Salon du livre de Dieppe : l’insécurité linguistique discutée

Célébration de notre belle langue française, le 32e Salon du livre de Dieppe en a abordé l’un des aspects les plus problématiques de notre temps dans l’espace public : l’insécurité linguistique. Jeudi 20 octobre, ce phénomène fut abordé deux fois, d’abord au moyen d’une conférence, puis d’une table ronde.

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Damien Dauphin

IJL – Réseau.Presse – Le Moniteur Acadien

  

Professeure retraitée de l’Université de Moncton, Annette Boudreau est titulaire d’un doctorat en sociolinguistique. Le Salon du livre de Dieppe l’a invitée à s’exprimer sur le sujet de l’insécurité linguistique en Acadie, à partir des discours médiatiques de 1867 à nos jours.

« L’insécurité linguistique est un sentiment de malaise à l’égard de sa langue parlée. C’est l’impression de ne pas utiliser les mots qu’il faut, et que les mots appropriés ne viennent pas à l’esprit », dit-elle à son public.

Au cours de sa carrière, Mme Boudreau a croisé de nombreux étudiants qui, devant faire un exposé à l’oral, n’osait pas le faire et se retranchaient derrière l’excuse selon laquelle ils parlaient avec « des mots croches, des mots à l’envers ». En conséquence de quoi, ils se muraient dans un mutisme assourdissant. Sans doute avaient-ils précédemment subi des remarques désobligeantes sur leur expression orale.

« Si on dit à quelqu’un qu’il parle mal, il va finir par se taire, commente Annette Boudreau. Le silence est la manifestation de l’insécurité linguistique. »

La sociolinguiste acadienne, originaire de la région, a écrit un ouvrage de référence sur le sujet : Dire le silence : insécurité linguistique en Acadie 1867-1970. Aux moyens d’entretiens mais aussi d’analyses de textes d’époque publiés dans le Moniteur Acadien et l’Évangéline, elle a voulu retracer les « origines de la honte ».

Un sentiment de honte, ou tout simplement de perception d’infériorité toute théorique, qui n’est pas propre à l’Acadie. Le phénomène de l’insécurité linguistique a aussi été étudié en Europe, notamment en Belgique où près de la moitié de la population est de langue maternelle française. De fait, qu’il s’agisse de la gêne éprouvée par des Québécois ou des Africains face au « français standard » tel que parlé par les journalistes et animateurs de France 2 que l’on peut suivre sur TV5, l’insécurité linguistique est globalement répandue dans la Francophonie mondiale.

« À l’oral, en situation formelle de communication, on construit son propos au fur et à mesure, tandis qu’à l’écrit, on peut se reprendre, se corriger. C’est pour ça que j’ai beaucoup de sympathie pour les politiciens en général. Quand ils ont un micro devant la bouche, ce n’est pas évident pour eux. »

L’exotisme du chiac

Mme Boudreau mentionne que cet état d’insécurité a touché des personnalités politiques de premier plan, comme Claudette Bradshaw et Brian Gallant. Même Justin Trudeau, de langue maternelle anglaise, ne parle pas le français le plus impeccable qui soit. Ce qui démontre que certaines lacunes ne constituent pas un obstacle dirimant à l’accomplissement d’une grande carrière et à la réussite professionnelle.

Selon la scénariste Mélanie Léger qui, à Shediac, s’efforçait d’être « bonne en chiac » selon ses propres termes, « la langue et la culture forment un tout ». Le film qu’elle a écrit, Notre Dame de Moncton, ouvrira le 36e Festival international du cinéma francophone en Acadie.

Le chiac, ce patois particulièrement présent dans la région, a deux visages : celui de la fierté et celui de la honte, selon les cas. Originaire de la Péninsule acadienne où le sentiment d’insécurité est semble-t-il moins présent, le dramaturge Herménégilde Chiasson le qualifie de « phénomène de proximité avec une anglophonie extrêmement forte ». Il déplore qu’on lui attribue un côté « exotique » qui l’horripile et l’indiffère en même temps.

L’ancien lieutenant-gouverneur est d’avis que le Sud-Est renvoie une image de « perdition de la langue », qu’Annette Boudreau a vécue comme une « bâtardise linguistique » quand elle était étudiante. Elle-même a connu ce sentiment d’insécurité sur lequel elle a abondamment écrit. Aujourd’hui, elle a pris du recul face au ressenti de sa jeunesse. Si elle convient que tout le monde ne peut pas parler comme un dictionnaire académique, l’enseignante considère que l’école a un rôle à jouer dans la construction linguistique de l’enfant.

« Tout ne se vaut pas et c’est important de le dire : le rôle de l’école est de donner aux élèves un français qu’ils n’ont pas à la maison. »

 

 

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Titre : Annette Boudreau
Légende : La sociolinguiste Annette Boudreau a écrit des ouvrages de référence sur l’insécurité linguistique.
Crédit : Damien Dauphin – Le Moniteur Acadien

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  • Date de création 26 octobre, 2022
  • Dernière mise à jour 26 octobre, 2022
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