Un nouveau bilinguisme canadien est possible - Unité canadienne

Dans la sphère francophone du Manitoba, Bernard Bocquel est le premier immigrant et le premier journaliste à être admis à l’Ordre du Canada. Pour le récipiendaire, une occasion exceptionnelle de mettre en lumière le sujet qui l’occupe depuis ses 45 ans au Canada : le bilinguisme canadien.

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Ophélie Doireau

IJL – Réseau.Presse – La Liberté

Pour l’essentiel, Bernard Bocquel a été reconnu pour sa contribution au journalisme et pour le regard historique qu’il a posé sur la francophonie manitobaine (1). L’honneur reçu lui permet de proposer une nouvelle vision pour le bilinguisme canadien.
« Comme bilingue de naissance français-allemand, la question qui s’est tout de suite imposée à mes débuts manitobains était : Comment est-ce possible qu’il y ait encore des bilingues français-anglais fonctionnels au Manitoba?

« La fin des années 1970 était l’époque des grandes luttes d’un noyau dur de parents francophones en faveur d’écoles françaises. Pour moi, leur motivation, c’était de s’assurer que leurs enfants puissent aussi devenir des bilingues fonctionnels. Certains parents qui avaient encore la fibre très canadienne-française voyaient encore leur bilinguisme comme un bilinguisme de soumission. Historiquement et sociologiquement, on le sait bien, un bilinguisme de soumission, c’est un état entre deux unilinguismes. Alors que pour moi, je voyais l’avenir de leurs enfants comme des bilingues d’adhésion à condition évidemment qu’une bonne atmosphère soutienne cette perspective. Tout l’enjeu étant d’assurer que l’on reste dans un bilinguisme d’adhésion de génération en génération.

« Le bilan de tous les éditos pro-bilinguisme que j’ai pu écrire dans La Liberté dans les années 1980 revenait toujours à mettre en évidence une frustration du militant : les avancées linguistiques dépendaient toujours de la volonté politique. Or, cette volonté politique ne s’exprimait, généralement, que dans un cadre de rapport de force. L’exception ayant été en 1970, quand le gouvernement provincial néo-démocrate, d’Ed Schreyer, avait révoqué la loi de 1916 qui interdisait l’enseignement en français. Mais là encore, les parents étaient dans l’obligation de convaincre les commissions scolaires de l’importance des écoles françaises. Les anti-bilinguisme dont la conviction avait été renforcée par la Loi sur les langues officielles de 1969 étaient plus actifs que jamais.

« Pour les pro-bilinguisme, le problème à résoudre était : Comment faire pour que les gens au pouvoir agissent d’une manière constante en faveur du bilinguisme?

« Au début des années 1990, quand je me suis penché sur l’histoire de CKSB, dans la perspective du 50e anniversaire du premier poste de radio francophone à l’extérieur du Québec, il était déjà clair que la création du Manitoba par les Métis canadiens-français relevait d’une quasi-impossibilité. Tout simplement parce qu’Ottawa n’avait pas pu envoyer immédiatement des troupes pour écraser ce que le maître Ottawa considérait comme une rébellion.

« Dans mes recherches pour Au Pays de CKSB, je constate qu’on avait complètement perdu de vue qu’il avait aussi fallu des circonstances exceptionnelles pour que le maître d’Ottawa cède à ceux qui voulaient la radio française. En fait, il est évident que le permis donné en 1944 à CKSB pour émettre était une concession en temps de guerre.

« Cette prise de conscience ne faisait que renforcer à mes yeux la quasi impossibilité d’une francophonie manitobaine dans les années 1970. Un constat qui ne faisait que souligner à quel point la question de la volonté politique dans un contexte majoritaire/minoritaire était cruciale.

« C’est là que j’ai bénéficié de circonstances pour tenter de résoudre l’insoluble question du rôle de la volonté politique dans les rapports majoritaires/minoritaires. À la fin des années 1990, mon frère, Roger Bocquel, qui depuis longtemps travaillait à inventer un jeu de cartes, a fait une découverte extraordinaire. Il a compris que tous les jeux de société fonctionnaient dans une logique de dominant/dominé où que « un gagne ». Dans son modèle, il suffit que chacune des quatre personnes jouant au jeu refuse de gagner seule, c’est-à-dire de jouer ensemble à « au moins deux gagnent », pour que toutes se trouvent affranchies de toute logique de domination : l’agression d’un joueur envers un autre est impossible.

« Mon frère m’a donc fait comprendre que des joueurs qui se trouvent hors de toute logique de dominant/dominé sont en situation de souveraineté personnelle. Autrement dit, il s’agissait de faire comprendre à un bilingue de naissance que dans sa vie il ne jouait pas à « que deux langues » mais bien à « au moins deux langues ».

« Au tournant du millénaire, les circonstances m’ont de nouveau bien servi grâce à la relation que j’avais développée avec l’abbé Maurice Deniset Bernier. Son cousin, Robert Bernier avait, en 1951, publié un traité de morale philosophique où il faisait valoir la nécessité, non pas juste l’intérêt, d’une gouvernance mondiale, mais la nécessité d’un véritable État humain.

« Robert Bernier était une pointure intellectuelle de première force. La preuve étant que lorsque Pierre Elliott Trudeau est devenu Premier ministre en 1968, il avait déclaré que l’homme qui l’avait le plus influencé dans sa vie était ce jésuite né à Saint-Boniface.

« En réunissant la découverte de mon frère et la pensée politique de Robert Bernier, il s’est alors dégagé une solution simple : le pouvoir fédéral devrait appliquer une volonté politique constante en faveur d’un bilinguisme d’adhésion. En sortant d’un bilinguisme de concession pour appuyer un bilinguisme d’adhésion, il devient possible à faire admettre la vision quasi-utopique que l’avènement d’un État humain est concevable.

« Dans une pareille perspective, le Canada, état de droit, a donc la possibilité de défendre le bilinguisme officiel d’une toute nouvelle façon. Appuyer le bilinguisme d’adhésion c’est assumer une toute nouvelle raison d’être pour le pays : s’affirmer protecteur de l’État humain. Un état qui devra bien émerger un jour quelque part, mettons à Winnipeg/Saint-Boniface. »

Voilà un survol de la pensée de Bernard Bocquel comme messager de l’État humain. Pour appuyer son message, il a écrit, entre autres, deux essais sur la question qu’il est possible de lire sur le site web de La Liberté : Se souverainiser pour s’humaniser, essai sur le potentiel d’une découverte qui rend possible la victoire sur la Loi du plus fort et UTOPIE CANADA, réflexion sur le sens à donner à la francophonie canadienne qui contient une énergie qui a le potentiel de faire déboucher les Canadiennes et Canadiens sur l’Universel.

(1) Au Pays de CKSB, 50 ans de radio française au Manitoba, 1996; CKSB, la radio du petit Canada, 2006; Laurent Desjardins, un sportif en politique, 2008 et Les Fidèles à Riel, 125 ans d’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba, 2012.

 

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Photos : 

Bernard Bocquel, au Centre du patrimoine où il a déjà passé bien du temps à effectuer des recherches. Pour lui, les deux organisations primordiales du Manitoba français sont la Société historique de Saint-Boniface et l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba. + photo : Marta Guerrero

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  • Date de création 16 janvier, 2023
  • Dernière mise à jour 16 janvier, 2023
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