Quelle place pour les statues?

Un jour seulement après sa réinstallation sur le terrain du Palais législatif, la statue d’Elizabeth II a de nouveau été vandalisée. Un incident qui amène à s’interroger sur la place de certains monuments dans l’espace public.

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Hugo BEAUCAMP (avec des informations recueillies par Jonathan SEMAH)

IJL – Réseau.Presse – La Liberté

Au cours de ses 70 ans de règne, feue la reine Elizabeth II aura, officiellement, visité le Canada 22 fois. C’est plus que tout autre pays du Commonwealth. Au cours de ces visites, elle s’est arrêtée par six fois à Winnipeg.

Sur la pelouse du Palais législatif, une statue de bronze d’une envergure d’environ trois mètres, à l’effigie d’Elizabeth II semble monter la garde. La statue, sculptée par l’artiste Leo Mol, avait été dévoilée le 3 juillet 2010 par la Reine elle-même.

En juillet 2021, alors que des centaines de tombes anonymes sont découvertes sur les sites d’anciens pensionnats autochtones en Colombie-Britannique et en Saskatchewan, des manifestants envahissent le parc devant le Palais législatif.

Dans la colère, la statue de la reine Victoria est renversée et décapitée. Celle de la reine Elizabeth II est peinturée et renversée. Si la statue de la reine Victoria est jugée irréparable, celle d’Elizabeth sera réparée.

Entre vandalisme et protestation, la frontière est souvent très mince, mais ici, difficile d’ignorer la portée symbolique derrière ces actes de colère. Une colère qui, vraisemblablement, ne s’adoucit pas.

Pas une surprise

Remise en place le 2 juin, près de deux ans plus tard, il n’aura suffi que de 24 h pour que la statue soit de nouveau vandalisée. Aspergée de peinture blanche et rouge. Sur le socle, les mots « Colonizer » (colonisatrice) et « Killer » (meurtrière).

Gordon Goldsborough, historien et membre de la Société historique du Manitoba, n’a pas été surpris d’apprendre la nouvelle et pour lui, le monument n’est pas au bout de ses peines.

« Rien n’a vraiment changé depuis que la statue a été vandalisée la première fois. Certaines personnes voient l’ancienne reine comme étant le symbole des problèmes auxquels les Autochtones ont été et continuent d’être confrontés. » Pour l’historien, il faut s’attendre à voir ce genre d’incident se répéter à l’avenir, en tout cas tant que des « efforts significatifs » n’auront pas été réalisés.

D’ailleurs, Gordon Goldsborough, même s’il souligne que le monument a sa place dans l’espace public, regrette en revanche qu’il se trouve sur le terrain du palais législatif, « intimement connecté au gouvernement ». Une alternative logique serait selon lui « La Fourche, ou encore près du Musée canadien pour les droits de la personne ».

Manquement aux promesses

Un monument est symbolique par définition. L’endroit où il est exposé peut cependant réorienter, voire redéfinir, le message qu’il projette.

Robert-Falcon Ouellette est anthropologue et enseignant en culture autochtone à l’Université du Manitoba. Il souligne que pour certains Autochtones, les statues de reines et de rois représentent quand même l’État et le manquement aux promesses faites lors des Traités. « Mais en même temps, il y a des Autochtones qui croient qu’il faut respecter ces statues-là, car justement, elles représentent aussi la signature de ces Traités. »

Les représentations associées aux monuments ont donc aussi une dimension subjective et personnelle, et cette statue de bronze de l’ancienne reine Elizabeth II revêt donc plusieurs symboles qui peuvent évoquer toute une palette d’émotions. Pour ceux qui provoquent la colère et l’indignation d’une partie de la population, il est alors légitime de se demander si leur place ne serait pas plutôt dans un musée. Dans un musée, l’exposition à ces œuvres devient alors active. Elles ne sont plus imposées à la vue de tous.

Pour autant, Robert-Falcon Ouellette pense au contraire que la place des monuments est dans l’espace public : « Si elle (la statue d’Elizabeth II) est vandalisée, c’est facile de la nettoyer, tranche-t-il. Ça nous amène à nous interroger sur la place des Autochtones et ça relance les débats, des débats qu’il faut continuer à avoir. »

Pour l’anthropologue autochtone, il faut laisser les monuments là où ils sont, tout comme il faut conserver les noms des rues. Plutôt que de remplacer ou cacher, comme cela a été fait pour le Boulevard Bishop Grandin, renommé Abinojii Mikanah (prononcé : A-bin-oh-gee Mee-kin-ah), il faut ajouter et s’assurer que tout le monde soit représenté. Car « les noms rappellent l’histoire et il faut s’y confronter ».

La solution est donc ailleurs pour l’ancien député à la Chambre des communes du Canada. « Des statues de Chefs autochtones devraient être ajoutées dans notre espace public. Autour du Palais législatif aujourd’hui, les Autochtones ne se voient pas représentés. » Après tout, sans parler de réconciliation, s’assurer que tous les pans de l’histoire demeurent au grand jour, c’est déjà faire un pas vers la vérité.

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Photos

Robert-Falcon Ouellette est anthropologue et enseignant en culture autochtone à l’Université d’Ottawa. + Photo : Ophélie Doireau
La statue de la reine Elizabeth II a été déteriorée au lendemain de sa réinstallation. + Photo : Gracieuseté Robert-Falcon Ouellette
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  • Date de création 24 juin, 2023
  • Dernière mise à jour 24 juin, 2023
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