Thé du Labrador, une richesse facilement destructible

Le thé du Labrador est susceptible d’un vaste usage, que ce soit en décoction, en capsule, en crème, en huile essentielle, pour cuisiner ou même à titre de complément pour un dessert. Aussi appelé le lédon du Groenland ou rhododendron tomentosum, cette plante se retrouve presque partout à Terre-Neuve-et-Labrador, et même un peu partout sur le continent canadien.

C’est dans la Belle province que j’ai eu la chance d’en apprendre davantage sur cette plante grâce à Alain Cuerrier, ethnobotaniste, poète et professeur associé au département de Sciences biologiques de l’Université de Montréal. La discussion a eu lieu au Jardin botanique de Montréal accompagné d’une tisane de thé du Labrador.

-30-

ENCADRÉ

L’ethnobotanique: qu’est-ce que c’est?

L'ethnobotanique est une branche de l’ethnobiologie qui étudie les liens entre les sociétés humaines et les plantes.

-30-

Cueillette excessive

Bien que le thé du Labrador soit une plante abondante dans la forêt boréale, sa cueillette commerciale nécessite un grand nombre de matériels. Une récolte profitable étant difficile à faire de manière écoresponsable, il faut aller vite pour pouvoir gagner suffisamment d’argent, explique l'ethnobotaniste.

«Le problème qui surgit maintenant, c’est que ça prend beaucoup de matériel pour en arriver à deux kilos de produit», dit monsieur Cuerrier. «Aller récolter un litre d’huiles essentielles de thé du Labrador, ça prend quelque chose comme 200 kilogrammes de feuilles», explique l'ethnobotaniste. «Et les feuilles sont légères», ajoute-t-il. Le sac de congélation de thé apporté lors de l’entrevue ne représente même pas 600 grammes. Imaginez l'espace que cela prend pour rassembler 200 kilogrammes de feuilles aussi légères, s’exclame-t-il ensuite, pour bien me faire comprendre les dimensions dont il parle.

La seule étude préliminaire sur la cueillette du thé du Labrador démontre que si toutes les feuilles sont récoltées sur la même plante sur une période de deux ans, la plante meurt.

Également, lors de la cueillette, les gens ont tendance à vouloir les feuilles avec les poils blancs, mais il s’agit des feuilles qui restent sur la plante pour l’année suivante. Les feuilles brunes sont celles de l’année précédente. Donc, si les feuilles de cette année sont arrachées, la plante n’aura plus de feuilles l’année suivante. La plante aura de la misère à refaire des feuilles sur une si courte période de temps et il est possible que l'absence de feuilles de l’année en cours ait un impact sur la reproduction de la plante, suggère monsieur Cuerrier.

Exemple d’entreprise

Une collecte efficace, feuille par feuille sur chaque plante, tout en endommageant le moins possible la plante, est très difficile, explique l’expert. Souvent les entreprises utilisent les mêmes systèmes électriques que la cueillette de thé ordinaire en Asie.

Cet outil permet de couper la tête de la plante. Néanmoins, si la machine coupe trop bas, toutes les feuilles seront coupées et la plante n'aura plus de feuilles. Il est clair que cette technique va réduire la croissance et l’année d’après tuera l’individu, précise monsieur Cuerrier.

Camellia Sinensis, une entreprise québécoise, vend 20 grammes de thé du Labrador au prix de 15$. L'entreprise vend des feuilles de thé du Labrador encore sur les tiges mais le scientifique dénonce le fait que ce produit soit le résultat d’un processus de cueillette irresponsable. Il ne s’agit pas de la seule entreprise ni au Québec ni au Canada, plusieurs autres entreprises canadiennes procèdent de la même manière.

La situation à TNL

En 2021, le gouvernement de Québec a instauré un nouveau système de permis pour la cueillette de thé du Labrador.

Bien que le projet de loi soit très critiqué par les cueilleurs du Québec, demeure qu’au moins, une législation existe en ce sens qui vient normer les pratiques de l’industrie; ce qui n’est pas le cas à Terre-Neuve-et-Labrador.

À la suite d’une demande d’accès à l’information, Le Gaboteur a appris que le thé du Labrador est considéré par le gouvernement provincial terre-neuvien-et-labradorien comme ayant le même statut que les baies. Dans les deux cas, aucun permis n’est exigé pour la cueillette commerciale et même aucune entreprise de cueillette n’est enregistrée dans la province. Pourtant l’entreprise The Dark Tickle Company de Saint Lunaire-Griquet, Bonabooch Kombucha de Bonavista et Wild Island Tea de Conception Harbour vendent toutes le thé du Labrador.

The Dark Tickle Company offre le thé du Labrador depuis quelques années, la cueillette est faite à la main autour du magasin et vendue directement sur place. Knier Knudsen, le représentant de l’entreprise, assure que le thé est cueilli d’une manière durable et seulement quelques feuilles sont arrachées par plante. Il n’est pas surpris que le gouvernement ne soit pas au courant du commerce de thé du Labrador.

L'entreprise Bonabooch Kombucha affirme que leur thé de Labrador est cueilli à Bonavista dans la zone du Géoparc de l’UNESCO. Pourtant, l’image de leur thé en ligne est la même que celle de Camellia Sinensis avec les tiges entières. La compagnie Wild Island tea n’a quant à elle pas répondu à notre demande d’entrevue.

L’engouement dangereux

Le thé du Labrador se retrouve très facilement dans les boutiques de thé en ligne. Son prix varie entre 5$ à 14$ pour 20 grammes. Parfois les sachets contiennent des feuilles encore sur les tiges. En Europe, l'engouement pour le thé de Labrador est tellement fort qu’un français de Clermont-Ferrand, une municipalité française, a demandé à Alain de lui envoyer 100 000 plants. En ce qui concerne les manières agricoles de pousser la plante, l'ethnobotaniste rappelle que couper les forêts pour cultiver n’est pas une solution durable.

«Nous n’avons pas d’idée comment la plante va réagir. Il est probable que la cueillette endommage la reproduction de la plante», avertit Alain Cuerrier.

Bien que l’engouement pour le thé de Labrador et d'autres plantes est grandissant, avant d’aller cueillir les plantes sauvages, il faut se renseigner ou suivre une formation, conseille fortement le scientifique.

«Le thé du Labrador est une plante qui est commune et abondante, mais qui pourrait devenir rare dans certains coins à cause d’une possible surexploitation», explique monsieur Cuerrier.

Connaissances autochtones

Les Inuits et d’autres peuples autochtones utilisent le thé du Labrador à des fins médicinales. En général, on fait bouillir une grande quantité de feuilles entre une demi-heure et 45 minutes pour obtenir un concentré brun. Il ne s’agit pas d’une tisane. Ce n’est pas pour rien que les Inuits appellent ce breuvage mamaittuqutik, qui se traduit par «goûte mauvais», explique monsieur Cuerrier.

Selon Cuerrier, il ne faut pas complètement arrêter de cueillir le thé du Labrador. Il est toujours possible d’en faire une cueillette personnelle, voire commerciale. Il faut cependant cueillir d’une manière qui soit raisonnable, à petite échelle. Il faut prendre ce dont on a besoin, tout simplement, nous dit de manière simple et poétique, le professeur et poète Cuerrier.

 

Langue  Traduction  Signification
Inuktitut Mamaittuqutik  goûte mauvais
Innu-aimun Minuepak ou ancien amisk’wtogi  amisk = castor

togi = oreille 

Cree Maskêkopakwa ou kâkikêpakwa kâkikêpakwa = feuilles éternelles

 

-30-

Attention!

Il est recommandé de consommer le thé du Labrador en petite quanti- té puisqu’il contient de l'andromédotoxine, qui est une toxine.

Kalmia à feuilles étroites, qui ressemble particulièrement au thé du Labrador, est également toxique, car elle contient une quantité beaucoup plus élevée d'andromédotoxine.

En préparant du thé avec cette plante, le site Web de Food First NL recommande de ne pas faire bouillir les feuilles, car cela contribue à libérer l'andromédotoxine. Il est plutôt suggéré de les faire infuser dans l’eau. Newfoundland and Labrador Flora recommande de ne pas boire plus d'une tasse par jour.

-30-

Photo: labthe1
Photo: Oleksii Pivtorak
Caption: Thé du Labrador ou lédon du Groënland (Rhododendron groenlandicum; syn. Ledum groenlandicum) qui est également appelé par nos voisins anglophones: «Labrador tea», «woolly tea», «tundra tea» et «settler’s tea.»

Photo: labthe2
Photo: Oleksii Pivtorak
Caption: Le sachet d’environ de 600 grammes.

Photo: labthe3
Photo: Oleksii Pivtorak
Caption: Alain Cuerrier devant les plants de thé du Labrador au Jardin botanique de Montréal.

  • Nombre de fichiers 4
  • Date de création 28 janvier, 2024
  • Dernière mise à jour 29 janvier, 2024
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article