Un relevé toponymique débouche sur un livre à propos des communautés du comté de Kent

Au départ, l’ouvrage ne devait concerner que la toponymie des nombreuses localités de Kent. Finalement, le projet a évolué pour en retracer l’histoire et en préserver la mémoire.

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Damien Dauphin

IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien

 

   «Ce n’est pas un ouvrage scientifique traditionnel, ce n’est pas non plus un ouvrage collectif traditionnel», avance Gregory Kennedy, directeur scientifique (actuellement en congé sabbatique) de l’Institut d’études acadiennes, en présentant le livre du sociologue Mathieu Wade intitulé : De Sikniktuk à Kent, une histoire des communautés du Nouveau-Brunswick.

   À défaut de la paternité, le directeur général de la Commission de services régionaux de Kent (CSRK), Paul Lang, peut s’en attribuer la genèse. Il y a environ six ans, l’idée lui est venue de faire recenser les nombreuses localités du comté de Kent afin d’en conserver la trace, et ce, bien avant que ne soit lancée la réforme de la gouvernance locale.

   Le projet initial avait pour but de déterminer d’où provenait le nom de chacune des localités, mais il a rapidement pris la direction d’un livre sur l’histoire des communautés de Kent. Il est le fruit d’une vingtaine de rencontres communautaires auxquelles plus de 200 personnes ont participé pour raconter l’histoire de leur coin de pays. Ainsi, le livre fourmille de petits noms de lieux-dits ou de hameaux qui étaient loin d’être des villages, comme Bretagneville (Beaurivage) ou Cormierville (Beausoleil) mais qui sont restés, encore aujourd’hui, dans le souvenir des gens et dans leurs conversations.

   Au-delà de la cartographie officielle de la province, sur place il y avait des nuances qui faisaient qu’un lieu était distinct d’un autre. Parmi ces gardiens de la mémoire, Marcel Henrie, grand-père du leader communautaire Marc Henrie, a pris la parole pour éclairer la lanterne des chercheurs au cours d’une de ces rencontres.

   «Il nous a dit que Saint-Paul finissait à cette maison-là, raconte l’historien Maurice Basque, parce que c’était la dernière maison où il y avait des Acadiens, des catholiques. La prochaine maison, disait-il, c’est un autre village qui commençait là et c’était des anglophones, des protestants. Ce n’était pas dit de cette façon avec une délimitation, mais les gens le savaient.»

L’école et le bureau de poste

   «Dans les communautés acadiennes en particulier, les gens avaient souvent un sens de l’appartenance. Ils s’appuyaient sur plein d’histoires et de textes écrits, une véritable production historique citoyenne de gens qui, sans avoir un doctorat en histoire, ont décidé de raconter l’histoire de leur communauté», indique Mathieu Wade.

   Selon le sociologue, les deux institutions réellement importantes qui faisaient qu’une communauté existait étaient le bureau de poste (fédéral) et l’école. La première servait souvent à officialiser un nom. Du côté éducatif, en 1950, il y avait 160 écoles dans le comté de Kent. Aujourd’hui il y en a 14. En l’espace d’une génération, dans les années 70, tous les bureaux de poste et les écoles ont fermé.

   «Je crois qu’on remarque davantage la disparition des communautés dans le comté de Kent que dans d’autres régions, parce qu’il y avait moins de villages», estime M. Wade. Outre l’emblématique Claire-Fontaine, village détruit aux fins de la création du parc Kouchibouguac, d’autres bourgades ont fini par s’effacer des plans cadastraux, comme Village-des-Fricots (Paroisse de Dundas, hameau de Notre-Dame), Village-des-Léger (Saint-Paul) ou encore Village-Saint-Augustin (Paroisse de Weldford, hameau d’Upriver). Selon Maurice Basque, ce sont des communautés fantômes qui ont disparu mais qui sont restées dans la mémoire des gens.

Une énigme : plus de 200 localités

   Mathieu Wade résout une énigme : «Comment ça se fait que dans un comté comme Kent qui a une population d’à peu près 30.000 habitants, il y ait 215 noms de lieux ? Dans les années 1930, quand la dernière localité est fondée, cela en fait une pour 100 habitants. C’est énorme.»

   Il s’est demandé d’où venait ce désir de s’éparpiller, et pourquoi Richibouctou ou Bouctouche n’étaient pas devenus de plus gros centres urbains avec des banlieues autour. Selon ses découvertes, la réponse est dans l’histoire de l’économie de la région : la foresterie et les bateaux. On coupait le bois pour l’expédier en Angleterre, et on construisait des bateaux pour les y acheminer. Telle fut la dynamique de la région pendant un siècle.

   «Les forestiers avaient bûché tout le bois le long de la côte. Ensuite ils sont partis plus loin du côté des rivières et vers l’intérieur des terres. Les communautés y ont été créées au fur et à mesure qu’on avait besoin de main d’œuvre pour y couper du bois», explique-t-il.

Le district de Sikniktuk

   L’historien Maurice Basque encourage le public à ne pas s’arrêter à ce livre qui, selon Paul Lang, n’est pas académique mais est agréable à lire et à feuilleter. Il invite la population à continuer à raconter ses histoires de familles et de villages, en ajoutant davantage de détails sur les contributions des femmes.

   Le livre de Mathieu Lang fait également la part belle à l’apport des communautés autochtones. «Beaucoup de pages sont consacrées à l’histoire et à la mémoire des Autochtones, avec leur lecture du passé et leur façon de voir les choses», commente M. Basque. Le titre même de l’ouvrage reflète cette réalité, et l’auteur explique sa démarche. «Quand j’ai offert le livre à mes parents, ils m’ont demandé ce que voulait dire Sikniktuk. Ils n’avaient jamais entendu ce terme. Sikniktuk, qui a donné Chignectou, était l’un des districts des Mi’kmaq. Nommer les lieux, c’est aussi leur donner un sens. Cela permet aussi d’avancer dans l’esprit de vérité et de réconciliation dans lequel nous nous trouvons.»

   Publié aux Éditions Septentrion, De Sikniktuk à Kent est disponible dans les deux langues officielles, à la Librairie acadienne et depuis lundi dans les hôtels de ville, les bureaux de la Commission de services régionaux et au parc national Kouchibouguac.

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Photos

Titre : Sikniktuk

Légende : De g. à d. : Benoît Bourque, député de Kent-Sud; Gregory Kennedy, directeur scientifique de l’IEA; Aldéo Saulnier, maire de Grand-Bouctouche; Amélie Montour, assistante de recherche; Paul Lang, directeur général de la CSRK; Mathieu Wade, auteur du livre; Maurice Basque, historien et conseiller scientifique de l’IEA, et Kevin Arseneau, député de Kent-Nord.

Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

Titre : Public

Légende : Le public participant a suivi la présentation avec beaucoup d’intérêt.

Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

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  • Date de création 4 juillet, 2023
  • Dernière mise à jour 4 juillet, 2023
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