Trois capitales, une occupation

ÉMILIE GOUGEON-PELLETIER

Initiative de journalisme local — Le Droit

Toronto — «Il ne faut pas que la situation à Toronto soit la même qu’à Ottawa», a pensé Naheed Dosani en apprenant qu’un convoi de camionneurs se dirigeait vers Toronto, en février 2022.

Alors que l’occupation du centre-ville d’Ottawa par le «Convoi de la liberté» battait son plein, une branle-bas de combat s’enclenchait à la Ville de Toronto.

On se préparait à accroître la présence policière au centre-ville et à fermer les rues autour de l’Assemblée législative de l’Ontario.

Pour se rendre par le sud à Queen’s Park, là où siège le gouvernement, il faut passer devant le «Hospital Row», ce quartier de l’avenue University qui comprend certains des plus grands centres hospitaliers au pays.

Des dizaines de milliers d’individus y travaillent: c’est l’un des plus grands pôles de recherche biomédicale et de traitement des maladies au monde.

On était si préoccupé par la sécurité des gens au centre-ville que les employés des hôpitaux situés dans le «Hospital Row» se sont fait conseiller de s’habiller «en civil» en se rendant au travail durant la manifestation.

«On ne devrait jamais avoir à se cacher, alors on va faire le contraire, parce qu’on sait que la voie à suivre, c’est l’empathie», s’est alors dit le médecin torontois en soins palliatifs et militant pour la justice en matière de santé, Naheed Dosani.

Le 5 février 2022, il s’est joint à plus de 200 travailleurs de la santé en participant à une contre-manifestation durant laquelle ils ont tous porté fièrement blouses blanches de laboratoire, «scrubs» et stéthoscopes.

«Ce jour-là est gravé dans ma mémoire comme un des moments les plus inspirants de ma carrière.»

Pas comme à Ottawa

Mais finalement, les manifestations des camionneurs qui ont été organisées à Toronto n’ont pas fait autant de bruit que l’occupation du centre-ville d’Ottawa, et le maire John Tory s’en réjouit.

«À la lumière de ce qui s’est passé à Ottawa, j’étais déterminé - et je sais que le chef de police de l’époque Ramer était déterminé - à faire en sorte que ces mêmes manifestations ne soient pas aussi perturbatrices ici», a-t-il fait savoir au Droit.

John Tory dit que la municipalité, la police de Toronto et les services d’incendie ont travaillé ensemble pour élaborer un plan visant à minimiser l’impact de la manifestation «sur les infrastructures essentielles, les entreprises, les résidents et les routes».

Et à Québec?

La Ville de Québec aussi a reçu la visite de camionneurs venus manifester leur opposition aux mesures de santé publique liées à la COVID-19. Et là aussi, la manifestation n’avait rien à voir avec celle d’Ottawa.

À Québec, seuls quelques camions ont eu la permission de se stationner près de l’Assemblée nationale.

«On a permis le symbole», explique le maire de Québec, Bruno Marchand, qui, comme John Tory, insiste sur l’importance de respecter le droit des citoyens de manifester.

«On vit dans un pays où on peut revendiquer, mais ce n’est pas vrai que la liberté de l’une ne s’arrête pas là où celle de l’autre commence. J’en avais des frissons sur les bras de voir que les gens d’Ottawa étaient pris chez eux, comme en prison, complètement envahis par quelque chose qui les dépasse.»

Aucun sens

Le professeur agrégé en Criminologie de l’Université d’Ottawa, Joao Velloso, qui mène des recherches depuis 15 ans sur le maintien de l’ordre lors de manifestations, trouve que ça n’a aucun sens qu’Ottawa ait laissé les camions s’installer rue Wellington.

«Je ne pense pas que les autres services de police à Québec et à Toronto ont eu besoin de regarder à Ottawa pour savoir comment gérer la situation. Au contraire, je pense que les corps de police ailleurs se sont sûrement demandé pourquoi ils ont agi ainsi.»

Les maires Tory et Marchand citent chacun la collaboration entre les services et paliers gouvernementaux pour expliquer la «bonne gestion» des manifestations de camionneurs chez eux.

Joao Velloso rappelle que c’est justement le manque de communication entre les services policiers et municipaux qui a grandement contribué à la crise au centre-ville d’Ottawa.

Pourquoi?

«Pourquoi la police n’a rien fait?» C’est la première question que l’on pose à Joao Velloso lorsqu’il raconte les événements survenus à Ottawa dans des conférences autour du monde.

L’expert note la désobéissance de la police face aux injonctions émises par la cour.

Il affirme qu’au Brésil, où l’extrême droite a récemment perpétré un assaut à l’endroit des institutions démocratiques, ça peut être considéré comme un crime si la police ne respecte pas une injonction judiciaire.

«Un juge a ajouté à son injonction que si les corps policiers ne la respectent pas, ils vont agir par omission. Des mots sont écrits pour prévenir l’inaction du pouvoir exécutif. Ça ne s’est jamais fait ici. C’est évident qu’on a des traditions différentes, mais c’est une comparaison intéressante qu’on pourrait explorer ici.»

Une autre question est souvent posée à Joao Velloso en conférence: «Pourquoi les résidents ne se sont-ils pas plaints davantage, lancé de cocktails Molotov ou brûlé les camions?»

«J’imagine que dans les autres villes, comme à Toronto, à Québec ou à Montréal, on a aussi voulu se préparer au cas où la réaction de la population serait plus violente. Mais on a quand même l’une des capitales les plus éduquées de la planète, et le sens du civisme à Ottawa est très fort. Même quand les résidents pétaient leur coche, ce n’était jamais violent.»

  • Nombre de fichiers 1
  • Date de création 31 janvier, 2023
  • Dernière mise à jour 31 janvier, 2023
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article