Privatisation des chirurgies : «L’Ontario au bord du précipice», selon un rapport

Le rapport At What Cost? Ontario hospital privatization and the threat to public health care tire la sonnette d’alarme. Les plans du gouvernement de l’Ontario d’accroitre considérablement le nombre de chirurgies financées par l’État et d’interventions diagnostiques effectuées dans des établissements à but lucratif ont un impact négatif sur les hôpitaux publics et les patients de l’Ontario, avancent les auteurs qui ont présenté leur rapport à Sudbury le 6 novembre. 

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Venant Nshimyumurwa
IJL – Réseau.Presse – Le Voyageur

Publié par le Centre canadien de politiques alternatives, le rapport suggère plutôt de maximiser la capacité des salles d’opération des hôpitaux existantes plutôt que d’offrir des services à but lucratif.

Le 8 mai, le gouvernement a adopté une nouvelle loi (le projet de loi 60) qui encourage la croissance de ce secteur à but lucratif et élargit les types d’interventions chirurgicales et les diagnostics autorisés à l’extérieur des hôpitaux publics.

Ce rapport rappelle que le gouvernement a déclaré que le recours accru aux soins à but lucratif visait à accroitre la capacité et à réduire les temps d’attente. «Cependant, l’expansion du secteur à but lucratif a peu de chances de réussir, ni pour l’un ni pour l’autre», lit-on dans le document.

«À Sault-Sainte-Marie, l’hôpital a deux salles d’opération qui ne sont pas utilisées parce qu’elles n’ont pas les services d’anesthésie nécessaires. C’est le reflet de la situation dans le Nord de l’Ontario, où les fonds publics ne sont pas investis dans nos salles d’opération publiques existantes, pour qu’on y effectue des opérations chirurgicales», déclare l’auteur du rapport, Andrew Longhurst.

«Cela n’a pas de sens, à mon avis, lorsque vous avez une orientation stratégique selon laquelle vous cherchez à sous-traiter ces services alors que nous ne tirons pas pleinement parti de notre capacité ici», ajoute M. Longhurst.

L’économiste politique a également souligné que le manque de personnel est observé partout en Ontario. Un autre point qui, selon lui, rend moins soutenable la décision du gouvernement.

«Si vous cherchez à créer plus d’installations qui exigent que le nombre d’employés augmente [alors que vous n’en aviez pas assez], vous allez seulement contribuer à rendre ce défi plus difficile. C’est ce qui me préoccupe et qui préoccupe beaucoup d’autres. C’est que lorsqu’on cherche à agrandir ces installations à but lucratif, on va puiser dans ces mêmes ressources limitées avec la main-d’œuvre fixe, du moins à court terme», explique l’auteur du rapport.

Un temps d’attente plus long

À la suite d’insuffisance de ressources nécessaires pour ouvrir des salles inutilisées dans les hôpitaux de différentes régions de la province, le nombre de patients sur les listes d’attente ne cesse d’augmenter, selon le rapport.

«En Ontario, il y a 170 000 personnes, dont 17 000 enfants, sur des listes d’attente qui ont attendu au-delà des délais médicalement recommandés pour des interventions chirurgicales. Environ 2500 personnes inscrites sur cette liste d’attente sont décédées l’an dernier», révèle le président du Conseil des syndicats d’hôpitaux de l’Ontario, Michael Hurley.

Il affirme que ce problème est urgent. Pour lui, l’approche la plus judicieuse pour trouver une solution consiste à améliorer le système public plutôt que de le fragiliser.

Factures élevées, fardeau pour les patients

Le rapport sur la privatisation des chirurgies révèle également une différence entre les dépenses gouvernementales déclarées pour les cliniques privées et les dépenses réelles. Les hôpitaux publics seraient aussi moins financés par rapport aux cliniques privées.

«Dans le dernier budget de l’Ontario, en avril, on a prévu une augmentation de 0,5 % pour Horizon Santé-Nord, alors que leurs couts augmentent d’environ 5,6 % par année. En même temps, ils ont augmenté de 212 % les budgets des centres de chirurgie privés. Cela vous donne une idée de l’orientation politique du gouvernement», confie à la presse Michael Hurley lors de la présentation du rapport.

Cet hôpital de Sudbury, comme ailleurs, dispose aussi d’infrastructures inutilisées alors que ceux qui attendent des soins sont nombreux. 

«Horizon Santé-Nord a été construit avec 18 salles d’opération. Cinq de ces salles-là n’ont jamais été ouvertes pour faire des chirurgies. Non pas parce qu’on n’a pas de longue liste d’attente pour les gens qui veulent une chirurgie du genou ou de la hanche; mais parce que nos hôpitaux n’ont pas les ressources nécessaires pour offrir le service», indique la députée de Nickel Belt et porte-parole de l’opposition néodémocrate en matière de soins de santé, France Gélinas.

Elle ajoute que «le gouvernement ne veut pas donner des ressources supplémentaires pour ouvrir ces salles d’opération, mais il est prêt à donner des contrats, pour 25 ans, de millions de dollars à des compagnies privées pour construire de nouvelles salles d’opération».

Mme Gélinas déplore que le but premier des corporations à but lucratif auxquelles on donne des parts de marché dans le système de la santé est de faire de l’argent. «Ce n’est pas d’offrir des soins de qualité. Et la conséquence numéro un, c’est que la plupart du temps, elles vont trouver des moyens de donner des factures élevées aux patients, d’une façon légale», fait remarquer Mme Gélinas.

Elle mentionne que c’est une barrière pour des gens malades, qui ont besoin de soins, mais qui ne sont pas capables de payer pour des tests supplémentaires. «Pour un test gratuit dans un hôpital, dans les milieux privés, on trouvera une façon de charger des frais supplémentaires aux patients, 400 $ et plus pour un test», dit-elle.

Recommandations

Le rapport conclut que «l’Ontario est au bord du précipice». Il indique que d’adopter une orientation politique qui va à l’encontre des données probantes et de l’expérience politique au Canada risque de déstabiliser les hôpitaux publics, d’augmenter les temps d’attente.

Le rapport précise que ce que l’Ontario introduit a été essayé en Alberta et cela n’a pas fonctionné dans cette province. La tentative a eu, par contre, un effet déstabilisateur important sur les hôpitaux publics.

Ainsi, le rapport recommande au gouvernement, entre autres, une mise en œuvre des modèles à entrée unique, un travail d’équipe et une gestion normalisée des listes d’attente dans toute la province.

Le gouvernement devrait maximiser la capacité des salles d’opération des hôpitaux existantes plutôt que d’offrir des services à but lucratif. Il lui incombe aussi de protéger les patients contre la surfacturation, interdire la vente incitative et exiger la divulgation par le médecin des conflits d’intérêts financiers.

«Notre plan fonctionne»

Réagissant au contenu de ce rapport, le ministère de la Santé rappelle que «dans le cadre de Votre santé, nous avons annoncé en janvier que nous tirerions davantage parti des centres chirurgicaux et diagnostiques communautaires pour offrir plus de chirurgies et de procédures financées par l’État afin de réduire l’arriéré chirurgical et les temps d’attente globaux». 

Dans un courriel au Voyageur, une porte-parole de la ministre de la Santé, Hannah Jensen, indique que «notre plan a déjà réduit l’arriéré chirurgical au niveau d’avant la pandémie, en ajoutant 14 000 chirurgies de la cataracte couvertes par le Régime d’assurance maladie de l’Ontario chaque année et 49 000 heures d’IRM et de tomodensitométrie; et 80 % de tous les Ontariens reçoivent maintenant une chirurgie dans les délais prévus».

«Notre plan fonctionne et nous continuerons de réduire les temps d’attente et de mettre les patients en contact avec les soins dont ils ont besoin, quand ils en ont besoin», a conclu Mme Jensen.

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Andrew Longhurst, auteur du rapport — Photo : Venant Nshimyumurwa

 

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Michael Hurley, président du Conseil des syndicats d’hôpitaux de l’Ontario — Photo : Venant Nshimyumurwa

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  • Date de création 15 novembre, 2023
  • Dernière mise à jour 15 novembre, 2023
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