Un plan d’action contre le racisme qui brille par sa passivité

En juillet dernier, le Parti conservateur uni (PCU) déposait son plan d’action contre le racisme, un document qui a été accueilli tièdement par l’opposition officielle et par certains analystes. Près de huit mois plus tard et à la suite d'un remaniement ministériel, la mise en marche de plusieurs points de ce plan tarde toujours à se concrétiser. Or, le PCU assure que «des projets de loi antiracistes» seront présentés dans les mois suivant l’élection générale qui est prévue en mai.

_____________________________

Gabrielle Audet-Michaud

IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO

«Si c’était juste de moi, des projets de loi seraient déjà en travail pour notre prochaine session parlementaire», confie Rajan Sawhney, ministre du Commerce, de l’Immigration et du Multiculturalisme, qui a été assermenté en octobre 2022. «Nous avons accumulé un peu de retard, mais ce n’est pas par manque d’efforts que nous n’avons pas encore fait passer de loi en lien avec notre plan», admet-elle.

Il faut dire que le PCU a été occupé par d’autres dossiers au cours des derniers mois : course à la chefferie, accession au pouvoir de Danielle Smith, promulgation de la Loi sur la souveraineté de l'Alberta dans un Canada uni et premier tête-à-tête avec le gouvernement fédéral… Comme le résume Rajan Sawhney, «faute de temps», le plan d’action n’a pas été la priorité récente des conservateurs, mais «la situation changera après l’élection», précise-t-elle.

Toutefois, si la ministre promet «des actions politiques concrètes en 2023», c’est en partie parce que le plan d’action présenté par son gouvernement a été accusé d’être timide en la matière. David Shepherd, député du Nouveau Parti démocratique de l'Alberta (NPD) dans la circonscription Edmonton-City Centre, s’est montré très loquace sur le sujet au cours des derniers mois. «On a affaire à un gouvernement qui passe rarement de la parole aux actes», mentionne-t-il.

Le député s’explique mal comment le PCU a pu attendre aussi «longtemps» après le dépôt des recommandations écrites par le Conseil consultatif sur la lutte contre le racisme pour rédiger son plan d’action. Ce comité auquel David Shepherd fait référence avait été mis en place par le gouvernement de l’ancienne première ministre néo-démocrate, Rachel Notley, en 2019 justement pour établir des stratégies de lutte contre la discrimination.

Le fruit du travail du Conseil consultatif aurait dû être mieux «inclus dans le document final du PCU comme c’était d’ailleurs prévu», affirme le député. «Le PCU a laissé traîner ces 48 recommandations sur leur bureau pendant un an avant de finalement se mettre en marche et de présenter leur plan d’action contre le racisme. Sauf que ce plan ignore ou retarde la majorité des recommandations qui avaient été proposées par le Conseil. Ça n’a aucun sens», argumente-t-il.

Des oublis?

L’analyse effectuée par la rédaction du journal révèle des tendances similaires. Le plan du PCU présente 28 actions, dont deux qui avaient déjà été réalisées avant même la publication du document. Certaines idées du Conseil consultatif ont été retenues, mais dans son ensemble, le plan d’action ratisse moins large et prend des actions moins ciblées que ce qui avait été stipulé dans les 48 recommandations.

Il semble aussi avoir eu quelques oublis importants. Par exemple, le PCU relègue à plus tard la question de la collecte de données ethnoraciales qui était pourtant au centre des recommandations du Conseil consultatif. Cette proposition avait été faite «pour s’attaquer au racisme systémique qui accable encore les services publics de la province», note David Shepherd. Une fois collectées, les données ethnoraciales auraient été analysées pour mieux documenter et prévenir ces types de discrimination.

«On ne peut pas comprendre ni régler des enjeux liés à la discrimination raciale si on ne comprend pas avant tout les mécanismes qui y sont liés», explique le député du NPD. Si son parti devait prendre le pouvoir en mai prochain, David Shepherd assure qu’un commissaire sera affecté à la collecte de données ethnoraciales. «Je veux aussi ramener sur la table l’idée de créer un bureau de lutte antiraciste au sein même du gouvernement», dit-il.

De son côté, Rajan Sawhney explique que la collecte de données peut être «problématique» si elle n’est pas effectuée de manière efficace. C’est pourquoi son parti a préféré attendre avant de présenter un tel projet de loi. Or, le PCU organise depuis quelques mois des séances de rétroaction avec la population racisée albertaine afin de recueillir ses commentaires sur la lutte antiraciste et cette question de collecte de données revient souvent. «Ça a été soulevé à plusieurs reprises et je prends bien note de tous ces commentaires», affirme la ministre.

Un autre enjeu fréquemment abordé lors de ces consultations et que le PCU a négligé d’ajouter à son plan d’action est la reconnaissance des diplômes pour les nouveaux arrivants. «Des barrières sont encore présentes pour les nouveaux arrivants lorsqu’ils cherchent à participer à la main-d'œuvre. On doit mettre en place des mesures pour qu’il y ait plus d’équité et d'opportunités d’emplois pour ces personnes», analyse Rajan Sawhney. La ministre se montre toutefois réaliste : son parti devra «solidifier tous ces constats par la promulgation de lois, et ce, dans un avenir rapproché». Elle préfère ne pas s’avancer sur un échéancier précis.

De bonnes bases pour l’avenir

Yic Camara, le directeur général adjoint de Francophonie Albertaine Plurielle (FRAP), a siégé au Conseil consultatif sur la lutte contre le racisme avec vingt-trois autres personnes pendant trois ans, de février 2019 à janvier 2022. Au sein d’un sous-comité, ses collègues et lui se sont d'ailleurs chargés de rédiger les recommandations sur la reconnaissance des diplômes des nouveaux arrivants. Même s’il relève une certaine passivité au sein du plan d’action du PCU, Yic dit se réjouir de «ce premier pas qui met les bases pour le futur».

«Ce n’est pas forcément tout ce qu’on aimerait mettre en place, ajoute-t-il, mais il faut bien commencer quelque part.» Le directeur général adjoint de la FRAP rappelle aussi que le Conseil consultatif a bien failli perdre son mandat au moment des élections générales de 2019. «Il y avait énormément d'incertitudes par rapport à notre travail. On ne savait même pas si le gouvernement conservateur allait reprendre cette idée de Council qui avait été mis en place sous le NPD», se remémore-t-il.

En outre, il est reconnaissant que le gouvernement ait inclus dans son plan une action qui vise à actualiser le curriculum de la maternelle à la douzième année pour y ajouter des concepts liés à la diversité et à la lutte antiraciste. Le Conseil consultatif avait fait cinq recommandations liées au système d’éducation, car, comme le rappelle celui qui a aussi travaillé comme agent communautaire dans les écoles, «la sensibilisation auprès des jeunes est primordiale».

Autre bonne nouvelle, estime Yic, la mise en place de consultations sur le racisme, dans toute la province, chapeautées par différents organismes. L’ACFA, par exemple, a tenu deux séances de consultation en français à Calgary et à Edmonton les 7 et 9 février dernier. «C’est important que les membres de la communauté francophone [puissent] s’exprimer et faire valoir leurs points dans ce combat parce qu’ils font à la fois face à de la discrimination linguistique et à du racisme», examine-t-il.

  • Nombre de fichiers 4
  • Date de création 28 février, 2023
  • Dernière mise à jour 28 février, 2023
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article