Scotty Creek : course contre la montre

La Première Nation Łı́ı́dlı̨ı̨ Kų́ę́ espère rouvrir la station de recherche Scotty Creek, installée à quelque 50 km de Fort Simpson et dévastée par un feu de forêt, en aout.

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Marie-Soleil Desautels

IJL – Réseau.Presse – L’Aquilon

Les efforts de la Première Nation Łı́ı́dlı̨ı̨ Kų́ę́ visant à reconstruire la station de recherche sur le pergélisol Scotty Creek, qui est sous son leadeurship depuis aout et qui a été dévastée par un feu de forêt en octobre, portent leurs fruits. « Même s’il n’y a pas assez d’heures dans une journée, on est dans les délais », assure le gestionnaire des terres et des ressources de la Première Nation, Dieter Cazon, lors d’un entretien Zoom, à propos du progrès réalisé dans les derniers mois.

La Première Nation a obtenu le financement nécessaire pour rebâtir la station, notamment de la part du ministère de l’Industrie, du Tourisme et de l’Investissement des Territoires du Nord-Ouest, de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC) ou encore de l’institut américain Woodwell Climate Research Center qui investit dans la surveillance des émissions de gaz à effet de serre provenant du dégel du pergélisol, énumère Dieter Cazon. Une campagne de sociofinancement, lancée par la directrice générale de la Première Nation, a aussi permis de recueillir jusqu’à présent près de 4500 $.

C’est la compagnie de construction Nogha Enterprises, propriété de la Première Nation Łı́ı́dlı̨ı̨ Kų́ę́ , qui s’occupera de la majorité des travaux. « Il est crucial d’investir dans l’économie locale et dans le développement des compétences de nos travailleurs », continue Dieter Cazon.

Les dernières semaines ont été particulièrement productives sur le terrain. Début mars, une équipe constituée de Bill Quinton, directeur de la station Scotty Creek et professeur au département de géographie et d’études environnementales de l’Université Wilfrid-Laurier, du technicien de recherche Mason Dominico et du gardien William Alger de la Première Nation Łı́ı́dlı̨ı̨ Kų́ę́ , s’est rendue sur le site pendant deux semaines. « Notre travail a d’abord été de nettoyer le site et d’apporter tous les matériaux de construction avec l’aide de Nogha Enterprises, puis de sécuriser la station », explique Bill Quinton, lors d’un entretien virtuel. Un véhicule sur chenilles tout-terrain et articulé de Hägglunds a été utilisé pour retirer les débris calcinés, qui avaient été empilés en novembre, et apporter le nouvel équipement.

Il importait de sécuriser la station, car une équipe de chercheurs venait quelques jours plus tard. « Le système électrique ne fonctionnait pas, il y avait des problèmes avec le chauffage, avec le propane, avec l’eau, détaille Bill Quinton. Il a fallu remettre tout ça en état de marche et aussi enlever certains arbres qui présentaient une menace ».

Bill Quinton, qui a fondé la station dans les années 1990, estime que les dégâts s’élèvent à environ 2 millions de dollars. C’est la première fois qu’il s’y rendait depuis le feu de forêt. « Ça a été un choc, même si j’avais vu des photos. Le paysage est si différent ! Presque toutes les tentes, les infrastructures et les hangars sont partis en fumée », se désole-t-il.

Le gardien William Alger, qui l’accompagnait, a lui aussi subi un choc lorsqu’il s’y est rendu l’automne dernier pour commencer le nettoyage et empiler les débris calcinés. « Ça a paru surréel. C’était comme marcher dans un film apocalyptique », dit-il. « Mais dans un certain sens, c’est une chance. Ça crée de nouvelles opportunités, des possibilités pour apprendre et notre communauté peut rebâtir à sa façon ». Une occasion unique pour que se marient encore mieux les connaissances traditionnelles et les perspectives autochtones avec les sciences occidentales, croit-il.

La Première Nation s’occupe de remettre le camp sur pied afin d’accueillir les chercheurs, tandis que les universités, via leurs assurances, s’affairent à remplacer le matériel de recherche.

Le directeur de Scotty Creek a trouvé sa consolation dans la résilience et le zèle de la Première Nation : « Un tel évènement est un véritable test de leadeurship et ils l’ont réussi avec brio, dit celui qui avait remis les clés de la station quelques mois avant le feu de forêt. Ils ont sauté à pieds joints dans l’aventure, sans aucune réserve. »

Dieter Cazon se souvient de cet entretien sur Zoom avec Bill Quinton, peu après le désastre, auquel participaient le chef et la directrice générale de la Première Nation. « Par où on commence ? », avaient-ils lancé au directeur de la station, tous prêts à se relever les manches. « On a extrapolé à partir de là, raconte Dieter Cazon, sachant qu’il fallait reconstruire le plus rapidement possible, car la station est importante pour comprendre les changements climatiques, pas juste pour nous, mais pour le monde. » Scotty Creek ouvrira aux chercheurs en aout prochain, si tout va bien.

 

Une exception pour une tour

La Première Nation Łı́ı́dlı̨ı̨ Kų́ę́ a cependant fait une exception et reconnu que le projet d’une équipe de chercheurs ne pouvait pas attendre : il fallait remettre en marche l’une des deux tours de covariance des turbulences. Ces tours observent les changements climatiques en mesurant les échanges nets de vapeur d’eau, de gaz carbonique et de méthane. Il y en a 10 aux Territoires du Nord-Ouest, dont deux à Scotty Creek. Le feu en a épargné une, tandis que l’autre, haute de quinze mètres, a été endommagée. Cette dernière, qui enregistre ce qui se trame dans l’environnement depuis 2014, offre une unique occasion d’observer les conséquences d’un feu de forêt sur le pergélisol.

 

La tour tient toujours, mais il fallait en changer les instruments. Le professeur agrégé du département de géographie de l’Université de Montréal, Oliver Sonnentag, qui l’a lui-même installée il y a des années, s’y est rendu mi-mars. Des scientifiques de l’institut américain Woodwell Climate Research Center, qui en a financé tous les nouveaux instruments, l’ont accompagné.

Un échafaudage a été construit à côté de la tour, avant leur arrivée, pour pouvoir y accéder de manière sécuritaire. L’équipe a démonté les instruments endommagés et en a remis des nouveaux, aux mêmes endroits. « C’est fantastique du point de vue de la continuité qu’on ait pu réutiliser la tour, car les mesures de flux dépendent fortement de l’empreinte, de la hauteur et de l’orientation des instruments, par exemple, dit Oliver Sonnentag. Comme nous utilisons l’ancienne structure, c’est un peu comme si rien n’avait changé. »

Plusieurs défis attendaient l’équipe : il fallait changer tous les instruments en cinq jours, alors que, d’habitude, il faut de sept à dix jours. Une erreur de la compagnie de livraison les a forcés à improviser pour remplacer tous les panneaux solaires. Comme la hauteur maximum permise pour un échafaudage est de douze mètres et que la tour en fait quinze, ils ont dû escalader les derniers mètres pour remplacer tout en haut un anémomètre sonique et trois analyseurs de gaz à rayons infrarouges. Le tout en combattant le froid et en branchant jusqu’à une quarantaine de petits fils pour chaque instrument. « C’est un système complexe avec beaucoup de câblages et d’intégration », dit le professeur Oliver Sonnentag.

Normalement, ils doivent observer les données recueillies par les instruments pendant quelques jours pour s’assurer que le système est bel et bien opérationnel. Ils n’ont eu que quelques minutes. « Ça enregistrait lorsqu’on est parti, mais on ignore si ça fonctionne et si ça enregistre encore. On va le savoir début juin », dit-il. Impossible, faute de temps, d’y aller avant.

Oliver Sonnentag ne se fait pas d’illusion : les vibrations causées par le vent pourraient suffire à ce qu’un petit fil lâche. « Il faisait froid, on travaillait sous pression, il se peut qu’un instrument neuf soit défectueux et l’erreur est humaine ! »

Dans toute cette incertitude, une chose ne l’est pas : « le soutien de la Première Nation est incroyable », dit Oliver Sonnentag.

Tant ce dernier que Bill Quinton, Dieter Cazon et William Alger voient des retombées positives au feu de forêt : celle d’assoir le leadeurship de la Première Nation et de bâtir de nouvelles relations de travail.

Bill Quinton ne tarit d’ailleurs pas d’éloges envers la Première Nation : « C’est une ruche bourdonnante d’activités, une véritable force motrice et c’est très réconfortant à voir ! »

En mai, des inspecteurs du ministère de l’Environnement des Territoires du Nord-Ouest se rendront sur place pour s’assurer qu’il n’y a pas de contamination. La phase suivante se déroulera en juin, avec l’équipe d’Oliver Sonnentag qui reviendra s’occuper de la tour de covariance et des ouvriers de Nogha Enterprises qui se mettront à reconstruire le camp.

« Tout se passe comme prévu jusqu’à présent et nous dépassons les attentes de chacun », se félicite Dieter Cazon, qui bosse jusqu’à 60 heures par semaine depuis le feu de forêt.

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Photos

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Légende : Un véhicule sur chenilles tout-terrain et articulé de Hägglunds est rempli de déchets carbonisés. (Photo : William Quinton)

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Légende : Dieter Cazon (Photo : Dominik Heilig)

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Légende : (Photo : Dominik Heilig)

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  • Date de création 10 octobre, 2023
  • Dernière mise à jour 10 octobre, 2023
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