Table ronde sur la transmission de la langue

Peu importe que la table soit ronde ou carrée ou même triangulaire, une heure pour décortiquer le mystère et dans certains cas, le miracle, de la transmission de la langue ne suffit pas.  Par contre, la table est mise pour de futures discussions, grâce au Salon du livre de l’Île-du-Prince-Édouard. 

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Jacinthe Laforest

IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne

 

 

 

C’est à Rachelle Gauthier, chercheuse, docteure en éducation, que Diane Ouellette a confié la tâche de résumer les réflexions et expériences de Paul Cyr, Julia Singer, Élizabeth Blake, Jill LeBlanc et Hugo LeBlanc, à propos de la transmission de la langue.

«Vraiment, vous avez toutdit.  Tout ce que vous avez partagé rejoint directement la recherche.  Par exemple, Raymond Breton estime que la complétude institutionnelle, c’est-à-dire des institutions en nombre suffisant qui répondent à une variété de besoins, est essentielle pour qu’une collectivité en situation minoritaire puisse transmettre sa langue à la génération suivante», résume Rachelle Gauthier, citant en exemple les propos de Paul Cyr, qui estime que l’école est essentielle.

«L’école est essentielle, mais c’est cinq heures par jour.  Il faut autre chose.  Les Jeux de l’Acadie, des activités en famille… Quand je suis arrivé à l’Î.-P.-É., jeune enseignant, c’était pour un an. Mais j’ai rencontré mon épouse et nous avons décidé de nous établir à Abram-Village, près de l’école.  C’était important pour nous.  Nos enfants ont grandi en français.  Notre fils, Alex, en grandissant, était presque anti-anglais.  Il avait une cousine qu’il décrivait comme “l’unilingue anglophone“.  Il s’est adouci depuis ce temps», a confié Paul Cyr.

Comme l’a dit Paul Cyr, ce sont les liens qu’il a créés à son arrivée qui l’ont retenu.

Élizabeth Blake, ancienne directrice de l’École François-Buote, ancienne enseignante en immersion, et présentement coordonnatrice du baccalauréat en enseignement du français à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, est quant-à elle convaincue que notre désir de transmettre notre langue et de contribuer à la création identitaire d’une collectivité dépend en premier lieu des relations qu’on noue.  «Lorsque j’ai commencé ma carrière, j’ai noué des amitiés qui continuent aujourd’hui.  Et ce sont des liens qui m’ont retenue, qui m’ont poussée à toujours vouloir faire plus et mieux.  Et en tant que francophone, il faut justement toujours être mieux que l’école d’à côté pour garder nos élèves, nos enseignants», dit Élizabeth Blake, décrivant, peut-être sans le savoir, le concept d’espace vécu avancé par le chercheur Henri Lefebvre, comme étant essentiel à la pérennité et à la transmission de la langue.

«Henri Lefebvre est d’accord avec Raymond Breton sur la nécessité d’avoir des institutions.  Mais pour lui, ce n’est pas tant les briques et le mortier qui comptent, mais plutôt, ce qui se passe à l’intérieur.  Il appelle cela l’espace vécu.  C’est l’ensemble des relations, des interactions, des choix et des décisions que nous prenons et qui nous engagent toujours davantage», ajoute Rachelle Gauthier, encore une fois impressionnée par la justesse des propos des invités.

Transmission, création, souplesse et ouverture

La plus jeune invitée du groupe, Julia Singer, est restée à l’École-sur-Mer jusqu’en 9e année puis, parce que l’ÉSM n’offrait pas encore de secondaire, elle a poursuivi à l’École Évangéline, d’où elle a obtenu son diplôme du secondaire.  Récemment diplômée du baccalauréat en enseignement de l’Université de Moncton, elle a décroché son premier emploi à l’ÉSM, un rêve réalisé pour elle.

«J’avais un drôle d’accent, je me sentais mal par rapport à ça, j’ai grandi à Summerside, ma mère vient d’Évangéline, j’ai gradué d’Évangéline, et à Moncton, je me suis trouvée confrontée à toute sorte d’accents.  J’ai compris qu’il fallait valoriser la langue pour ce qu’elle est, un apprentissage à continuer toute sa vie.  Valoriser ce qu’on a déjà et continuer de construire dessus», a insisté Julia Singer.

Pour Rachelle Gauthier, construire comporte une part de création et de liberté de créer.  «C’est certain qu’on veut transmettre nos valeurs, nos connaissances, notre culture et évidemment, notre langue à nos enfants. Ça implique qu’il faut laisser aller un peu.  On ne peut pas s’attendre à ce qu’ils acceptent tout ça tel quel comme quelque chose de fixe, de fini.  Ils vont expérimenter et peut-être qu’on ne sera pas d’accord avec tout.  Ça fait un peu peur», avoue Rachelle Gauthier, elle-même mère de famille.

Jill LeBlanc est native de Terre-Neuve.  C’est là, qu’en 7e année, elle a commencé à apprendre le français dans le programme d’immersion tardive.  «J’ai tellement aimé ça, j’ai capoté», dit-elle de façon très naturelle.  Parents de trois enfants dont deux sont nés à Terre-Neuve et le troisième, depuis leur installation à l’Île en 2017, Jill et Hugo LeBlanc, quant-à lui originaire des Îles-de-la-Madeleine, avouent qu’être parents, c’est de toujours être à la course, à plus forte raison si on cherche des activités à faire en français, si on veut que nos enfants rencontrent d’autres enfants francophones, qu’ils cultivent leurs relations.

«À notre arrivée, nous nous sommes installés là où on a pu, sans savoir qu’il y avait des zones scolaires et sans imaginer que nos enfants seraient peut-être obligés d’aller à l’école anglaise.  Je pense qu’une chose qui pourrait aider les parents serait plus de souplesse dans les politiques parce que, nécessairement, il faut un appui supplémentaire pour vivre en français, alors que pour vivre en anglais, tout est à portée de la main», dit Hugo LeBlanc.

Jill LeBlanc, leader pédagogique au ministère de l’Éducation et de l’Apprentissage continu, est quant-à elle convaincue qu’une construction identitaire saine doit être «complémentaire» et inclusive plutôt que «compétitive» et protectionniste.

 

 

 

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Photos

 

La conversation sur la transmission de la langue a été l’activité grand public la plus courue des quatre jours du Salon du livre.

 

Docteure en éducation, Rachelle Gauthier a été impressionnée par la qualité des interventions des panélistes.  «Vous avez tout dit», a-t-elle certifié.

 

Pour lancer la table ronde sur la transmission de la langue, Geneviève Ouellette a raconté le processus de création des capsules «Apprendre, vivre et chanter en français à l’Île-du-Prince-Édouard», un projet réalisé avec l’appui de la Fédération des parents de l’Île.  «Nous sommes dans un Salon du livre et je dois dire que même si les capsules sont en son et en image, elles ont été créées comme si elles étaient des livres.  Mon but c’était de raconter», a-dit la jeune femme, juste avant de présenter un résumé de 10 minutes des trois heures que représentent les six capsules.  Elles peuvent toujours être vues sur la page Facebook de la Fédération des parents.  Diane Ouellette, la mère de Geneviève, déborde de fierté.

 

Pour qu’il y ait transmission de la langue, les écoles sont essentielles, ainsi que les autres institutions construites ou humaines, comme le mouvement des Jeux de l’Acadie.  C’est du moins l’opinion de Paul Cyr, panélistes.

 

Pour qu’il y ait transmission de la langue, il faut avant tout établir des liens, créer des relations durables avec les gens.  Pour Élizabeth Blake, c’est une clé importante.

 

Lorsque les membres du public ont été invités à contribuer à la conversation, Charles Duguay a rappelé que «le français s’enseigne et la fierté se transmet».  Il trouve aussi que malgré leur nom de centre scolaire et communautaire, ces institutions sont comme une maison où les époux font chambre à part.

 

Julia Singer revient à l’École-sur-Mer en tant qu’enseignante en septembre prochain. 

La mère de Julia Singer, Suzanne Boudreau-Singer, et son école, lui ont transmis le «gène» de la volonté de vivre en français.

 

Jill et Hugo LeBlanc habitent à l’ÎPÉ depuis 2017.  Être parents de trois enfants est déjà une course folle, à plus forte raison si on tient à vivre en français.  «Quand nous avons découvert les soirées Voir Grand… Merci à la Fédération des parents», a dit Jill LeBlanc.  (Photos : J.L.)

 

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  • Date de création 8 juin, 2022
  • Dernière mise à jour 8 juin, 2022
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