Un chercheur français redonne aux Franco-terreneuviens

André Magord, chercheur et folkloriste français, met la loupe sur la langue et la tradition des Franco-Terre-Neuviens de la péninsule de Port-au-Port depuis 1987. Après près de 40 ans de collecte d'enregistrements et de publication des résultats, son prochain projet vise à restituer les données à qui elles appartiennent.

_______________________

Liz Fagan

IJL - Réseau.Presse - Le Gaboteur

«Ce n'est pas parce que nous enregistrons les paroles qu'elles lui appartiennent», dit André Magord, chercheur en civilisation américaine à l’Université de Poitiers. «Il faut qu'elles retournent le plus possible d'où elles viennent. C'est ce qui est juste.»
Après près de 40 années de collecte de récits, contes, chansons et traditions francophones d’Amérique du Nord, notamment de la péninsule de Port-au-Port, chercheur et folkloriste français André Magord est sur la dernière ligne droite d'un projet de recherche de longue haleine avant de prendre sa retraite. Sa dernière mission? Rendre ce qu'il a appris à ceux dont il a appris.

En visite dans la province début mai, à Cap Saint-Georges et à St. John's, pour consulter des membres du peuple sujet de ses recherches et pour fouiller dans les archives folkloriques de l'université Memorial, il a également pris du temps pour rencontrer l’équipage du Gaboteur pour parler de son projet et de cette minorité francophone qui lui tient à cœur.

Des années de recherche dans une bibliothèque vivante

Rassembler toute une bibliothèque numérique de collections sonores provenant de différentes régions et publier un livre final dédié à ceux qui ont contribué leurs histoires et leurs chansons: c'est à cela qu'André Magord a consacre la dernière
étape de sa carrière académique.

Francoralité, un répertoire numérique d’enregistrements accessible à tous, est déjà en ligne. Développé en partenariat avec l'Université de Moncton, l'Université Sainte-Anne, l'Université Laurentienne, l'Université Saint-Boniface et l'Université de Louisiane, la portée du projet est très large. Toujours à ses débuts, la bibliothèque sonore regroupe les fonds de littérature orale collectés depuis 1930 du Centre-Ouest de la France, de Terre-Neuve, du continent canadien et même des États-Unis.

Plutôt que de s'engager dans des discussions formelles avec l'intention de les publier dans des articles de journaux, les participants se sont engagés dans des conversations informelles pour raconter des histoires sur leur vie, des contes ou
des légendes du coin, ou pour chanter des chansons traditionnelles. Chaque enregistrement peint un tableau authentique de la richesse de la langue et culture d'un lieu et d'un moment précis et donne un aperçu de la vraie vie de ces personnes.

Avec de nombreux enregistrements sonores déjà disponibles sur son site web, combien d'enregistrements le projet prévoit-il en total? «Pour le moment, il y en a juste des milliers», admet monsieur Magord. «Éventuellement il y en aura des centaines de milliers.»

Si la recherche et la carrière académique d’André Magord ont débuté en 1987 à Terre-Neuve, le français attribue au regretté folkloriste Gerald Thomas d'avoir suscité son intérêt personnel et l'intérêt universitaire en général, pour la culture francophone de la région de Port-au-Port.

Chercheur au département de français et d'espagnol et au département de folklore de l'Université Memorial et fondateur du Centre d'études franco-terreneuviennes des archives de l'Université, Gerald Thomas a commencé à collecter des récits, contes et chansons franco-terre-neuviens à partir des années 1960 et a consacré toute sa carrière à l'étude de la langue française et de la littérature orale de la péninsule de Port-au-Port.

Pour Jocelyne Thomas, collègue et bras droit de monsieur Magord pour les recherches sur la péninsule de Port-au-Port, et fille de Gerald Thomas, ce projet lui tient à cœur, comme elle a grandi entourée par le travail de son père. «J’étais formée en folkloriste, j’ai passé mon enfance en folkloriste», réclame-t-elle. La chercheuse décrit comment elle a passé beaucoup de temps sur la péninsule en tant qu’enfant avec son père.

Selon les chercheurs, ce travail est plus important que jamais, car il reste peu de folkloristes spécialisés dans la culture franco-terre-neuvienne. La langue et la culture sont encore en pleine croissance.

Il est donc nécessaire de poursuivre ce travail et de rendre la pareille aux populations qui le soutiennent afin que les deux puissent se développer en harmonie.

Rester fidèle à la mission

En détenant un doctorat en sociologie de l'éducation, en plus de son parcours de folkloriste, Jocelyne Thomas travaille en tant qu’éditrice, écrivaine et chercheuse. Elle apporte son expérience diversifiée au projet, et aide à donner une structure et un contexte aux collections. «Si vous voulez présenter cette recherche dans un contexte académique, vous avez besoin de notes de bas de page, de bibliographies...», dit-elle. «Mais pour le grand public, c'est différent.»

Elle prend en exemple le français terre-neuvien écrit. André Magord et Jocelyne Thomas visent à trouver un équilibre dans la façon dont il est présenté dans l'œuvre, pour rester fidèle au dialecte tout en demeurant compréhensible pour le grand public.

La préservation de l'intégrité des dialectes est essentielle au projet. Faisant référence à la controverse entre le français régional et le français standard, madame Thomas insiste sur la nécessité de représenter correctement les variétés de français et de ne pas la modifier. «Imaginez si c’était un travail en anglais et on corrigeait l’anglais terre-neuvien», compare-t-elle. «Tout le monde se mettrait à hurler, mais en français ils veulent tout corriger.» Monsieur Magord hoche la tête en signe d'assentiment.

«[Mon père] mettait beaucoup de linguistique dans son travail, et soulignait beaucoup l’importance du contexte», explique la chercheuse. Il a même développé une façon d'écrire le français terre-neuvien afin de préserver le dialecte qui ne s’exprimait auparavant qu’oralement, souligne-elle. En préservant les dialectes régionaux, plus de valeur s’ajoute au projet. Ceux qui s'intéressent aux variétés linguistiques, à la littérature orale, à l'histoire et l’identité culturelle d’une société oud’une famille peuvent tous profiter de cette nouvelle ressource.

Initiative de...? Écrit par...?

En plus de la bibliothèque sonore, Francoralité, les chercheurs travaillent sur un livre qui partagera les recueils de la péninsule de Port-au-Port.

Pour monsieur Magord, il est essentiel que cette œuvre ne porte pas son nom, ni le nom de quiconque, à l'exception des habitants de la région. Il ne veut même pas que son nom apparaisse sur la couverture. Pendant la rencontre avec Le Gaboteur, son antenne terre-neuvienne lui a fait quelques suggestions, mais le chercheur français campe sur ses positions.

Parfois dans la recherche académique, certains chercheurs se déclarent propriétaires des données qu'ils ont collectées. Parfois les noms des participants sont omis et dans certains cas ils ne voient probablement jamais le produit final. Ce n'est pas ainsi que fonctionnera ce projet, affirme André Magord.

Les deux chercheurs sont manifestement passionnés par ce projet et négocient les prochaines étapes pour le travail, avec toute l’équipe du projet et avec les peuples concernés. Ceci est fondamental pour le développement réussi d'un projet, où plus il y a de mains sur le pont, mieux c'est pour tous.

-30-

Photo: BD.png
Bande dessinée: Tiphaine Gantheil
Caption: Pour sensibiliser le grand public à l'importance du projet, ainsi qu'aux similitudes et aux différences des cultures concernées, l'équipe de recherche a publié cette bande dessinée.

Photo: andre-jocelyn.png
Photo: Cody Broderick
Caption: Classés par thème, par région, par enquêteur et par informateur, les enregistrements présents sur Francoralité sont catégorisés et faciles à trouver. Certains des enregistrements réalisés sur la péninsule de Port-au-Port proviennent d'André lui-même, mais il n'est pas le seul folkloriste à s'être aventuré avec un micro et un enregistreur. Des enregistrements réalisés par Mark Cormier, conteur franco-terre-neuvien, musicien et enseignant à la retraite, sont également facilement accessibles.

Photo: andre-jocelyn2.png
Photo: Cody Broderick
Caption: André Magord (à droite) et Jocelyn Thomas (à gauche) font partie de toute une équipe de collaborateurs et de chercheurs derrière le projet Francoralité venant de la France et de l’Amérique du Nord.

  • Nombre de fichiers 4
  • Date de création 29 mai, 2023
  • Dernière mise à jour 1 juin, 2023
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article