Regards croisés sur le déneigement en Alberta

L'hiver bat son plein en Alberta et apporte, comme à chaque année, son lot de trottoirs glacés, d’andains de neige… et de grogne populaire. Malgré le mécontentement de certains résidents qui remettent en question l’efficacité des mesures de déneigement adoptées par leur municipalité, les villes de Calgary et d’Edmonton assurent, de leur côté, que leurs opérations sont généralement bien menées.


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Gabrielle Audet-Michaud

IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO

«Honnêtement, je trouve que le déneigement est mal fait. On dirait qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. Il y a souvent des bancs de neige devant les passages piétonniers et de la glace sur les trottoirs», lance Benoit Frison, un résident du nord-ouest de Calgary. Malgré ces reproches, qui ne semblent guère isolés, le porte-parole de l’équipe mobilité de la métropole albertaine insiste sur l’efficacité du plan d’intervention de sa ville qui permet de déneiger les artères principales jusqu’au revêtement en moins de dix-huit heures.

«Les routes qui reçoivent plus de 20 000 déplacements quotidiens sont celles que l’on priorise avec le centre-ville. Ensuite, on passe aux routes empruntées par les autobus qui, elles, sont déneigées entre dix-huit et trente-six heures après la fin des chutes de neige», explique Chris McGeachy.

Depuis 2018, le budget alloué aux opérations de déneigement a d’ailleurs été revu à la hausse afin d'améliorer les services destinés aux citoyens, en particulier pour faciliter la circulation des piétons en ville, affirme-t-il. «Quand on analyse nos chiffres et la rapidité avec laquelle on réussit à ramasser la neige, on fait vraiment très très bien.»

Si la ville de Calgary se targue d’être efficace dans ses opérations de déneigement, mais que les citoyens continuent d’éprouver des enjeux de mobilité, cela a notamment à voir avec la portée limitée des services pris en charge par la municipalité, clame de son côté Benoit Frison.

Conséquence de cette mentalité, ce sont les citoyens eux-mêmes qui sont responsables de déneiger les trottoirs adjacents à leur propriété, et ce, en vingt-quatre heures, sous peine d’amende, rappelle le retraité. La ville, elle, n’est responsable, en réalité, que du déneigement de 10% des trottoirs.

«Les gens ne veulent pas payer de taxes, mais sans taxes, on n’a pas de services. La ville devrait acheter beaucoup plus d’équipement, mais elle n’a pas le budget pour le faire», affirme-t-il.

Du pareil au même

Alors que certaines municipalités canadiennes assument entièrement le déneigement des trottoirs, tel est le cas à Montréal et à Winnipeg, la stratégie adoptée à Edmonton reste similaire à celle de Calgary. Si les citoyens ne s’acquittent pas de leur devoir de déneigement, ils sont passibles d’une amende de 100$.

Mark Beare, directeur des opérations d’infrastructure pour la capitale albertaine, rappelle cependant que des boîtes de sable sont mises à la disposition des citoyens afin qu’ils puissent déglacer leurs trottoirs de manière efficace. «C’est un programme très important pour les Edmontoniens et c’est gratuit. Il y a très peu de municipalités en Amérique du Nord qui offrent ce genre de services de manière aussi étendue», dit-il.

La ville d’Edmonton a pourtant mené des consultations publiques pour réduire le nombre de boîtes à sable de 770 à une centaine. Cette décision permettra d’économiser 800 000$ en heures de travail et de réduire de trois jours le délai de déneigement des routes prioritaires de catégorie trois, celles situées dans les zones industrielles et rurales de la ville.

«Les citoyens pourront encore avoir accès au sable en conduisant une dizaine de minutes et, pour nous, l’impact sur le terrain sera immense», justifie Mark Beare.

C’est également pour des raisons économiques et logistiques que la ville d’Edmonton a décidé de renoncer à son initiative de déneigement des rues résidentielles jusqu’au revêtement. D’après Valerie Dacyk, superviseure générale des opérations sur le terrain en infrastructure, des andains de neige et des ornières se formaient après le déneigement et impactaient ainsi la mobilité des résidents.

«Il a été déterminé qu’à moins que l’on soit prêts à dégager complètement la neige des rues résidentielles à l’aide d’un camion de ramassage, ce ne serait pas réalisable de poursuivre ce plan», explique-t-elle.

La stratégie consistant à accumuler une couche de neige de cinq à dix centimètres et à l'aplatir a ainsi été adoptée de nouveau pour trouver un compromis optimal entre mobilité et rentabilité. «Gratter la neige aurait entraîné des coûts exponentiels et nécessité des ressources que nous ne pouvons pas nous permettre. Je pense que la majorité de la population comprend cela et notre évaluation, c’est que ça se passe très bien», assure-t-elle.

Chris McGeachy mentionne que cette même approche est également en vigueur à Calgary. Peu de villes canadiennes, selon lui, retirent complètement la neige des zones résidentielles en raison des coûts élevés et du temps exigé. «Nous préférons utiliser les routes comme des sites naturels de stockage de neige et nos équipes aplanissent la surface si nécessaire», affirme-t-il.

On se compare, mais on ne se console pas

Les budgets de Calgary et d’Edmonton pour l’année 2024, respectivement chiffrés à 54 millions et 65 millions, sont bien en deçà de ceux d’autres villes canadiennes qui connaissent des chutes de neige importantes.

À Toronto, par exemple, les opérations de déneigement coûteront un peu plus de 100 millions de dollars en 2024. Dans la capitale nationale, ce sont environ 86 millions de dollars qui sont prévus au budget. Et à Montréal, la métropole canadienne qui reçoit le plus de neige, le budget est chiffré à près de 200 millions pour la prochaine année. La ville s’acquitte cependant de déneiger les trottoirs et de dégager entièrement les rues résidentielles.

«Dans l’est du pays, tu paies plus cher en taxes, mais les services sont là en retour», rappelle Benoit Frison qui habite dans l’Ouest canadien depuis les années 1990, mais qui est originaire du Québec.

D’autres municipalités, comme celle de Winnipeg, dépensent cependant beaucoup moins que les villes albertaines, avec un budget de 36 millions pour l’année en cours. En 2022, la ville a toutefois totalisé des dépenses de 87 millions de dollars pour le déneigement.

Benoit estime que pour surmonter leurs enjeux de mobilité, les villes albertaines devraient allouer des budgets plus généreux pour le déneigement, à l’image de leurs homologues canadiennes. Il demeure cependant pessimiste quant à une amélioration prochaine de la situation.

«Les résidents semblent être au neutre, ils acceptent les conditions glissantes et dangereuses pour éviter une augmentation des taxes. Ici, c'est le Far West. C’est tout ou rien», conclut-il.

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  • Date de création 17 février, 2024
  • Dernière mise à jour 16 février, 2024
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