Tournée antiracisme : une discussion régionale enrichissante

La tournée antiracisme Et si on redéfinissait nos couleurs a fait sa dernière escale à Calgary, le 11 novembre dernier, devant une quarantaine de convives réunis à La Cité des Rocheuses. Au cours de cet événement communautaire, les panélistes locaux qui se partageaient la scène ont pu exprimer leurs perspectives sur les mesures à prendre pour lutter contre les divers types de discrimination. Ces échanges ont aussi ouvert un espace de réflexion et de remise en question malgré que certains soient restés sur leur faim.
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Gabrielle Audet-Michaud

IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO

«Nos communautés francophones changent à vue d'œil. D’ici 2050, c’est 80% de la francophonie qui se trouvera sur le continent africain», s’est exclamé d’entrée de jeu le musicien Yao qui tenait le rôle de maître de cérémonie lors de la tournée. «Quand on parle de redéfinir nos couleurs, c’est qu’on doit s’adapter à la rencontre de toutes ces cultures, ces groupes qui forment maintenant la francophonie», a-t-il ajouté en faisant référence au thème de cet événement organisé conjointement par le Pont Cultural Bridge (PCB), six régionales de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) et une dizaine d’autres partenaires.

L’artiste a aussitôt invité les quatre panélistes, chacun à leur tour, à apporter leur propre grain de sel sur le sujet. Parmi eux, Céline Bossé et Kazir Coulibaly, deux membres actifs de la francophonie calgarienne, ont mis en avant l’importance de l’unité dans la diversité. Ils ont aussi partagé des éléments marquants de leur vécu qui ont façonné leur parcours en tant qu’acteurs de l’inclusion.

À son arrivée en Alberta en provenance du Québec, Céline a été confrontée à un «choc» qui a nécessité une période d'adaptation. En évoquant cette période, elle mentionne, «au Québec, je serai restée avec mon patelin, avec le monde que je connais et qui me ressemble». «Mais je n’aurais pas eu l’occasion de m’entourer d’autant de différences», a-t-elle ajouté. Son engagement au sein de la francophonie albertaine lui a donc permis de «s'enrichir des différentes cultures et couleurs» qui caractérisent cette communauté.

Kazir a, quant à lui, souhaité sensibiliser l’audience aux réalités du racisme systémique, des stéréotypes et des micro-agressions qu’il a pu rencontrer à son arrivée de sa Côte d'Ivoire natale. Il a également abordé ce qu’il définit comme des «clashs culturels», des défis auxquels les personnes immigrantes sont souvent confrontées lorsqu'elles s’ajustent aux mœurs et coutumes de leur pays d'accueil.

Selon lui, ces conflits peuvent engendrer des malentendus entre les nouveaux arrivants et certains membres de la francophonie albertaine, ce qui peut conduire à l'érection de barrières difficiles à surmonter, notamment dans un contexte professionnel. Pour y remédier, il est essentiel que chacun s’efforce «de comprendre les intentions d’autrui» et de dialoguer avant de réagir négativement.

«Dans ma culture, par exemple, on fait beaucoup de compliments. Quand une femme prend du poids, on lui dit qu’elle “va bien”. Mais si tu dis ça à une personne blanche [en Alberta], ce sont les ressources humaines qui vont être impliquées, alors que l’intention n’était pas mauvaise», a illustré Kazir de manière humoristique.

Entre intersectionnalité et autoréflexion

De son côté, Françoise Sigur-Cloutier, engagée depuis des décennies dans la défense de la francophonie en milieu minoritaire, a élargi le débat du racisme pour aborder, plus globalement, le sujet de la discrimination lors du panel de discussion. Selon elle, toutes les formes de discrimination sont interconnectées et doivent être abordées simultanément.

«De nos jours, on discrimine absolument sur tout, que ce soit la couleur, la langue, la religion, les accents, le sexe, le poids ou l’âge… On cherche des raisons pour se diviser, mettre des distances entre nous et l’autre», a-t-elle précisé lors d’une entrevue avec la rédaction.

La tournée antiracisme, elle espère, aura été l’occasion de faire un «geste d’ouverture» et de sensibiliser la population sur ces enjeux d'oppressions intersectionnels, et ce, dans le but d’«améliorer la situation». «L’idée, c’est qu’on puisse prendre conscience de certains de nos préjugés et façons d’être dans le but d'améliorer nos comportements sociaux», a-t-elle mentionné.

L’événement à Calgary lui a également permis de cheminer en constatant que les perceptions de chaque panéliste sont modelées par leurs «propres expériences de vie, leur vécu, leur identité et leur enfance». «Notre identification à ce monde déteint sur notre niveau de sensibilité vis-à-vis nos différences. Si on est un homme noir ou une femme, on sait qu’on est vulnérables, mais pas toujours aux mêmes choses», a-t-elle ajouté.

Pour Shangnong Hu, le quatrième panéliste de cette discussion régionale, cette expérience personnelle évoquée par Françoise joue aussi un rôle déterminant dans la formation de nos préjugés et dans notre aptitude à les remettre en question. Ce Français d’origine qui a grandi en Chine et réside au Canada depuis cinq ans pour ses études doctorales a remarqué, à travers son parcours de vie, que chaque pays où il a vécu entretient un rapport à l’autre bien différent.

«La France est un pays très accueillant, les immigrants ont donné un apport énorme à la société. On parle toutefois du contexte d’intégration, au sens où on s’attend à ce qu’on s’assimile à la langue française et, dans le meilleur des cas, à ce que l’on délaisse nos coutumes», a-t-il avancé.

D’après lui, le Canada, au contraire, encourage les nouveaux arrivants à apporter leur bagage culturel et linguistique. «Personne ne nous dira "il faut parler anglais ici", alors qu’en France, ce genre de remarques peuvent survenir avec le français.» Parallèlement, il décrit la Chine comme un pays «relativement fermé au niveau culturel et social». «Un étranger dans les grandes villes comme dans les plus petites villes se fait remarquer très très vite.»

Shangnong a partagé avoir lui-même déjà été sujet à des préjugés racistes en raison de son bagage personnel, mais en formant des liens d’amitié avec des personnes différentes de lui, il a été en mesure de se défaire de ces pensées. «C’est important de garder un esprit critique et de se questionner sur ce qu’on entend, sur comment on agit. En s'informant, en étant curieux face aux différences, on connaît mieux les autres et on a moins tendance à nourrir ces préjugés», a-t-il mentionné.

Des questions laissées sans réponses

Françoise Sigur-Cloutier a avoué être restée «un peu sur sa faim» malgré la richesse des échanges qui ont eu lieu lors de l'événement. Selon elle, il aurait pu être intéressant d’allouer un temps plus grand aux questions de l’audience afin que tous puissent nourrir la réflexion. «Il n’y a pas vraiment eu de temps pour ça», a-t-elle expliqué.

Il y a aussi le fait que peu de pistes de solution aient été proposées par les interlocuteurs. Cependant, elle considère que ces questions laissées en suspens peuvent inciter le public à une réflexion plus profonde. «C’est positif parce que ça va nous permettre d’essayer de chercher des réponses par nous-mêmes, de continuer le dialogue et de continuer à s’écouter et à s’entendre», a-t-elle conclu.

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  • Date de création 2 décembre, 2023
  • Dernière mise à jour 4 décembre, 2023
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