Un partenariat de l’Hôpital d’Ottawa avec le privé qui dérange

Par Émilie Gougeon-Pelletier|21 avril 2023

Un groupe privé de chirurgiens orthopédiques, les Academic Orthopedic Surgical Associates of Ottawa, loue des salles opératoires du campus Riverside de l’Hôpital d’Ottawa les samedis depuis la fin février. (Simon Séguin-Bertrand/Le Droit)

Le NPD ontarien soupçonne la ministre de la Santé Sylvia Jones d’avoir contrevenu à la Loi sur les hôpitaux publics.

Un groupe privé de chirurgiens orthopédiques, les Academic Orthopedic Surgical Associates of Ottawa (AOAO), loue des salles opératoires du campus Riverside de l’Hôpital d’Ottawa les samedis depuis la fin février pour effectuer des opérations aux genoux et aux hanches.

La Loi ontarienne sur les hôpitaux publics oblige la ministre de la Santé à donner son accord signé pour la location d’un local, d’un bâtiment ou d’un terrain.

Or, la ministre Sylvia Jones ne l’a pas fait.

«Depuis des mois, la clinique privée [des AOAO] s’accapare le personnel soignant des blocs opératoires, leur offrant le double de leur salaire normal, et de nombreuses questions ont été soulevées sur la façon dont cette clinique à but lucratif a été autorisée à fonctionner», ont affirmé le député néo-démocrate d’Ottawa-Centre, Joel Harden, et sa collègue porte-parole en matière de santé, France Gélinas, cette semaine à Queen’s Park.

Or, il n’y a aucune trace d’une approbation écrite de la ministre pour la simple raison qu’elle n’avait pas besoin de le faire, soutient Sylvia Jones dans une lettre envoyée aux députés néo-démocrates, jeudi.

«L’exigence d’approbation prévue au paragraphe 4 (4) de la Loi sur les hôpitaux publics ne s’applique pas dans les circonstances actuelles, car L’Hôpital d’Ottawa ne loue aucun des locaux de l’hôpital ni ne dispose autrement d’un intérêt foncier», a-t-elle écrit.

Lorsque questionné à ce sujet, l’Hôpital d’Ottawa a renvoyé au Droit le communiqué de presse qui avait été publié quatre semaines suivant l’entente avec les AOAO.

«Le partenariat avec les AOAO, y compris notre entente de location des lieux, n’est pas différent des partenariats que nous avons conclus avec nos 19 emplacements satellites dans la collectivité, nos services alimentaires et divers autres services aux patients et au personnel offerts à l’Hôpital», écrivait l’administration, confirmant qu’il s’agit effectivement d’une entente locative.

L’Opposition officielle à Queen’s Park ne dérougit pas. «Pour moi, c’est étrange. C’est interdit de louer les salles d’un hôpital public à une corporation privée, sauf si la ministre a donné la permission», martèle Joel Harden.

Rappelons que le gouvernement Ford a déposé un projet de loi, en février, visant le transfert de certaines opérations en santé vers des établissements privés financés par la province. L’objectif est de réduire la liste d’attente croissante pour certaines chirurgies.

Les temps d’attente à l’Hôpital d’Ottawa atteignent parfois les six mois, soit le double du temps fixé par la province.

L’établissement dit avoir constaté une augmentation de 20% de la productivité chirurgicale depuis le début de son partenariat avec le groupe privé de chirurgiens.

Manque de personnel

Ce partenariat conclu entre l’Hôpital d’Ottawa et les AOAO a fait couler beaucoup d’encre depuis son dévoilement, en mars dernier.

«Nous n’avons pas diffusé beaucoup de précisions au sujet de ce projet pilote pour diverses raisons», admettait l’établissement dans son communiqué, qui indiquait que l’entente avait été conclue quatre semaines plus tôt.

«D’abord, nous voulions examiner les données pour nous assurer que ce partenariat réduirait bel et bien les temps d’attente pour l’ensemble de nos patients. Ainsi, nous évitions de faire des promesses que nous ne pouvions pas tenir. Ensuite, nous voulions nous assurer que ce modèle n’accentue pas notre pénurie de personnel.»

L’accentuation de la pénurie de personnel est pourtant exactement ce que déplorent plusieurs porte-paroles en matière de santé.

«Ce n’est pas des lits, des locaux ou des infrastructures dont le système a besoin, mais bien des infirmières, du personnel», affirme l’infirmière auxiliaire à l’Hôpital d’Ottawa, Rachel Muir.

Présidente de l’unité de négociation de l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario pour l’Hôpital d’Ottawa, elle déplore un «manque de transparence» de la part de l’établissement.

Elle affirme que l’administration a pris beaucoup trop de temps pour informer son syndicat à propos du partenariat avec les AOAO.

C’est important, dit-elle, puisque pendant un certain temps, certaines infirmières n’étaient pas au courant qu’en acceptant d’assister à une chirurgie organisée par les AOAO, elles ne sont pas protégées par le syndicat de la même manière que lors d’opérations «normales» organisées par l’hôpital.

Si un patient ou la famille d’un patient se plaint d’un mauvais résultat suivant une opération menée par les AOAO, par exemple, ou s’ils décident de poursuivre l’infirmière en justice, elle n’a pas accès au département légal du syndicat, mentionne Rachel Muir.

«Maintenant, elles le savent et elles savent quelles mesures prendre pour se protéger. Mais ça a pris plus de temps que ça aurait dû», déplore-t-elle, notant un manque de transparence chez son employeur.

Transparence

Le coprésident de la Coalition de santé d’Ottawa, Ed Cashman, se plaint lui aussi d’un manque de transparence de la part de l’Hôpital d’Ottawa. «Ils cachent quelque chose, certainement», accuse-t-il.

Le partenariat entre le campus Riverside et les AOAO a incité M. Cashman à effectuer 18 demandes d’accès à l’information aux hôpitaux d’Ottawa et de l’Est ontarien.

Il voulait connaître la capacité des blocs opératoires de ces centres hospitaliers et savoir si ces établissements avaient l’intention de louer leurs salles à des entreprises ou des cliniques privées.

Selon les données qu’il a obtenues, la plupart des salles d’opération ne sont utilisées que les jours de semaine et pendant les heures de jour - généralement entre 7h30 et 15h30. Certaines salles d’opération des hôpitaux régionaux sont utilisées moins de cinq jours par semaine.

Jusqu’à présent, 11 hôpitaux de la région ont répondu aux demandes d’Ed Cashman.

L’Hôpital d’Ottawa, le plus grand hôpital de la région, n’a pas encore répondu à sa demande d’information déposée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée.

Le coprésident de la Coalition de santé d’Ottawa a d’ailleurs déposé une plainte auprès de la Commissaire à l’accès à l’information et à la protection de la vie privée, dont Le Droit a obtenu copie.

«Je n’ai toujours pas reçu le matériel demandé et j’ai été confronté à des retards inhabituels et inacceptables en cours de route», a-t-il écrit, demandant une enquête.

À l’hôpital Montfort, 91,4% des neuf salles d’opération ne sont utilisées qu’entre 7h et 15h.

Dans sa réponse à la demande d’accès, l’établissement de santé soutenait devoir attendre la réponse de «tierce partie» avant de pouvoir s’avancer sur la question des locations de salles opératoires. M. Cashman attend toujours cette partie de la réponse..

Or, l’Hôpital Montfort avait indiqué au Droit, au début du mois de mars 2023, que des partenariats comme celui des AOAO à l’Hôpital d’Ottawa ne sont pas dans les plans.

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  • Date de création 25 avril, 2023
  • Dernière mise à jour 25 avril, 2023
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