Revitalisation des langues autochtones : Tracer la voix pour la prochaine génération

Parfois, il s’agit de participer à des groupes de discussion. Parfois, ce sont de vieilles cassettes d’enregistrement à écouter dans la voiture. Parfois, c’est dépoussiérer un lexique écrit à la main dans les années 1970. La revitalisation des langues autochtones au Yukon est un travail de longue haleine, et tout est mis en place pour délier la langue de la nouvelle génération.

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Laurie Trottier

IJL – Réseau.Presse – L’Aurore boréale

 

ll y a des moments calmes et des moments de grandes trouvailles au Centre des langues autochtones du Yukon (YNLC). Myles Blattman, de la Première Nation Little Salmon/Carmacks, est archiviste. Depuis quelques mois, il passe ses journées entouré de documents de toutes sortes, qui contiennent des bribes d’histoires des Premières Nations du Yukon. Le but? Dresser l’inventaire linguistique des huit langues autochtones du Yukon, soit le gwich’in, le han, le tutchone du Nord, le tutchone du Sud, le kaska, le tlingit, le upper tanana et le tagish, pour tenter de mieux les préserver.

Ce travail de moine n’est qu’un des nombreux projets auquel le YNLC se consacre dans l’espoir de raviver ces langues. « Chacune de nos langues est encore à un stade critique », a tenu à rappeler Shadelle Chambers, la directrice du centre, lors de la quatrième édition de la Conférence sur l’éducation des Premières Nations, qui s’est tenue les 22 et 23 mars derniers au centre culturel des Kwanlin Dün. Depuis quelques années, le YNLC met les bouchées doubles pour assurer la maîtrise des langues, selon la directrice.

L’intergénérationnalité, vecteur culturel

Partout au pays, les langues autochtones ont été gravement mises à mal en raison de la colonisation et des pensionnats. « Les pensionnats indiens ont été une tentative systématique émanant du gouvernement de détruire les cultures et les langues autochtones et assimiler les peuples autochtones afin qu’ils n’existent plus en tant que peuples distincts. L’anglais et, dans une mesure beaucoup moins grande, le français, étaient les seules langues autorisées dans la majorité des pensionnats », soulignait en 2015 le sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

Au Yukon, c’est donc une réelle course contre la montre qu’ont entrepris le YNLC et le Conseil des Premières Nations du Yukon (CYFN), pour tenter d’apprendre le plus possible des aîné·e·s des différentes communautés autochtones. « Dans les années 1970 et 1980, il y avait beaucoup de locuteurs, mais nous avons eu un important déclin par la suite », affirme Shadelle Chambers, avant de mettre l’accent sur la nature intergénérationnelle des projets ayant vu le jour jusqu’à maintenant. Les progrès au cours des trois dernières années sont impressionnants : des jeunes des différentes communautés autochtones ont réalisé des capsules vidéo et le site du centre a publié une collection de livres et de ressources.

Pour Chantelle Blackjack, de la Première Nation Little Salmon/Carmacks, la reconnexion à sa langue n’a rien de conventionnel : « j’écoute mon grand-père dans ma voiture », a-t-elle expliqué lors de la Conférence sur l’éducation des Premières Nations. Elle a pu mettre la main sur des enregistrements audio de son grand-père et les a transférés sur une clé USB pour pouvoir les écouter lors de ses déplacements.

Pendant ce temps, une nouvelle génération a le plaisir de se délier la langue grâce à un programme pilote de deux ans.

Une rémunération pour la revitalisation

Le CYFN a mis sur pied le programme The Youth Today: Language Leaders Tomorrow afin de motiver les jeunes autochtones à se consacrer à l’apprentissage de leur langue. Depuis novembre 2021, douze jeunes sont donc rémunérés pendant leur processus d’immersion. « Nous savons que l’immersion fonctionne. Nous devons simplement créer ces espaces », résume Shadelle Chambers, sans cacher sa fierté. Le programme a débuté avec cinq des huit langues autochtones du territoire. Si tout se déroule comme prévu, en février 2024, il y aura une première cohorte de locuteurs et locutrices qui, diplôme en main, sera prête à assurer la survie de ses langues.

 La coordonnatrice de l’enseignement des langues au YNLC Kelsey Jaggard et son équipe espèrent que le projet pourra se poursuivre au-delà de ces deux ans. « Dépendamment du financement, on aimerait pouvoir avoir un certificat d’un an et un diplôme après deux ans », ajoute-t-elle.

Changer le modèle de financement

Pendant que la nouvelle génération a les yeux rivés sur ses livres, c’est vers l’avenir du financement que le YNLC se tourne. Le modèle de financement était d’ailleurs un des sujets au cœur de la conférence sur l’éducation. Charlotte Kunda Lwanga et Julia Stockdale-Otárola, de l’Assemblée des Premières Nations (APN), une organisation qui représente les Premières Nations à travers le Canada, ont animé un atelier sur le sujet le 22 mars. Après avoir lancé une vaste série de consultations avec les peuples autochtones de partout au pays, l’APN a, par la voix de Julia Stockdale-Otárola, conclu qu’« il y a beaucoup de défis dans l’établissement de programmes linguistiques à cause d’un financement disparate ».

L’APN milite pour que les communautés autochtones aient davantage de contrôle sur la distribution du financement, au lieu de laisser celui-ci entre les mains du ministère du Patrimoine canadien. Il faudrait également délaisser le modèle de financement basé sur les appels de proposition au profit d’un financement de base et d’accords plus flexibles, a souligné Charlotte Kunda Lwanga.

Pour l’APN, le temps que les Premières Nations consacrent à la rédaction de rapports et à la soumission de projets devrait plutôt être alloué au perfectionnement des programmes. Selon l’organisation, une bonne façon de reconnaître à quel point la revitalisation des langues autochtones est un processus ardu et complexe serait de lui accorder du financement à la hauteur du défi. Un défi aussi important que de classer des milliers de pans de l’histoire des Premières Nations du Yukon, un document d’archives à la fois.

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Photos

Titre : YNLC-Equipe

Légende : Une partie de l’équipe du Centre des langues autochtones du Yukon est réunie devant le panneau Tàgá Rū Kúnà Nà T’san Nänkë, qui veut dire « médicaments de la terre au bord de la rivière », à Whitehorse.

Photo : Laurie Trottier

Titre : Shadelle-Chambers

Légende : La directrice du YNLC, Shadelle Chambers, a abordé les défis de la revitalisation des langues autochtones lors de la Conférence sur l’éducation des Premières Nations, en mars 2023.

Photo : Laurie Trottier

Titre : YNLC

Légende : Le Centre des langues autochtones du Yukon (YLNC) fournit des services linguistiques et éducatifs aux Premières Nations du Yukon ainsi qu’au public.

Photo : Laurie Trottier

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  • Date de création 30 juin, 2023
  • Dernière mise à jour 24 juin, 2023
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