Rencontre avec Jean-François Roberge : Les relations québéco-albertaines, plus fortes que jamais

Le ministre québécois responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, Jean-François Roberge, était de passage en Alberta pour célébrer l’ouverture du Bureau du Québec à Calgary. La rédaction en a profité pour revenir avec lui sur certains dossiers d’actualité, notamment les rapprochements récents entre les deux provinces canadiennes. Le ministre partage aussi des détails sur le plan d’intervention de son gouvernement pour promouvoir le français à l’extérieur du Québec.

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Gabrielle Audet-Michaud

IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO

Le Franco : Lors de votre allocution à l'ouverture du Bureau du Québec à Calgary, vous avez tenu à faire plusieurs mises au point quant à la vision de votre gouvernement face au projet de loi libéral C-13 (qui modernise la Loi sur les langues officielles du Canada) ainsi que la Loi québécoise 96 (sur la langue officielle et commune du Québec). Pourquoi était-ce nécessaire de mettre les choses au clair? Les intentions de la CAQ par rapport à la francophonie canadienne ont-elles été mal comprises par le public franco-albertain?

Jean-François Roberge : Quand on installe un bureau comme celui de [Calgary], c’est pour améliorer nos relations interprovinciales, le commerce et les échanges culturels... Si, à la base, il y a des malentendus, ça peut nuire à tout le reste. J’ai voulu faire table rase pour qu’on puisse partir sur de meilleures bases.

Le Franco : La CAQ n’a pas apprécié le traitement médiatique qu’a subi la Loi 96 dans le reste du Canada, n’est-ce pas?          

J.-F. R. : J’ai vu dans les médias des faussetés sur la Loi 96, comme si les modifications qu’on voulait faire à la Charte de la langue française allaient empêcher les anglophones de se faire soigner au Québec en anglais. C’est complètement faux, donc j’ai voulu clarifier ça.

Il y a aussi des gens de la communauté des affaires qui craignaient d’être obligés de parler en français pour transiger avec des entreprises québécoises. On le sait, les entreprises albertaines n’ont pas toujours de vendeurs ou d’acheteurs francophones et c’est correct. Notre idée au Québec, c’est qu’on veut que les gens puissent, de manière générale, travailler en français.

[…] Il n’y a pas de raison pour qu’une entreprise de Montréal qui fait affaire avec une entreprise de Sherbrooke négocie en anglais. La langue des affaires entre Québécois, ça devrait être le français, maintenant on n’empêchera personne de faire des affaires en anglais avec des entreprises à l’extérieur du Québec.

Le Franco : La CAQ semble adopter une approche nationaliste et autonomiste face à l’appareil fédéral, avez-vous pris de l’intérêt pour les revendications récentes de la première ministre Danielle Smith qui a choisi une approche quasi similaire à la vôtre, notamment avec sa Loi sur la souveraineté?

J.-F. R. : On regarde d’un œil intéressé ce qui se passe autant en Alberta qu’en Saskatchewan.

Dans les deux cas, il y a eu des gestes autonomistes. Moi, je pense que c’est causé par les intrusions du gouvernement fédéral de Justin Trudeau. Des intrusions répétitives et systémiques qui [durent] depuis trop longtemps.

Le gouvernement fédéral devrait plutôt s’occuper de ses champs de compétences…

Le Franco : C’est-à-dire?

J.-F. R. : Écoutez, on a une frontière au Nord qui est mal gardée. On sait qu’à la fois les Chinois et les Russes surveillent, pour ne pas dire menacent, le territoire canadien au Grand Nord. La frontière au Sud, c’est une passoire avec le chemin Roxham, d’ailleurs le gouvernement fédéral semble incapable de régler la situation. Il devrait en faire une priorité.

Avant d’envahir les champs de compétences des gouvernements provinciaux, le gouvernement fédéral devrait s’occuper de ses frontières et livrer les passeports des Canadiens qui veulent voyager.

Le Franco : Du coup, en raison de ces combats parallèles pour lutter contre lesdites intrusions d’Ottawa, est-ce que les rapprochements entre le gouvernement du Québec et celui de l’Alberta deviennent encore plus évidents?

J.-F. R. : Je pense qu’on doit travailler sur ce qui nous rassemble. […] Par exemple, on aurait aimé avoir plus d’argent dans le transfert canadien en santé. On est déçus des sommes qui [ont été mises] sur la table, mais [au moins] on a obtenu des sommes. Pendant des années, le gouvernement fédéral ne voulait rien nous donner du tout, il ne voulait même pas nous rencontrer. C’est avec cette solidarité [interprovinciale] qu’on a forcé le gouvernement fédéral à s’asseoir et ultimement à donner davantage d’argent aux provinces.

Le Franco : Il va sans contredit que le Québec est un des piliers de la francophonie canadienne. Comment les luttes menées par la CAQ face au gouvernement fédéral peuvent-elles servir de phare pour les combats de notre francophonie albertaine tout en s’assurant de ne pas lui faire ombrage? 

J.-F. R. : Quand on intervient, parfois jusqu’en Cour suprême, pour défendre le droit des Québécois de s’exprimer en français, ce n’est pas contre la minorité anglophone québécoise ni contre les minorités anglophones à l’extérieur du Québec. […]

Il faut que l’approche asymétrique [soit] adoptée par le gouvernement fédéral et par la Cour suprême.

Par exemple, on sait que les droits de la minorité anglophone québécoise sont respectés. Il n’y a personne de sérieux et de raisonnable qui pense que l’anglais est menacé au Québec. Donc, c’est normal, dans notre contexte québécois, d’avoir une Charte de la langue française qui [exige] que les nouveaux arrivants aillent à l’école en français.

[Au même titre], je ne pense pas que ça prenne une loi pour empêcher une [personne anglophone] de s’inscrire dans une école francophone en Alberta. [Je ne crois pas] qu’on ait besoin de forcer cette personne à aller dans une école anglophone au cas où il se franciserait et que ça attaquerait la majorité anglophone.

C’est absurde d’appliquer des règles de manière égale au Québec et ailleurs au Canada. Notre situation linguistique est complètement différente.

Le Franco : Avec ses programmes d’aide financière, le gouvernement du Québec appuie le développement de projets par des communautés francophones de l’Alberta. Est-ce possible de m’en dire plus sur l’objectif de cette intervention financière? 

J.-F. R. : Le Gouvernement du Québec a un budget annuel d’environ deux millions de dollars pour soutenir les communautés francophones dans les autres provinces et territoires. Pour nous, c’est une démonstration claire que nous sommes des alliés. Ce qu’on fait, c’est qu’on finance ou on cofinance toutes sortes d’initiatives.

Pour donner un exemple concret […], il y a une partie du Festival d’hiver franco Winterfest qui est financé par le Gouvernement du Québec. C’est une belle initiative [ce] festival francophone, alors on a voulu l’encourager.

Le Franco : N’avez-vous pas l’impression qu’en finançant des projets de la francophonie albertaine, la CAQ joue dans les plats de bande de Patrimoine canadien et du Secrétariat francophone de l’Alberta?

J.-F. R. : Je pense qu’en francophonie canadienne, on n’en fera jamais trop. Les communautés francophones canadiennes dans certains cas sont très fortes et ont une excellente vitalité. Dans d’autres cas, elles sont en situation difficile…

Si la province de l’[Alberta] en fait un peu, que le Québec est capable d’offrir son soutien sans s’ingérer et puis si le gouvernement fédéral vient soutenir en plus, c’est tant mieux.

Le Franco : Comme vous le savez, l’Alliance de la francophonie économique canadienne a récemment été lancée grâce à un partenariat entre le Conseil de développement économique de l’Alberta, la Fédération des chambres de commerce du Québec et les organes homologues au Nouveau-Brunswick et en Ontario. L’objectif est de bâtir des ponts entre les provinces canadiennes afin de favoriser les échanges économiques entre les entreprises et les gens d’affaires francophones. En ce sens, le Bureau du Québec à Calgary ne crée-t-il pas une interférence face à ce partenariat? Avez-vous l’intention de travailler ensemble? 

J.-F. R. : On va travailler ensemble. D’ailleurs, j’ai rencontré monsieur Charles Milliard (le président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec) qui m’a parlé de l’Alliance. J’ai aussi parlé avec madame Catherine Tadros qui est la cheffe de poste du Bureau du Québec à Toronto et qui supervise toutes les équipes de l’Ouest canadien. Elle connaît très bien monsieur Milliard, elle est d’accord avec les initiatives de l’Alliance. Je pense que [tout le monde] va travailler en synergie.

Il n’y a aucune compétition entre nos [mandats].

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  • Date de création 24 mars, 2023
  • Dernière mise à jour 24 mars, 2023
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