Seconde Guerre mondiale: un manque flagrant d’accès au savoir au Canada

Des experts déplorent le manque d’accès au savoir lié à la Seconde Guerre mondiale au Canada, dans la foulée de l’éloge faite au Parlement à un ancien militaire ukrainien ayant combattu avec les nazis.


Par Émilie Gougeon-Pelletier, IJL - Réseau.Presse - Le Droit


 

Lorsqu’il a vu les images d’une ovation au Parlement du Canada pour un ancien militaire ukrainien ayant combattu pour la 1ère Division ukrainienne durant la Seconde Guerre mondiale, le professeur de l’Université d’Ottawa Ivan Katchanovski n’en croyait pas ses yeux.

«Le fait de dire qu’une personne a combattu durant la Deuxième guerre mondiale avec l’Ukraine contre les Russes devrait être suffisant pour comprendre qu’il s’est battu contre les Alliés», insiste le professeur d’origine ukrainienne de l’Université d’Ottawa, Ivan Katchanovski.


 


 

Mardi, Anthony Rota, le député ontarien derrière cet hommage, a démissionné de son poste de président de la Chambre des communes, mardi.

Selon l’expert des politiques ukrainiennes, la controverse «aurait dû être facilement évitable, considérant que les membres du gouvernement sont en général des gens très éduqués, et qu’ils devraient connaître cette information très basique».

Personne n’a questionné

«Au Canada, les connaissances sur la Seconde Guerre mondiale ne sont pas suffisantes», affirme la professeure de l’Université de Nipissing, à North Bay, Hilary Earl.

Experte de l’Holocauste et du domaine des procès pour génocide et crimes de guerre, Hilary Earl déplore le fait que les archives liées à l’Holocauste au Canada ne sont pas toutes publiques.


 


 

«Tout le monde au Parlement s’est levé. Personne n’a questionné le statut de M. Hunka. Et pourquoi? Parce que nous n’avons pas tenu compte de notre propre passé et nous n’avons pas examiné nos propres décisions, et nous ne sommes pas en mesure de le faire tant que nous n’avons pas accès aux archives historiques», soutient l’historienne.

L’organisme B’Nai Brith a d’ailleurs déposé un rapport à ce sujet auprès du gouvernement fédéral, en février 2023, pour «obliger la divulgation publique des dossiers concernant les criminels de guerre nazis et établir des archives publiques canadiennes de l’Holocauste».

En 1985, une commission d’enquête avait été ordonnée par le premier ministre Brian Mulroney après des allégations voulant que le Canada était devenu un refuge pour les criminels de guerre nazis.

Or, l’identité des individus ayant fait l’objet d’une enquête pour crimes de guerre dans le cadre de cette commission demeure à ce jour inconnue.

La professeure Hilary Earl juge inacceptable ce manque de transparence, et se dit «troublée en tant que chercheuse, et particulièrement à une époque où nous avons des commissions de vérité et de réconciliation sur notre passé colonial».

Mardi, le directeur général de B’Nai Brith, Michael Mostyn, a invité le gouvernement canadien à profiter de la controverse pour «ouvrir enfin au public tous les dossiers relatifs à l’Holocauste».

Selon lui, les Canadiens «méritent de savoir dans quelle mesure les criminels de guerre nazis ont été autorisés à s’installer dans ce pays après la guerre».

«Anthony Rota, en tant que président de la Chambre des communes, a assumé la responsabilité de la débâcle et a pris les mesures qui s’imposaient depuis. Cependant, notre Premier ministre doit maintenant faire preuve de leadership en abordant directement cette question et en démontrant que le Canada ne cachera plus son passé nazi à ses propres citoyens», soutient l’organisme dans une déclaration écrite.

Tentative d’effacer l’histoire

Lundi, la leader parlementaire Karina Gould a déposé une motion pour faire retirer les images de la documentation de l’événement et retirer le discours d’Anthony Rota du verbatim au Parlement, en vain.

Questionnée à ce sujet par les médias mardi, elle a soutenu qu’elle ne regrettait pas cette tentative, disant qu’aucun parlementaire ne se serait levé «s’il avait su à l’avance pour qui on lui demandait de se lever et d’applaudir».

«Jamais, jamais de ma vie je n’aurais imaginé que le Président de la Chambre nous demanderait de nous lever et d’applaudir quelqu’un qui a combattu aux côtés des nazis», a insisté Karina Gould, dont la famille est composée de survivants juifs de l’Holocauste.

Selon Ivan Katchanovski, Karina Gould n’a pas aidé les choses «en tentant d’effacer l’histoire».

«Il faut accroître l’accès à ces informations. Essayer d’effacer le bout d’histoire qui s’est écrit vendredi, ça va complètement à l’encontre de ce qu’il est nécessaire de faire», estime-t-il.

Par ailleurs, le régime russe, qui dit depuis le début de l’invasion de l’Ukraine qu’il a déclaré la guerre pour «démilitariser et dénazifier» le pays, utilise maintenant l’incident de l’éloge faite à Yaroslav Hunka à son avantage, note le professeur.

 

«C’est impossible d’effacer l’histoire, et ce n’est pas une bonne façon de faire dans une démocratie», conclut-il.

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  • Date de création 27 septembre, 2023
  • Dernière mise à jour 27 septembre, 2023
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