Récolter la rentabilité grâce à la diversité

La ferme Mariposa située à Plantagenet, à 60 km d’Ottawa, roule sa bosse depuis 1980, menée par un seul couple propriétaire. Leur secret? La détermination et la diversification des sources de revenus. Après avoir conquis le monde de la restauration de la région et les particuliers, il ne reste que les décideurs politiques à convaincre d’adhérer à l’agriculture locale pour qu’Ian Walker et Suzanne Lavoie aient accompli pleinement leur mission.

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse – Le Droit

Le site est à faire rêver. À une centaine de mètres aux abords de la route 17, l’étendue de 107 acres de la ferme Mariposa se laisse découvrir derrière une forêt. Les différentes sections du lieu sont indiquées sur des écriteaux en bois. Jak, le chien, nous souhaite la bienvenue. Une maison en bois, champêtre, s’impose derrière les arbres. C’est la demeure du couple propriétaire ainsi que la boutique. Derrière, des porcs se promènent à l’extérieur, des poules, canards et oies cohabitent sous l’étable, et quelques vaches broutent dans un grand terrain. Un panneau routier indique que nous sommes à l’intersection de l’avenue Mariposa et du croissant Mariposa. Petit clin d’œil comique au quartier Rockcliff à Ottawa, où M. Walker a grandi.

Durant cette deuxième semaine d’octobre, les laitues, poivrons et autres légumes continuent de pousser dans le jardin communautaire. À deux pas du four extérieur en pierre se trouve un deuxième bâtiment, dont les murs, majoritairement vitrés, dévoilent une foule de tables. Agissant comme restaurant pendant 18 ans, le pavillon est aujourd’hui l’hôte d’événements de groupes, tels les mariages. À quelques minutes du site, le couple loue trois gîtes en pleine forêt.

Axé sur la diversité

«Mon père me disait de ne pas mettre tous mes œufs dans le même panier dans une entreprise», rappelle Ian Walker.

Le couple est également distributeur de produits alimentaires locaux pour une centaine de restaurants de la région d’Ottawa-Gatineau, ainsi que les particuliers. M. Walker est copropriétaire d’un de ceux-ci, Wilf & Ada’s à Ottawa, bien connu pour ses œufs bénédictine garnis de canard effiloché.

L’homme aux sourcils imposants est catégorique. Il ne pourrait vivre qu’en se fiant à la vente de la viande qu’il produit, soit le porc, le bœuf, l’oie et le canard.

«Je regarde les nouvelles fermes dans la région et je me dis que dans cinq ans, elles n’existeront plus, tranche-t-il. C’est très coûteux et les gouvernements ne mettent pas assez l’accent sur l’agriculture locale, donc les fermes ne reçoivent pas assez d’aide.»

Pour appuyer la relève agricole, le couple offre gratuitement des parcelles de terrain, Ethan Lemkow, de la ferme Ethan’s Greens, utilise une partie du jardin pour cultiver ses légumes et vendre des paniers de légumes hebdomadaires. Après quelque temps à la ferme Mariposa, il prévoit acheter sa propre ferme prochainement.

Les deux amoureux ont occupé un emploi à l’extérieur de la ferme pendant une vingtaine d’années avant de se concentrer entièrement à leur entreprise, ce qui a accéléré son déroulement.

«À l’aube de la retraite, ce qui nous aide à persister en tant qu’entrepreneurs est notre complicité, révèle Mme Lavoie, 60 ans. Quand l’un occupe un emploi de 9 h à 16 h, c’est plus difficile. En agriculture, tu travailles beaucoup et tu ne fais pas beaucoup d’argent. Encore aujourd’hui, je ne sais pas ce qui va rentrer en termes de revenus. Il reste qu’il est important de diversifier les portefeuilles.»

La richesse de la localité

«Plusieurs disent que je suis plus un environnementaliste qu’un fermier», dit Ian Walker, également conseiller au canton d’Alfred et Plantagenet.

«Je suis le mouton noir du groupe», ajoute l’homme qui tient à ses convictions.

Baignant dans le monde de la restauration, il a rapidement constaté que la collecte du compost n’est pas offerte aux restaurateurs. Il tente de remédier à la situation, à petite échelle.

«J’étais tanné de rentrer à l’arrière du restaurant et de voir l’emballage alimentaire par-dessus les pelures de patates, raconte l’homme de 64 ans. J’ai commencé à récolter les déchets alimentaires des restaurants pour nourrir mes porcs. Les restaurants me paient pour ça, comme ils doivent le faire pour la collecte des ordures.»

Les deux anciens étudiants en agriculture ont vu une évolution positive des mentalités des consommateurs face à l’agriculture locale, qui s’inscrit dans leur valeur environnementale commune.

En venant manger à leur restaurant, en visitant la ferme et en discutant avec des fermiers passionnés, il est plus facile pour les consommateurs de comprendre le mode de vie rurale et d’être porté à l’encourager, comme dans ses choix alimentaires.

«La localité fait du bien à l’économie, mais c’est plus que ça», explique Suzanne Lavoie.

«Ça met de la richesse en milieu rural et ça crée des communautés. Il faut intégrer les gens de la ville au mode de vie rural.»

Un pays sans culture culinaire

Dans le monde de la restauration, le caractère local des produits n’a jamais été autant mis de l’avant. Ian Walker remarque que cette valeur a toutefois toujours été présente chez les chefs. Ce sont maintenant les consommateurs qui viennent d’y adhérer. La vague d’alimentation locale engendrée par la pandémie se poursuit et les émissions et livres de cuisine grimpent en popularité. On est loin du temps où Jehane Benoît était la seule (et fiable) référence. Seul frein à cet engouement? Les normes gouvernementales trop strictes, selon Walker et Lavoie.

«Les consommateurs réalisent qu’il y a un problème dans le système alimentaire mondial, soulève Walker. Pourquoi donnerais-je mon argent à Loblaws quand je pourrais le donner à une ferme locale? L’Agence canadienne d’inspection des aliments nous rend la tâche très difficile pour rendre cette alimentation accessible.»

Une règle qui choque Suzanne Lavoie est le fait qu’elle ne peut pas vendre sa viande abattue en Ontario, en territoire québécois.

Pour vendre dans une autre province canadienne, l’animal doit être abattu dans un abattoir fédéral, soumis à des normes différentes qu’un abattoir provincial.

«C’est bien beau le libre-échange international, mais il faudrait commencer à être capable d’en faire à l’intérieur de notre propre pays», revendique Mme Lavoie. «Il y a beaucoup trop de règles», dit M. Walker en s’emportant.

«Le gouvernement restreint notre capacité de produire et de vendre de la nourriture. Imaginez si tout le monde qui possède une vache laitière pouvait afficher “fromage à vendre” sur le bord de la route. Ne serait-ce pas merveilleux?»

Les nombreuses restrictions gouvernementales dans le secteur alimentaire empêchent le Canada de développer librement sa propre identité culinaire, croient les agriculteurs.

Ils prennent la France comme modèle, où le caractère local des produits fait partie depuis toujours des valeurs du monde agroalimentaire. À la suite des revendications de la population, les gouvernements ont dû assouplir les règles pour que chacun puisse vendre facilement son saucisson ou son poivron.

«Comme fermier, on passe plus de temps à se battre contre ces règles qu’à développer une culture culinaire, soutient Walker. Je crois que dans les 100 prochaines années, ça va avoir changé.»

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Photos

Suzanne Lavoie et Ian Walker, propriétaires de la Ferme Mariposa (Etienne Ranger/Le Droit)

Les fermiers ont des poules pondeuses pour leur propre besoins. (Etienne Ranger/Le Droit)

La Ferme Mariposa (Etienne Ranger/Le Droit)

Les porcs sont nourris par le compost des restaurants. (Etienne Ranger/Le Droit)

  • Nombre de fichiers 5
  • Date de création 20 novembre, 2023
  • Dernière mise à jour 20 novembre, 2023
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