options et ça permettrait de faire baisser les prix.»

Les critères pour bénéficier de ce fonds d’aide suscitent également des doutes. La première année, sur deux millions de dollars disponibles, seuls 45 214 $ ont été alloués au financement de deux projets.

«Les critères sont trop restrictifs, nous envisageons de les changer», a reconnu le ministre de la Croissance économique, Matthew MacKay, à la fin juin. Les opérateurs réclament avant tout de l’argent pour construire des pylônes, des antennes et installer des modems.

Enfin, le calendrier annoncé au départ ne sera pas tenu. Bell et Xplornet parlent désormais de cinq ans au lieu des trois annoncés initialement. «Ça fait des années que les autorités parlent d’investissement, mais on ne voit rien venir», s’agace Angie Cormier qui espère que Les Maisons de bouteilles seront incluses dans le nouveau plan. «On manque des opportunités économiques à cause de ça, la prospérité et le développement de nos communautés sont en jeu.»

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PHOTOS : (incluant titre de la photo, légende et crédit du photographe ou courtoisie)

IJLA_Internet et zones blanches 1 : Tammy Rix, la directrice de la Chambre de commerce de Prince-Ouest, plaide pour qu’Internet soit reconnu comme un service essentiel. (Crédit : Courtoisie)

IJLA_Internet et zones blanches 2 : Pour éradiquer les zones blanches, la province a lancé en 2019 le plan Internet rural. Ce projet, qui représente 10 millions de dollars d’investissements, vise à raccorder 30 000 foyers à l’Internet haut débit d’ici 2022. (Crédit : Marine Ernoult)

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  • Date de création 31 juillet, 2020
  • Dernière mise à jour 31 juillet, 2020
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