Un système de vote qui divise

En 2017, le projet de cimenterie à L’Orignal est allé de l’avant grâce aux Comtés unis de Prescott Russell (CUPR) qui ont voté en faveur d’un amendement au Plan officiel. Le système de vote préconisé a alors été utilisé pour une rare fois. Les municipalités les plus populeuses avaient ainsi plus de pouvoir. Et si chaque municipalité avait le même nombre de voix?

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse –Le Droit

La saga de la cimenterie de l’entreprise Colacem Canada a fait couler beaucoup d’encre depuis le lancement du projet en 2011. La compagnie a dû obtenir un changement de zonage des CUPR pour avoir le droit d’y implanter sa future cimenterie.

Alors que la grande majorité des décisions au conseil se décident à main levée avec un vote par maire, cet enjeu important a nécessité un vote enregistré.

Ainsi, le vote des maires est proportionnel au nombre d’électeurs de leur municipalité. Dans cette situation, les maires de Clarence-Rockland, de Russell et de La Nation avaient plus de votes que le canton de Champlain, dans lequel la cimenterie allait être implantée.

Certains élus, comme l’ancienne députée provinciale de Glengarry-Prescott-Russell, Amanda Simard, diront que le projet aurait pu être annulé à ce moment-ci.

«Tout ça se passe, parce que les comtés unis ont approuvé le projet. Ils auraient pu le tuer dans l’œuf. Il y avait alors une forte opposition au projet, mais les CUPR ont quand même décidé d’aller de l’avant et c’est vraiment dommage. C’est dommage, parce que c’est [un projet] chez eux [habitants de Champlain], mais ce sont les grands comtés unis qui décident. Les autres maires, ça ne les touche pas du tout», racontait Mme Simard au Droit en mai dernier.

Selon le maire de Champlain, Normand Riopel, Colacem aurait tout de même pu interjeter appel devant la Commission des affaires municipales de l’Ontario (CAMO). La compagnie a finalement eu gain de cause contre le Canton de Champlain, qui refusait une modification de zonage.

«Même si on avait voté contre, la compagnie Colacem aurait été en appel. Ça se passe dans l’Est ontarien, alors ça devrait être les CUPR qui décident. Pourquoi c’est Toronto qui décide?», souligne-t-il.

Plus d’électeurs, plus de pouvoir

Dans les CUPR, le règlement 2010-22 affirme que «le nombre de votes pour chaque membre du Conseil est désormais basé sur une formule de pondération des votes. Chaque maire reçoit un vote pondéré pour chaque tranche de 3000 électeurs sans aucun plafond.»

Ce nombre de votes est révisé tous les quatre ans. À l’heure actuelle, c’est la Cité de Clarence-Rockland qui a le plus grand nombre de voix avec sept, et ce sont le village de Casselman et le canton de Hawkesbury Est qui en obtiennent le moins avec un vote.

«Le conseil vote généralement à main levée avec un vote par maire. Quand il y a de gros dossiers où il y a plus de désaccord au sein des membres du conseil, il y a une possibilité de faire un vote enregistré. Techniquement, un maire pourrait le demander chaque fois. Généralement, on l’applique dans les dossiers un peu plus contestés», relève la greffière des CUPR, Mélissa Cadieux.

Même si le vote enregistré est très rarement utilisé, il ne fait pas l’unanimité au sein du conseil.

«Ce n’est pas nécessairement le meilleur système, mais c’est le meilleur système qui est disponible pour le moment. Est-ce qu’une municipalité de 27 000 habitants devrait avoir le même pouvoir de vote que 3000 électeurs?», dit le maire de Russell, Pierre Leroux, qui répond par la négative à cette question.

Pour M. Riopel, la collaboration entre les maires devrait être l’unique moyen de décision. 

«C’était peut-être un bon système à l’époque où il y avait à peu près 18 municipalités, mais aujourd’hui on est huit maires qui siègent à la table des Comtés unis. C’est aux maires de faire leurs devoirs et leurs recherches. En temps normal, le système est encore bien vu. Est-ce que je le supporterais? Probablement pas. J’aimerais mieux avoir un vote par maire. On s’entend tous bien, on est capable de communiquer pour venir à bout des dossiers.»

«Si le maire ne veut pas quelque chose dans sa municipalité, il devrait essayer de convaincre ses collègues de le soutenir. Le maire qui était là à ce moment-là aurait dû travailler plus fort pour sa municipalité», ajoute-t-il en parlant de la décision de modifier le Plan officiel pour y implanter la cimenterie.

Le président des CUPR, Daniel Lafleur, garderait quant à lui, le système de vote en place.

Systèmes différents ailleurs

En Ontario, chaque comté peut décider de la formule de son propre système de vote enregistré. 

«La Loi de 2001 sur les municipalités donne aux municipalités le pouvoir d’adopter des règlements et de gouverner dans leur juridiction. Il appartiendrait à la municipalité de palier supérieur [comté ou région] de déterminer la formule et les modalités du vote pondéré, cependant, chaque membre aura au moins un vote», transmet le bureau du ministère des Affaires municipales et du Logement par courriel.

Les Comtés unis de Stormont Dundas et Glengarry (SDG), au sud des CUPR, ne fonctionnent pas de cette manière.

Chacune des six municipalités obtient deux votes; un pour le maire et un pour le maire suppléant.

Une manière de fonctionner que préfère la présidente de SDG, Carma Williams. Elle ne préconise pas que les plus grandes municipalités aient plus de pouvoir.

«Ce serait toujours les mêmes municipalités qui domineraient toutes les décisions puisqu’elles auraient plus de votes. Ce serait compliqué. J’aimerais que le système reste le même. Sinon, ça pourrait devenir compétitif. Quand il y a des votes égaux, ça donne lieu à plus de collaboration, je crois.»

Par contre, le mécanisme en place dans les CUPR est le même dans les Comtés unis de Leeds et Grenville.

Le vote par pondération est utilisé en cas d’enjeux financiers, si un maire le demande.

«C’est très rare que nous adoptions cette manière de voter. La plupart des votes sont décidés avec un vote par municipalité», dit le président des comtés, Roger Haley, qui œuvre dans le milieu municipal depuis 16 ans.

«C’est difficile, parce que ce n’est pas toujours la majorité des municipalités qui l’emportent. Ce n’est pas très efficace de cette manière. On n’en parle pas souvent, parce que c’est très rare qu’on utilise cette manière de voter. C’est un problème et c’est pour cela que certaines municipalités voudraient revisiter le règlement», ajoute-t-il.

Fonctionnement au Québec

Au Québec, les MRC prennent ce genre de décisions avec la formule de la double majorité.

«Pour qu’une décision du conseil de la MRC soit considérée comme positive, les voix exprimées doivent l’être majoritairement et le total des populations attribuées aux représentants qui ont exprimé des voix positives doit équivaloir à plus de la moitié du total des populations attribuées aux représentants qui a voté», peut-on lire dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme.

Cependant, les règles peuvent être un peu différentes dans certaines MRC où une municipalité représente plus de la moitié de la population de la MRC. Certaines municipalités peuvent aussi jouir d’un droit de veto dans certains cas.

«Au Québec, c’est rare que les maires demandent le vote. La double majorité a été mise en place pour équilibrer le pouvoir des plus grandes municipalités. Tout d’abord, la majorité des municipalités doivent être en accord, ayant chacune un vote. Ensuite le vote est proportionnel au nombre d’habitants», explique le professeur en sciences politiques à l’Université du Québec en Outaouais, Guy Chiasson.

«La raison pour laquelle ça a été établi est de créer un système d’équilibre. C’est pour que toutes les municipalités aient un pouvoir, mais que les grandes municipalités aussi. Dans certaines MRC, une municipalité peut englober la majorité de la population. Elle représente plus de citoyens, alors c’est normal qu’on lui accorde plus de votes. Mais en même temps, on ne veut pas que ce soit toujours la même municipalité qui l’emporte toujours», renchérit M. Chiasson.

Peu importe le système utilisé, la collaboration entre les municipalités semble être la clé pour en venir à un accord.

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Photos

Daniel Lafleur, président des Comtés unis de Prescott-Russell. (Simon Séguin-Bertrand, Le Droit)

Pierre Leroux, maire de Russell (Patrick Woodbury, Le Droit)

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  • Date de création 4 juillet, 2022
  • Dernière mise à jour 4 juillet, 2022
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