Une cérémonie de guérison marque la Journée de la vérité et de la réconciliation

Isabel Mosseler

IJL – Réseau.Presse

Tribune : laVoix du Nipissing Ouest

Le samedi 30 septembre, environ 70 personnes se sont réunies à l'arène de Garden Village, Première nation Nipissing, pour commémorer la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, rendre hommage aux survivants du système canadien des pensionnats autochtones et célébrer leur résilience. La cérémonie, animée par Christina Beaucage, était suivie d'une marche à travers le village et d’un festin communautaire.

Le chef adjoint Mike Sawyer a commencé son allocution en rappelant que «chaque enfant compte. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous ceux qui sont ici aujourd'hui pour rendre hommage, apporter leur soutien et leur force aux survivants des pensionnats qui sont ici avec nous aujourd'hui [et à ceux qui] ne sont pas revenus. (…) Même si les pensionnats ont eu des effets ravageurs, les survivants ont fait preuve de beaucoup de résilience et de force pour continuer à aller de l'avant. Ma grand-mère, Delma Sawyer, a fréquenté le pensionnat. Elle m'a parlé de certaines de ces choses lorsque j'étais plus jeune,» a-t-il raconté. Elle lui a raconté les horreurs tout en le rassurant qu’elle avait trouvé du réconfort dans sa vie spirituelle, «même si on lui avait interdit de parler sa langue et de vivre sa culture et son patrimoine. Elle avait toujours deux versions de l'histoire, l'une négative, l'autre positive.» Le chef-adjoint Sawyer a indiqué que sa grand-mère avait rencontré son grand-père au pensionnat - un événement heureux.

M. Sawyer a poursuivi : «Pour traverser ces temps difficiles, nous, en tant que peuple fort, avons besoin de nous appuyer les uns sur les autres, en particulier lorsque nous (…) avons commencé à guérir, à entendre la vérité. J'essaie de faire ma part en tant que descendant de ma grand-mère, d’apprendre ma langue, d'apprendre quelque chose de notre culture.» Selon lui, il est important, dans le cadre de la réconciliation, d'apprendre la langue, sans se mettre de pression pour tout savoir du jour au lendemain. «Ce n'est pas une course. C'est une progression. C'est ainsi que nous nous débarrassons des effets de la colonisation. Nous commençons à nous réapproprier nos coutumes, notre langue. La langue, c'est la culture (...) C'est notre façon de vivre. Ce n'est pas une religion. C'est ce que nous sommes. Lorsque je réfléchis aux récits de certains aînés et de certains survivants qui portent toujours ce fardeau pour nous, je les regarde et je vois qu'ils sont humains. Je vois leur sourire. Je vois leur famille. Je vois leurs enfants., et je me dis, wow! Quelle force!»

M. Sawyer a mis en garde contre le risque de rester bloqué dans le processus de guérison, dans le traumatisme collectif. «Nous devons équilibrer cela (...) aller de l'avant à partir de maintenant, c’est la façon dont nous nous aiderons les uns les autres. Ce qui me fait vraiment sourire en ce jour, c'est de voir nos jeunes. Nos jeunes vivent dans nos traditions. Cette génération commence à avoir cet esprit de revitalisation (...) Je commence à entendre des personnes utiliser des mots de notre langue, et je ne pense pas qu'elles les auraient utilisés il y a une dizaine d'années (...) Alors que nous commençons à respecter cette journée et à marcher, nous marchons pour ceux qui ne sont pas revenus (...) Nous marchons aussi pour ceux qui sont ici aujourd'hui.»

L'allocution de M. Sawyer était suivie d'une prière de gratitude prononcée par l'aînée Evelyn McLeod en anishnabemowin. Chaque survivant présent a reçu un cadeau en signe de respect et d’affection. Brady Penasse a également été reconnu pour sa contribution à la communauté, notamment pour avoir conçu les t-shirts commémorant la journée, et pour ses efforts continus de promotion de la culture, y compris une installation artistique à North Bay intitulée «The Residential School Desk Project», une exposition de pupitres d’élèves des anciens pensionnats.

Une présentation spéciale a été faite par l'auteur et éducatrice Jenny Kay Dupuis, membre de la communauté Nipissing qui réside à Toronto. Elle est revenue pour parler de son livre Gaawin Gindaaswin Ndaawsii / I Am Not A Number / Je ne suis pas un numéro, inspiré des expériences de sa propre famille. Mme Dupuis a parlé de son besoin de briser le silence. «Je pense au silence. Il y avait beaucoup de silence pour moi. Je voulais en savoir plus sur mon histoire et ma culture,» a-t-elle déclaré, mais elle n’en avait pas l’occasion en raison du silence collectif et familial, résultat des pensionnats.

L'écriture de l'histoire de sa grand-mère Irene lui a permis d'apprendre sa propre histoire, ce qui a nécessité beaucoup de réflexion, de collaboration et de respect. Elle a évoqué les difficultés rencontrées dans le système éducatif pour partager les récits et les vérités historiques; on lui disait que c’était une «question politique.» Elle a évoqué l’hypocrisie. «Un jour, j'ai acheté des livres sur un autre type de génocide. J'achetais des livres sur l'Holocauste et j'étais [frustrée] que l'on parle, dans le système scolaire, d'autres génocides dans le monde», tout en passant sous silence le vécu des peuples autochtones du Canada. Mme Dupuis a pris soin de consulter sa famille et d'autres membres de la communauté pour s'assurer de l'exactitude des faits qu’elle voulait relater. «Je me suis vraiment demandé quelles étaient les conséquences du silence, de ne pas parler de ces histoires, et quelles étaient les conséquences si nous choisissions de ne pas connaître la vérité.»

Sa grand-mère, Irène, a été enlevée à l'âge de 6 ans. «Elle pensait que tout irait bien pour elle. Elle est arrivée [au pensionnat] et elle a vite compris qu'elle serait séparée de ses frères pour aller à l'école des filles.» Ses cheveux ont été coupés, son nom a été remplacé par un numéro, on lui a dit de frotter sa peau brune, et ce n'était que le début de l'humiliation qu'elle a subie. «Il est important de raconter ces histoires difficiles,» a déclaré Mme Dupuis, en précisant qu'il faut le faire de manière réfléchie et de façon à mettre en évidence la résilience des survivants. Il est important de «reconnaître que tout le monde n'a pas eu la même histoire, qu'il y a des milliers d'histoires différentes à travers le Canada.»

Son livre, disponible en français, en anglais et en anishnabemowin, a pour but de «lancer des conversations et d'aider à orienter les conversations, en particulier avec les jeunes et les familles (...) J'avais un peu peur de le faire parce que j'étais éducatrice, je n'étais pas auteur de livres pour enfants.» Il lui a fallu deux ans et demi pour mener à bien le processus de publication. «J'ai vraiment réfléchi à la manière de partager ces histoires difficiles,» dit-elle, en considérant les non-autochtones qui découvrent ces réalités pour la première fois, et surtout les survivants et leurs descendants dont des souvenirs douloureux pourraient revenir à la surface en lisant l'ouvrage.

Jenny Kay Dupuis encourage d’autres auteurs autochtones à écrire et faire éclater la vérité. L'animatrice Christina Beaucage l'a félicitée d'avoir fourni une ressource aussi importante et accessible. «Je suis enseignante et j'aime utiliser ses livres comme ressource dans ma classe. Nos enseignants sont très fiers de tenir ce livre et de dire «C'est l'une de nos membres» (...) Vous ne pouvez pas savoir ce que cela fait de pouvoir enseigner à nos élèves et d'utiliser une ressource qui a été conçue spécifiquement pour eux, autour d'eux et par quelqu'un de leur communauté.»

L'assemblée s'est terminée par des tambours et de jeunes danseuses en robe à clochettes qui ont encerclé les survivants des pensionnats, la danse des clochettes étant associée à la guérison. Puis le groupe a marché dans Garden Village, guidé par le bâton à exploits de la communauté. La marche était suivie d'un festin au centre communautaire, pour conclure une journée forte en émotion marquant à la fois une histoire douloureuse et un avenir prometteur.

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  • Date de création 16 octobre, 2023
  • Dernière mise à jour 16 octobre, 2023
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