Quand l’accès à la propriété devient un rêve inatteignable

Entre la hausse des taux d’intérêt, l’inflation persistante et la forte migration interprovinciale qu’a connue l’Alberta dans la dernière année, l’accès à la propriété est devenu un véritable champ de mines pour les primo-accédants de la province. Les villes de Calgary et d’Edmonton en ressentent particulièrement les effets puisque de moins en moins de jeunes adultes semblent y être en mesure d’acquérir une propriété.

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Gabrielle Audet-Michaud

IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO

En trente-trois ans de carrière, la courtière en immobilier Nadine Faule affirme ne jamais avoir été confrontée à une situation similaire à celle des derniers mois. Malgré l’augmentation du taux directeur à 5% cet été - un niveau inégalé depuis 2001 qui exerce d’ailleurs une forte pression sur les emprunteurs hypothécaires -, elle constate une hausse continue du prix des maisons à Calgary. Une situation qui avait déjà été analysée dans nos pages en début d’année. Et d’après l’experte, cette tendance ne semble pas prête à s’inverser, en raison de l’afflux constant d’acheteurs en provenance de Montréal, Toronto et Vancouver.

«Il y a encore énormément de migration des grandes villes canadiennes vers l’Alberta. [...] Plusieurs personnes vendent leurs propriétés à gros prix et lorsqu’ils arrivent ici, ils peuvent mettre jusqu’à un million de dollars sur une maison. La hausse des taux d’intérêt ne les affecte pas, car ils ont souvent assez de liquidité pour acheter comptant. C’est complètement débile», explique Nadine.

Au premier trimestre de 2023, l’Alberta s’est d’ailleurs classée en tête de lice avec une migration de 31 031 résidents venus d’autres régions du pays. Et ce n'est pas tout, révèle la courtière, car il y a également un flux continu de nouveaux arrivants en provenance d'Europe, qui profitent de la force de l’euro et du taux de change favorable lors de l’achat de propriétés.

«Sans aucune exagération, j’ai au moins trois à quatre personnes par semaine de l’Europe qui me contactent pour trouver du logement. Beaucoup de Français, de Suisses et de Belges», explique celle qui se spécialise dans la relocalisation de francophones.

Un marché difficile à percer pour les jeunes

Tous ces acheteurs potentiels se retrouvent donc très avantagés lorsque vient le temps de mettre la main sur une propriété. En parallèle, les primo-accédants albertains qui tentent de rivaliser se trouvent plutôt pris au piège devant un marché quasi impénétrable. Une réalité «injuste» que déplore Nadine âprement.

Elle illustre cette problématique en évoquant sa fille âgée de vingt-cinq ans, qui ne cesse de lui répéter combien il lui sera difficile d’acheter une maison dans le marché actuel. «Et son problème, c’est celui de tous ses amis et d’une majorité de jeunes qui ont aux alentours de trente ans. Le prix des maisons a vraiment augmenté et la demande est tellement forte que ce qui demeurait abordable pour eux ne l’est plus», s'exclame la courtière.

À Edmonton, la situation semble moins critique, mais demeure néanmoins assez complexe pour les premiers acheteurs. La courtière immobilière Vanessa Landry souligne une diminution continue des stocks et un marché favorable aux vendeurs, caractérisé par des offres multiples et des ventes éclairs. Elle attribue également ce phénomène à la forte migration interprovinciale que connaît l’Alberta. «C’est la première fois en huit ans que je vois autant de personnes d'autres provinces venir s’installer ici. J’ai vendu à des gens sur Zoom et Skype qui n'avaient même jamais visité l’Alberta avant d’acheter», dit-elle.

Bien qu’elle demeure optimiste face au pouvoir d’achat des jeunes albertains dans ce contexte, Vanessa constate que très peu de nouveaux acheteurs ont réalisé des transactions dans la dernière année. «Ceux qui achètent et vendent en ce moment, ce sont des aguerris du marché immobilier, souvent âgés entre cinquante et soixante ans. Et le manque de nouveaux acheteurs s’explique probablement par le fait que les taux d’intérêt ont augmenté», analyse-t-elle.

Quand les loyers flambent les économies

Ce qui complique encore plus le portrait à Calgary, et qui s’applique à moins grande échelle à la ville d’Edmonton, avance Nadine Faule, est le prix exorbitant des appartements locatifs, qui ont connu une hausse exponentielle en quelques mois. Selon les données publiées par Rentals.ca, les loyers à Calgary augmentent actuellement à un rythme de 16% par année, lui valant la première place parmi les grandes villes canadiennes. «Les gens ont l’appel des Rocheuses. C’est pourquoi Calgary devient une sorte de ruée vers l’or, tandis qu’Edmonton demeure plus abordable», explique la courtière.

Avec des loyers aussi élevés, les futurs acheteurs qui tentent de pénétrer le marché se font prendre dans un cercle vicieux, sans la capacité d’économiser pour leur mise de fonds initiale, souligne-t-elle. «Quand plus de la moitié de notre salaire est englouti par la location, cela devient quasiment impossible de mettre de l’argent de côté».

Selon elle, la seule solution envisageable consiste à construire davantage de maisons et de condominiums locatifs à des prix abordables. «[Les décideurs] peuvent augmenter les taux d’intérêt tant qu’ils veulent, mais si on continue d’avoir une aussi forte migration, ça ne va rien changer. On a besoin que le fédéral, le provincial et les municipalités se mettent ensemble pour créer plus de logements abordables», soutient-elle.

  • Nombre de fichiers 3
  • Date de création 9 septembre, 2023
  • Dernière mise à jour 12 septembre, 2023
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