Un cercle vicieux d’affaiblissement dans les hôpitaux ontariens

ÉMILIE GOUGEON-PELLETIER

Initiative de journalisme local — Le Droit

Ça va mal dans les hôpitaux de l’Ontario.

«Ne tombez pas malade», lance à la blague, mais pas vraiment, l’infirmière auxiliaire à l’Hôpital d’Ottawa, Rachel Muir.

Présidente de l’unité de négociation de l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario pour l’Hôpital d'Ottawa, cette dernière craint l’effondrement du système de santé de la province. «Tout est en train de tomber autour de nous. Nous perdons des infirmières, c’est une vraie hémorragie», insiste-t-elle.

Fermetures

Les hôpitaux sont à court de personnel, les travailleurs de la santé sont épuisés et tombent malades, et les patients sont victimes des temps d’attente à la hausse et des fermetures des salles d’urgence. 

À Perth, à environ une heure de route au sud-ouest d’Ottawa, la salle d’urgence de l’hôpital local est fermée depuis le 2 juillet en raison d’un manque crucial de personnel. 

Au Sud-Ouest de l’Ontario, à Mount Forest, l’Hôpital Louise Mashall a annoncé cette semaine la fermeture de ses urgences, samedi et dimanche soir, en raison de lacunes dans la couverture des soins infirmiers et d’une éclosion de COVID-19.

Dans le comté de Huron, deux salles d’urgence ont aussi dû fermer leurs portes, lundi et mardi soir.

Ces fermetures récentes sont principalement survenues dans des communautés rurales et éloignées, mais elles s’étendent aussi aux centres urbains.

À Brampton, banlieue de Toronto, le centre de soins d’urgence du Peel Memorial a fermé plus tôt qu’à la normale, dimanche dernier.

Par ailleurs, les temps d’attente augmentent progressivement à travers les salles d’urgence de la province. 

Personnel surchargé

Le personnel de la santé est au bout du rouleau et l’épuisement a aussi un impact sur la santé mentale et physique. 

«Les infirmières sont épuisées. Et quand elles tombent malades, elles s’absentent plus longtemps. Leurs vacances ne sont parfois pas accordées. Elles font beaucoup d’heures supplémentaires, ce qui n’aide pas cet épuisement. Comme nous le savons, lorsque vous êtes physiquement épuisé, vous êtes plus vulnérables aux virus. Nous constatons aussi une forte augmentation des blessures liées au travail, qui touchent les muscles, les blessures au dos, ce genre de choses.»

De plus en plus malades

Les patients, qui sont plusieurs à avoir vu leurs traitements retardés ou à attendre à la dernière minute pour se rendre à l’hôpital par crainte d’y contracter la COVID-19, sont de plus en plus malades, note Rachel Muir.

«Ils doivent passer plus de temps au triage, et quand ils passent le triage, c’est plus long avant de pouvoir être vus, et quand ils sont vus, c’est plus long avant qu’ils puissent être traités. Et quand ils sont enfin traités, c’est plus long pour obtenir tout ce dont ils ont besoin pour rentrer chez ou ou pour obtenir un lit. Et s’ils doivent être admis, ils passent parfois deux ou trois jours à l’urgence parce qu’il n’y a pas de lit pour eux.»

L’infirmière auxiliaire précise que «les patients seront toujours soignés, évidemment, et que s’il s’agit d’une crise de santé critique, ils seront vus immédiatement».

« Nous constatons une augmentation de la violence de la part des patients, des familles et des visiteurs parce qu’ils ne reconnaissent pas que la demande est constante et qu’elle est en perpétuelle croissance. »

Rachel Muir, infirmière auxiliaire à l’Hôpital d’Ottawa

Violence

Mais la surcharge du personnel fait en sorte qu’il est devenu presque impossible pour les infirmières de poser les «gestes gentils» habituels, comme faire bouffer les oreillers, offrir des verres d’eau ou parvenir aux soins d’hygiène des patients qui ont la capacité de le faire eux-mêmes.

«Les infirmières n’ont plus le temps de faire ça. Elles font les choses qui doivent être faites, comme les pansements, les médicaments, la gestion des crises.»

Les patients et leurs proches s’impatientent, et Rachel Muir parle d’une hausse des incidents de violence.

«Nous constatons une augmentation de la violence de la part des patients, des familles et des visiteurs parce qu’ils ne reconnaissent pas que la demande est constante et qu’elle est en perpétuelle croissance. Ces tâches, les ‘gestes gentils’, ne sont pas faites, et ils se fâchent. On comprend que c’est frustrant, mais on veut que le public sache que nous n’allons jamais mettre en péril leur prise en charge même s’il y a des choses que nous faisions avant que nous ne pouvons plus faire maintenant.»

Cercle vicieux

Tous ces éléments combinés constituent un cercle vicieux qui devient de plus en plus infernal, selon l’infirmière Rachel Muir.

Elle juge que pour remédier à la situation, le gouvernement ontarien doit mettre fin à son projet de loi 124, qui limite à 1% la hausse salariale annuelle que peuvent recevoir les travailleurs du secteur public.

Malgré les demandes répétées des syndicats et de l’opposition à Queen’s Park, le premier ministre ontarien Doug Ford refuse toujours de se plier à cette demande.

Transferts en santé

Selon Doug Ford, la solution réside notamment dans les transferts fédéraux en santé. 

Il était en Colombie-Britannique, lundi et mardi, pour rencontrer ses homologues provinciaux du Conseil de la fédération.

L’augmentation de la contribution du gouvernement fédéral était au cœur des discussions des premiers ministres provinciaux durant cette rencontre.

Ceux-ci demandent qu’Ottawa augmente ces transferts de 22% à 35%, soit environ 28 milliards de plus par année. 

Or, il est peut-être temps que les premiers ministres provinciaux «changent de cassette», croit le directeur du Centre d’excellence sur la Fédération canadienne de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), Charles Breton.

«Il y a différentes raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral refuse d’augmenter les transferts», indique l’expert. 

«D’abord, c’est faux de dire que les transferts n’augmentent pas, ils augmentent chaque année depuis le début des années 2000. [...] Et à la décharge du gouvernement fédéral, même si le transfert augmente chaque année, il ne semble pas avoir d’amélioration en santé. Les problèmes persistent, alors même si le gouvernement fédéral augmentait le pourcentage de 22 à 35%, le passé ne semble pas indiquer que ce serait garant d’amélioration.»

Il explique par ailleurs que les transferts en santé sont envoyés dans les «revenus généraux» des provinces. 

«Les provinces peuvent faire ce qu’elles veulent avec ces fonds, elles ne sont même pas obligées de les mettre en santé. Il n’y a aucun mécanisme qui suit cet argent.»

Charles Breton estime que c’est pour cette raison que les premiers ministres provinciaux tiennent mordicus à l’augmentation de cette contribution fédérale.

Ford doit dépenser, selon l’opposition

À la lumière des nombreuses fermetures des salles d’urgence à travers la province, les partis d’opposition à l’Assemblée législative de l’Ontario demandent au gouvernement de Doug Ford de dépenser plus pour les services de santé.

Selon un récent rapport du Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario, le gouvernement Ford est celui qui dépense le moins en santé, par personne, parmi les autres provinces.

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  • Date de création 12 juillet, 2022
  • Dernière mise à jour 12 juillet, 2022
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