Projet de loi 7: «Ma mère se serait laissée mourir»

ÉMILIE GOUGEON-PELLETIER

Initiative de journalisme local — Le Droit

Guy Bourgouin a fait ses adieux à sa mère, Monique Bourgouin, il y a exactement un mois. Mais elle aurait pu ne jamais se rendre aussi loin. «Elle se serait laissée mourir», croit son fils, si elle avait dû changer de centre hospitalier, contre son gré, comme le propose le projet de loi 7.  

Avant d'emménager dans le foyer de soins de longue durée (FSLD) de son choix, où elle a rendu son dernier souffle, elle a passé trois ans à l’hôpital, au niveau de soins alternatifs (NSA).

Les hôpitaux utilisent ce terme, NSA, pour désigner le statut des patients qui occupent un lit mais qui ne nécessitent pas le niveau de services prodigués dans l’unité de soins où ils se trouvent.

On avait proposé à Mme Bourgouin une place dans un autre établissement, situé à Hearst, mais elle avait décliné l’offre parce qu’elle refusait de s’éloigner du cimetière où repose son défunt mari, à Dubreuilville. Elle tenait à rester là.

«Elle a eu une belle vie. Ça faisait longtemps que ma mère voulait aller rejoindre mon père», indique son fils Guy Bourgouin, porte-parole néo-démocrate en matière de francophonie à Queen’s Park.

Monique Bourgouin s’est éteinte le 29 juillet, à l’âge de 89 ans.

Projet de loi 7

Des «patients NSA», il y en a beaucoup en Ontario: 6000, pour être exact, selon les données de la province, et 2000 sont sur une liste d’attente pour une place en FSLD.

Et ces jours-ci, la crise qui frappe de plein fouet les hôpitaux de la province et qui a engendré la fermeture de plusieurs services d’urgence ces derniers mois force le gouvernement Ford à chercher des solutions pour libérer des lits.

Dans sa quête de remèdes, le ministre des Soins de longue durée, Paul Calandra, s’est tourné vers ces «patients NSA».

Son projet de loi 7 autorisera leur transfert temporaire si le lit qu’ils occupent est prisé et que leur établissement de choix n’est pas disponible.

«Elle se serait laissée mourir», répète Guy Bourgouin, qui s’imagine la réaction de sa mère si elle avait été dans cette situation. 

«Cette nouvelle disposition autorise la prise de certaines mesures sans le consentement de ces patients, peut-on lire dans le premier paragraphe du projet de loi 7. Par exemple, le coordonnateur des placements peut établir l’admissibilité d’un patient à un foyer de soins de longue durée, choisir un foyer et autoriser l’admission du patient au foyer.»

Le gouvernement a assuré que personne ne ferait usage de la force physique pour libérer des lits.

Or, Paul Calandra a déclaré que les patients devraient «absolument» se voir facturer des tarifs journaliers s'ils refusent de se déplacer, sans pour autant préciser le montant.

« Si un résident n’est pas capable d’exprimer en anglais ce dont il a besoin et que ses proches aidants sont trop loins pour venir prendre soin de lui chaque jour, qui va pouvoir savoir ce dont il a besoin? »

Guy Bourgouin, porte-parole néo-démocrate en matière de francophonie et fils de la défunte Monique Bourgouin

Inquiétudes pour les francophones

En conférence de presse à Niagara Falls, vendredi dernier, la ministre des Affaires francophones, Caroline Mulroney, a souligné que «si ce projet de loi 7 est adopté, les enjeux francophones vont demeurer importants», mais elle n’a pas pu garantir que les patients d’expression française seront envoyés dans des FSLD qui offrent des services dans leur langue.

La ministre Mulroney a néanmoins souligné que c’est son gouvernement qui est devenu le premier en Ontario à adopter une stratégie francophone pour les soins de longue durée.

N’empêche, 68% des résidents en FSLD sont atteints de démence, selon la province, «et on sait que plusieurs d’entre eux reviennent à leur langue maternelle, au fur et à mesure que la maladie progresse», avait soutenu l’adjointe parlementaire de la ministre des Affaires francophones, Natalia Kusendova, lors d’une entrevue avec Le Droit, l’an dernier.

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Cette dernière avait alors noté qu’environ 2000 Franco-Ontariens étaient en attente d’une place en FSLD, disant que ce nombre était probablement largement sous-estimé parce que certains francophones hésitent à s'identifier ainsi, craignant une augmentation du temps d’attente pour avoir accès à un établissement.

En Ontario, parmi les 626 foyers de soins de longue durée, 30 sont désignés «francophones».

«Si un résident n’est pas capable d’exprimer en anglais ce dont il a besoin et que ses proches aidants sont trop loins pour venir prendre soin de lui chaque jour, qui va pouvoir savoir ce dont il a besoin?», se demande Guy Bourgouin.

Nous avons aussi demandé au ministère des Soins de longue durée s’il pouvait offrir une garantie absolue que si les patients francophones doivent être déplacés en FSLD de façon temporaire, ce sera dans un établissement où on parle français.

«Lorsqu'ils recommandent un placement temporaire approprié dans un foyer, les coordonnateurs tiennent compte des préférences religieuses, linguistiques et culturelles du patient», nous a-t-on répondu.

«Lorsqu'ils recommandent un placement temporaire approprié dans un foyer, les coordonnateurs des placements des services de soutien à domicile et en milieu communautaire tiennent compte des préférences religieuses, linguistiques et culturelles du patient. Les patients ne seront admis que dans un foyer qui répond à leurs besoins de soins», a assuré le ministère. 

«On ne les croit pas du tout, s’indigne la porte-parole du NPD en matière de santé, France Gélinas. Ils disent qu’ils tiennent compte des préférences. C’est une farce, ça, c’est une farce.»

La députée de Nickel Belt, une région francophone au nord de la province, dit que «même en ce moment», plusieurs francophones sont placés dans des FSLD qui ne rencontrent pas leurs besoins linguistiques.

Celle-ci est convaincue que la solution à la crise hospitalière réside plutôt dans les soins à domicile. 

Si le gouvernement ontarien pouvait mettre en place un meilleur programme de soins à domicile en offrant un salaire approprié aux travailleurs de la santé, «on pourrait garder des milliers d’aînés chez eux», insiste-t-elle.

Pas de consultations publiques

Lundi, le gouvernement progressiste-conservateur a adopté une motion pour faire avancer le projet de loi sans qu'il soit étudié en comité ou soumis à des audiences publiques.

L'opposition néo-démocrate a cherché à empêcher le gouvernement de procéder sans audiences publiques, en vain.

Le ministre des Soins de longue durée, Paul Calandra, a indiqué que la législation libérerait des lits de soins actifs dont les hôpitaux ont cruellement besoin.

«Les experts conviennent que le meilleur endroit pour quelqu'un qui a reçu son congé de l'hôpital, qui est sur la liste d'attente d'un foyer de soins de longue durée pour atteindre la maison de son choix, est dans un foyer de soins de longue durée, pas dans un lit d'hôpital», a dit M. Calandra lors de la période des questions lundi.

Les partis néo-démocrate, libéral et vert ont qualifié d'antidémocratique la décision du gouvernement de contourner les audiences publiques.

«Pourquoi ne respectons-nous pas nos aînés? a demandé le porte-parole du NPD en matière de soins de longue durée, Wayne Gates. Ils ont franchement construit cette province, ils nous ont élevés, ils ont besoin dans leur vieillesse d'être traités avec respect et dignité.»

Avec La Presse Canadienne

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  • Date de création 30 août, 2022
  • Dernière mise à jour 30 août, 2022
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