Programme-cadre du français : trop et trop vite

Le gouvernement de l’Ontario a annoncé un nouveau curriculum linguistique à la fin de juin qui comprend entre autres la réintroduction de l’enseignement du cursif. Les réactions de la communauté éducative sont mitigées, notamment en ce qui concerne la façon dont les enseignants devront s’adapter au nouveau guide à partir de septembre 2023.

_______________________

Philippe Mathieu 

IJL – Réseau.Presse – Le Voyageur

 

«Il n’y a rien de faux, il n’y a rien de surprenant, il n’y a rien en quoi je suis totalement contre. Mais, ce que je trouve de dommage, c’est ce qui n’est pas dit dans le curriculum», dit une professeure agrégée de la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, Anne-Marie Dionne. 

Il s’agit de la première révision du curriculum du français depuis 2006. Les changements affectent majoritairement les élèves inscrits de la 1re à la 8e année. 

Le gouvernement s’est inspiré du rapport publié l’année dernière par la Commission ontarienne des droits de la personne, Le droit de lire (2022), qui souligne les lacunes du système éducatif de la province en ce qui concerne les élèves souffrant de troubles de la lecture et d’autres élèves qui ne bénéficient pas d’approches fondées sur des preuves.

Pas assez de stratégies de compréhension

Le nouveau programme linguistique, qui devrait être implémenté dès la prochaine année scolaire, présente une série de modifications majeures, dont une attention accrue portée sur la phonétique. 

«Par exemple, on met beaucoup d’accent sur les entrées en lecture, notamment sur le décodage, comme si lire, c’est de décoder des mots.  On sait très bien que ce n’est pas juste ça. On le sait qu’un enfant a besoin d’apprendre à décoder puisqu’il n’est pas capable de tout savoir juste comme ça, c’est évident», explique Mme Dionne. 

À son avis, le curriculum ne se concentre peut-être pas assez sur la compréhension des textes. «Ce qui manque à mon avis dans le programme-cadre, c’est qu’on ne considère pas ce que j’appelle les autres “entrées” en lecture, donc, les façons de trouver le sens des mots, souligne-t-elle. Ça veut dire qu’on ne parle pas des autres stratégies de reconnaissances de mots, ce qui est de recourir au contexte pour trouver les mots.»

La vice-doyenne intérimaire aux programmes d’études de premier cycle s’inquiète également des conséquences sur le personnel enseignant. «Les enseignants qui entrent dans la profession vont partir dans la profession en pensant que d’enseigner la lecture, c’est apprendre aux enfants à décoder les mots, ce qui est dommage.» 

«Retour à l’essentiel» avec l’écriture cursive

Une des mesures du nouveau programme-cadre qui marque le plus les esprits est le retour de l’enseignement obligatoire du cursif et de la calligraphie de la 3e à la 9e année, un sujet optionnel depuis 2006. La démarche s’explique comme étant une stratégie visant à renforcer les compétences en matière d’alphabétisation et d’écriture.

Le retour du cursif est bien accueilli par les universitaires spécialisés en éducation. «Ça fait en sorte que tu te souviens davantage parce que tu as écrit et de ce que tu as appris», dit une professeure de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laurentienne, Louise Bourgeois. 

Plus de séparation en 9e 

Un autre changement majeur est l’élimination des cours théoriques et appliqués du français en 9e année. Cette combinaison est remplacer par un cours de français décloisonné qui accueillera autant les élèves forts que les élèves plus faibles. 

«Je dirais que c’est une des nouveautés qui me fait plaisir, souligne Mme Dionne. Selon moi, apprendre à utiliser la langue, c’est d’apprendre à utiliser la langue dans tous les domaines.» Elle mentionne que cela pourrait toutefois s’avérer être un défi pour les enseignants, car cela pourrait rendre la planification plus difficile, étant donné que le pédagogue devra préparer son cours en fonction de plusieurs niveaux différents dans sa classe.

Attentes élevées

Le ministère de l’Éducation a indiqué que tout le personnel doit être en mesure d’enseigner le nouveau programme de français à partir de septembre. Les deux professeures sont d’accord : les changements proposés sont trop importants pour être appris si rapidement. Après tout, les règles sont les mêmes depuis 17 ans. 

«C’est fou. Pour un enseignant qui commence, ce n’est pas si mal. Mais pour d’autres qui sont là depuis plusieurs années, qui ont quand même tout leur matériel de prêt, […] ça ne va pas être facile. […] Je ne sais pas comment les enseignants vont pouvoir faire ça», croit Mme Dionne. 

Pour de nombreux enseignants du primaire, le changement pourrait représenter des heures d’étude du nouveau document pendant l’été et pourrait entrainer une modification importante de leurs routines et stratégies pédagogiques du français, ainsi que des tests et des plans de leçons.

«C’est impensable, dit Mme Bourgeois. Je pense qu’on devrait avoir une année afin qu’on puisse former le personnel enseignant, pas juste sur le contenu, mais le contenant du curriculum.» 

— 30 — 

Louise Bourgeois.jpg

Louise Bourgeois — Photo : Courtoisie

 

Anne-Marie Dionne-Université d'Ottawa.png

Anne-Marie Dionne — Photo : www.uottawa.ca

  • Nombre de fichiers 3
  • Date de création 20 juillet, 2023
  • Dernière mise à jour 19 juillet, 2023
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article