Une communauté ukrainienne se forme à Embrun

Après leur arrivée au Canada et avoir trouvé un hébergement, le prochain défi des personnes qui fuit l’Ukraine est de trouver un emploi. Face à la pénurie de main-d’œuvre locale, plusieurs entreprises se tournent vers les travailleurs étrangers, comme les Ukrainiens. C’est le cas de Xpertek à Embrun, qui compte 18 employés originaires de l’Ukraine. 

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse –Le Droit

Grâce aux permis de travail ouverts que les Ukrainiens ont droit au Canada, leur permis de conduire valide pour deux mois et l’obtention rapide d’une carte d’Assurance-santé en Ontario, il est plus simple pour une entreprise d’embaucher des travailleurs de ce pays plutôt que d’autres, qui n’ont pas ces droits lorsqu’ils sont travailleurs étrangers temporaires.

C’est ce qui a incité David Ryan, partenaire avec Guy Massé et Louis Ryan de l’entreprise Xpertek, à embaucher des travailleurs du pays en guerre. «C’est comme si c’était des Canadiens! Ils ont les mêmes avantages. Je ne suis pas obligé de leur garantir un emploi pour un certain temps.»

Xpertek est une entreprise de construction qui peut intervenir en cas d’urgence. Il y a le volet de construction générale et de réparations à l’intérieur d’édifices déjà établi. L’autre est la réponse rapide après un incident comme un incendie ou un dégât d’eau. L’intervention se fait dans des bâtiments de soins de santé, d’éducation et dans les édifices gouvernementaux.

Ouverture sur le monde

Il n’a pas toujours été difficile de trouver de la main-d’œuvre locale, souligne M. Ryan. Ça s’est accentué ces cinq dernières années. Le premier travailleur étranger qu’il a embauché est Canado-cubain. Il a ensuite engagé un travailleur du Nicaragua. «Ça nous a ouvert l’esprit de travailler avec des gens qui n’ont pas grandi au Canada», dit-il.

Il a pu trouver des travailleurs par l’entremise du groupe Facebook Ukrainian Settlement Helpers Ottawa, qui facilite le jumelage entre les résidents de la région d’Ottawa et les réfugiés de l’Ukraine.

«Les vrais héros, c’est eux», déclare-t-il en parlant des administratrices du groupe et des gens qui hébergent des réfugiés.

«Après avoir trouvé du travail, ils se trouvent un appartement. C’est ça le but. Ensuite, les Ukrainiens accueillent d’autres réfugiés ukrainiens!», ajoute un des propriétaires de l’entreprise.

Des gens passionnés

David Ryan cherche avant tout des personnes passionnées par la construction, peu importe leur expérience. Il a d’ailleurs appris qu’en Ukraine, chaque propriétaire fait ses propres rénovations dans sa maison, alors tout le monde a un minimum d’aptitude manuel.

Le premier Ukrainien qu’il a engagé est Edik Papoian en mai 2022. Il a commencé à travailler chez Xpertek cinq jours après avoir atterri au Canada. Il était un ingénieur structurel qui bâtissait des ponts en Ukraine. «Complètement surqualifié, mais il adore travailler avec ses mains et en construction», mentionne M. Ryan.

Au départ, l’Ukrainien avait beaucoup de difficulté à parler l’anglais. Cinq mois plus tard, il répond aisément aux questions du Droit.

«[En travaillant] avec des Canadiens, je peux mieux apprendre la langue. [...] Ça a été facile de m’adapter, parce que ce n’est pas la première fois que je voyage», dit-il.

Un de ses frères est actuellement dans l’armée en Ukraine pour défendre le pays. Évidemment qu’il y pense, mais il ne veut pas se fier aux autres réfugiés de l’entreprise pour se confier. «Je ne parle pas de mes problèmes à mes collègues. Ce sont mes problèmes, je ne veux pas juste parler de mes problèmes.»

Chaque personne à une histoire

Xpertek compte maintenant 18 employés ukrainiens sur 65 travailleurs. David Ryan en apprend à travers les histoires de chacun. De manière générale, la communauté étrangère est toujours heureuse de travailler. Il n’en demeure pas moins que des proches vivent encore dans un pays en danger.

«Chaque personne à une histoire unique, peu importe d’où elle vient en Ukraine, remarque M. Ryan. Pour certains, leur village n’existe plus. L’histoire de base demeure la même. Est-ce que je peux me faire une meilleure vie? C’est une question de survie, c’est assez débile.»

«On travaille en urgence alors des fois j’ai besoin de gens un samedi soir à 22h. Ils ne diront jamais non, ils ont l’occasion de travailler! Mais ça demeure des humains avec des émotions. Il y a un monsieur l’autre jour qui me dit: “David, je ne suis pas capable de sourire aujourd’hui. J’ai des copains dont je n’ai aucune nouvelle depuis deux jours.”»

«Ce sont des gens résilients et débrouillards», résume-t-il.

La traductrice

Nadiia Kononchuk est venue s’installer à Ottawa avec son copain Dyma Pysarenko en juillet dernier. Elle est assistante administrative et lui, superviseur de projet. Ils occupaient le même poste auparavant lorsqu’ils travaillaient à Dubaï. Deux semaines après leur arrivée, ils ont été embauchés par Xpertek.

Le couple a demeuré pendant un mois chez une famille à Nepean et loue maintenant un condo à Embrun. Étant donné que l’Ukrainienne parle très bien l’anglais, elle sert de traductrice dans l’entreprise pour les autres travailleurs qui ne comprennent pas la langue.

La proximité avec d’autres personnes qui ont dû quitter leur pays l’aide à passer à travers ses moments d’inquiétude.

«Pour parler de nos soucis, ils me comprennent mieux. Certains des employés viennent de l’est de l’Ukraine et ont dû se sauver de leur maison», dit la femme originaire de Lutsk, dans l’ouest de l’Ukraine.

«Nous essayons de ne pas parler de ça tout le temps, parce que c’est très stressant. Ça nous replonge en quelque sorte en Ukraine. Nous voulons nous intégrer, c’est très important. Si tu es seulement connecté aux communautés ukrainiennes, tu vis dans ta petite bulle. Mais si tu formes des connexions, tu construis ta vie et ça sera plus facile. En travaillant ici, ça nous donne la chance d’aider notre famille en Ukraine. Où j’habitais en Ukraine, la maison sert maintenant à héberger des gens pour qu’ils soient en sécurité», raconte-t-elle.

Aide naturel

David Ryan mentionne à plusieurs reprises que l’embauche de ces travailleurs ne serait pas possible sans les gens qui les hébergent et ceux qui coordonnent le jumelage des réfugiés avec les familles d’accueil et les employeurs.

Sophie Madeleine est une des fondatrices du groupe Facebook Ukrainian Settlement Helpers Ottawa. Elle se dit très sensible aux droits de la personne. Elle a déjà travaillé pour une agence qui accueille des immigrants et elle a fait beaucoup de bénévolat dans le passé. En 2005, elle a commencé à être une mère d’accueil pour des étudiants et des jeunes vulnérables internationaux.

«C’est normal pour moi, dit Sophie Madeleine. J’ai des privilèges et ça ne me coûte rien à part mon temps. J’ai été élevé en apprenant qu’il ne faut pas s’occuper seulement de sa petite personne. Je crois que notre société va mieux quand nous travaillons ensemble et qu’on s’entraide. Notre société devient pire quand on se bat pour le peu de ressources que nous avons. Nous devons redonner à la communauté, ça enrichit notre vie.»

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Photos

Dyma Pysarenko et Nadiia Kononchuk sont respectivement superviseur de projet et assistante administrative pour la compagnie Xpertek, à Embrun, depuis juillet. (Martin Roy, Le Droit)

David Ryan et ses partenaires de chez Xpertek ont embauché 18 travailleurs originaires de l’Ukraine. (Martin Roy, Le Droit)

Edik Papoian a été le premier Ukrainien embauché par la compagnie de construction d'Embrun. (Martin Roy, Le Droit)

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  • Date de création 8 novembre, 2022
  • Dernière mise à jour 8 novembre, 2022
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