Un crédit d’impôt pour touristes pour les manifestants du «Convoi de la liberté»?

Par Émilie Gougeon-Pelletier|26 avril 2023

Des Ontariens qui ont séjourné à Ottawa pour participer à l’occupation du centre-ville par le «Convoi de la liberté» pourraient être admissibles à un crédit d’impôt visant à encourager l’économie locale.

Au début de l’année 2022, le gouvernement Ford a annoncé la création du «crédit d’impôt pour les vacances en Ontario».

Il avait été créé pour la première fois en 2021, mais le retour au confinement en raison de nouvelles vagues de la pandémie de COVID-19 avait forcé la province à repousser l’initiative à plus tard.

Cette compensation temporaire visait à encourager les Ontariens à «redécouvrir la province et à soutenir l’importante industrie touristique provinciale pendant le congé de mars et toute l’année».

Elle permet de récupérer jusqu’à 20% des frais d’hébergement pour des séjours entre le 1er janvier et le 31 décembre 2022, jusqu’à concurrence de 1000 dollars pour un particulier ou de 2000 dollars pour une famille, soit un crédit maximal de 200 dollars ou de 400 dollars, respectivement.

Suffit d’avoir conservé sa facture d’hôtel ou d’auberge, par exemple, et de fournir les dates du séjour, l’adresse de l’hébergement, le coût et la TPS/TVS payée.

«Ce crédit d’impôt compte parmi les mesures que prend notre gouvernement pour remettre de l’argent dans les poches des familles, dynamiser les rues principales des communautés de notre province et soutenir une reprise économique vigoureuse», annonçait le ministre des Finances, Peter Bethlenfalvy.

«Convoi de la liberté»

Le 14 février 2022, le média anglophone de droite True North indiquait à ses abonnés sur Facebook que ceux qui ont séjourné à Ottawa pour participer à la manifestation du «Convoi de la liberté» pourraient être admissibles au crédit d’impôt pour les vacances en Ontario.

Des milliers d’utilisateurs ont partagé et des centaines ont commenté la publication. Certains étaient bien heureux de l’apprendre.

«Ça me paraît juste. Puisque les libéraux/conservateurs/npd/bloc ont tous profité de la PCU, les camionneurs et les combattants de la liberté peuvent profiter de ce crédit d’impôt», a écrit une utilisatrice, Gail Tookey.

D’autres ont déconseillé la tactique, craignant des représailles s’ils sont identifiés comme participants à l’occupation illégale du centre-ville d’Ottawa à l’hiver 2022.

«Pourquoi donner son information volontairement au gouvernement? [...] Ce que nous devons tous faire, c’est refuser de déclarer nos impôts jusqu’à ce qu’ils soient tous absents et qu’une nouvelle forme de gouvernement soit en place!», s’est exprimée l’utilisatrice Isabelle Chartier.

Dans une autre publication sur Facebook, un utilisateur a lui aussi offert cette information à ses abonnés.

«Avez-vous séjourné dans un hôtel pendant le Convoi de la liberté 2022, ou avez-vous réservé un chalet, un motel, un centre de villégiature, un gîte, une chambre d’hôtes, un terrain de camping ou une location de vacances? Eh bien, vous pouvez récupérer de l’argent sur votre impôt sur le revenu», a écrit Jon Nisbett.

«Est-ce une tactique pour forcer les gens à déclarer qu’ils sont allés à ce festival de la liberté amoureuse? Qu’ils soient Canadiens ou Américains, je pense que nous sommes d’accord sur le fait que le gouvernement ne fait rien à moins qu’il ne le fasse pour s’aider lui-même... alors quel est le raisonnement?», questionne l’utilisatrice Michelle Kriess.

«Eh bien, j’ai beaucoup de frais d’hôtel à cause du convoi et tout au long de 2022. Voyez s’il m’arrive quelque chose», répond Jon Nisbett.

Des milliers de chambres d’hôtels

La Commission sur l’état d’urgence a permis d’apprendre que le 25 janvier, le président de l’Association des Hôtels d’Ottawa-Gatineau, Steve Ball, avait informé la Ville d’Ottawa que des organisateurs du «Convoi de la liberté» tentaient d’héberger environ 10 000 manifestants, provenant de partout au pays, dans un rayon de 15 minutes du centre-ville.

Le maire d’Ottawa Jim Watson, questionné devant le juge Paul Rouleau, a expliqué que cette information ne l’avait pas poussé à l’action puisque le fait de réserver 9000 à 10 000 chambres dans une ville qui n’en compte que 11 000 ne lui semblait pas réaliste.

Or, tous les hôtels de la région affichaient complet, quelques jours plus tard.

Lettre au premier ministre

En février 2022, le maire Watson avait envoyé une lettre au premier ministre ontarien Doug Ford pour lui demander de s’assurer «que les personnes impliquées dans l’occupation illégale ne [bénéficient pas] du crédit d’impôt, puisque l’application d’un tel crédit d’impôt profiterait financièrement aux personnes ayant participé à l’occupation illégale».

Le Droit a tenté de savoir si le gouvernement ontarien partageait les inquiétudes de l’ex-maire Watson, et s’il avait tenté de modifier sa loi pour empêcher les participants à l’occupation du centre-ville d’Ottawa de recevoir un remboursement pour leur hébergement.

Or, tant le bureau du premier ministre Ford que celui du ministre des Finances Peter Bethlenfalvy ont répondu que bien que le crédit d’impôt émane de la province, il est administré par l’Agence du Revenu du Canada (ARC) et qu’il s’agit donc d’un sujet de juridiction fédérale.

Une source haut placée au sein du gouvernement ontarien nous a indiqué que c’est l’ARC qui prendra la décision ultime face à l’admissibilité des individus, et que c’est l’ARC qui a la capacité de savoir si le demandeur fait une déclaration qui est liée à des vacances ou non.

Frustrations

«C’est au ministre des Finances de s’assurer que personne ne puisse bénéficier d’un crédit de taxe ontarien pour avoir harcelé les gens de la Ville d’Ottawa», peste le député d’Ottawa-Centre, Joel Harden.

Il doit y avoir une enquête publique à ce sujet, déclare le député néo-démocrate. «C’était une occupation illégale du centre-ville. Le ‘Convoi de la liberté’ a empêché les petites entreprises locales du centre-ville d’opérer pendant un mois. Ils ne devraient pas avoir droit à un crédit d’impôt qui a pour but d’aider l’économie locale», s’insurge Joel Harden.

Son voisin, le député libéral d’Ottawa-Sud John Fraser, est d’accord.

«Ce serait l’inverse de ce que veut accomplir ce crédit d’impôt. Ces gens ont mis des entreprises à risque, ils ont fait perdre des revenus à certaines personnes. C’est pervers que ces individus pourraient recevoir une compensation de la province, qui n’a rien fait pour aider Ottawa pendant l’occupation.»

Les Canadiens ont jusqu’au 30 avril pour déclarer leurs revenus et prestations pour l’année 2022.

L’Agence du Revenu du Canada a fait savoir au Droit qu’elle répondra aux questions à propos de l’admissibilité des participants au «Convoi de la liberté» à Ottawa au crédit d’impôt pour les vacances en Ontario d’ici les deux prochaines semaines.

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  • Date de création 27 avril, 2023
  • Dernière mise à jour 27 avril, 2023
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