Préserver le patrimoine acadien, un travail quotidien

Si certains peuvent croire que le patrimoine est quelque chose dimmuable, plusieurs experts dans le domaine culturel, universitaire et archivistique sont conscients de son impermanence, doù le besoin de faire du travail de préservation. 

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Jean-Philippe Giroux

IJL – Réseau.Presse – Le Courrier de la Nouvelle-Écosse

Dossier spécial : Le patrimoine acadien - 2e partie

«Le patrimoine, cest toujours subjectif, précise Laurent Dambre-Sauvage, chercheur postdoctoral au Centre de recherche sur la ruralité, à lUniversité de Moncton. Il y a aucun élément de patrimoine qui ne soit érigé sur des éléments qui ne soient pas subjectifs.»

Un exemple de cette subjectivité est le fait que certains objets étaient jadis patrimoniaux, mais ne le sont plus et, dune manière inverse, des éléments qui n'auraient pas été considérés comme patrimoniaux il y a 50 ans nont obtenu le statut que récemment.

Une collectivité peut aussi prendre la décision de se dissocier de certains aspects du patrimoine quelle estime problématiques, par exemple des blagues ou des représentations xénophobes qui paraissent dans les archives.

«Cela ne veut pas dire quil ny aurait pas une valeur documentaire, mais on aurait peut-être moins envie de faire vivre ces aspects-là du patrimoine», explique Clint Bruce, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales, à lUniversité Sainte-Anne.

Puisque la relation qui se tisse entre un groupe et les éléments de son environnement change au fil du temps, rien concernant le patrimoine nest objectif ni permanent, argumente M. Dambre-Sauvage. Les vestiges disparaissent, les valeurs et les croyances changent.

«Cest pour ça quil est très important de voir ça dune manière dynamique, et puis plutôt que davoir des objectifs de classement, de protection, etcétéra, il faut également [...] entretenir la relation entre les communautés et ces éléments.»

Le patrimoine est associé à la succession, explique Erika Basque, assistante archiviste du Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson. Il renvoie à un héritage qui est avant tout collectif, ce qui influence la mission des organismes et des institutions. «Cest une définition qui est dynamique, donc elle nest pas statique.»

Un travail continu

Si certaines traces écrites ou certains artefacts peuvent perdre leur valeur au fil du temps, il serait rare et très difficile de sen départir, précise Erika Basque, du moins dans un contexte muséal et archivistique. «Je peux pas vraiment dire sil y aurait une perte de valeur, précise-t-elle, mais la valeur pourrait certainement évoluer.»

Reste que plusieurs documents qui sont archivés se détériorent, malgré les efforts de préservation. Au Centre acadien de Sainte-Anne, le matériel en papier est conservé dans des voûtes climatisées pour rallonger leur durée de vie. On peut aussi faire des copies et du travail de transcription.

Et parfois, des éléments du patrimoine tombent dans loubli tout simplement, rappelle le directeur du Centre, Matthias Duc. Mais l'intérêt peut revenir plus tard, si la population les découvre de nouveau.

Quoique dans certains cas, la négligence peut avoir des conséquences irréversibles, fait remarquer Clint Bruce. «Il suffit de penser au patrimoine bâti, les églises qui ont déjà été démolies ou qui subiront une démolition très prochainement [...] on peut les avoir documentées par la photographie, conserver certains objets, des documents relatifs à ces sites-là, mais par la négligence, cest sûr que ce patrimoine aurait une valeur nulle, et ça, je pense quil faut l’éviter à tout prix.»

Une solution, daprès le professeur, serait de donner une nouvelle utilité aux sites en question, soit de faire deux des espaces multiusages. «Il faut vraiment avoir des modèles viables pour la gestion de ces sites-là et que ces sites répondent à des besoins internes à la communauté, pas simplement d[accueillir] des gens de lextérieur.»

Par la transmission

La partie historique du patrimoine de Pubnico est fondamentale, précise Bernice dEntremont du Musée des Acadiens des Pubnicos, et la transmission du savoir est primordiale. «Cest notre identité, cest notre fierté. La seule manière quon va pouvoir le préserver, cest le montrer, lenseigner, le faire voir aux touristes», commente-t-elle.

Le Musée cible, entre autres, les jeunes afin de préserver ce patrimoine. Des centaines d’élèves de la région ont eu la chance de visiter la vieille maison du musée pour explorer leur héritage et leur culture.

Si on ne pense pas aux enfants, «on perd une partie de qui on était, qui sont nos descendants», lance Mme dEntremont.

Toutes les activités au musée comptent, des repas communautaires aux visites dans le jardin, où on enseigne les bases du jardinage acadien en discutant des plantes emportées par les ancêtres, de la manière d’étaler le goémon, etc.

La Société Saint-Pierre, dans le coin de Chéticamp, a elle aussi le mandat de promouvoir la langue, la culture et le patrimoine local, et le fait pas mal tous les jours, mentionne la directrice générale, Lisette Aucoin-Bourgeois, notamment à travers le travail du Centre de généalogie et du Musée du tapis hooké, au centre des Trois Pignons.

Le patrimoine culturel et vivant se voit publiquement par les styles de danse, les masques et costumes de la Mi-Carême et les tapis hookés, mais sentend également par la musique jouée en spectacle et à la radio, qui est demeurée relativement inchangée à travers les siècles.

On peut attribuer cette préservation en partie à Radio CKJM, où lon trouve un éventail d'enregistrements de chansons dantan comme les œuvres du Père Anselme Chiasson, ainsi quaux musiciens locaux, qui continue de faire découvrir la musique traditionnelle.

La programmation dun organisme est, selon Mme Aucoin-Bourgeois, une bonne façon dattirer les gens aux événements qui soulignent le patrimoine. «En ayant du plaisir, ils sont en train de connaitre leur histoire, de revivre et de vivre leur patrimoine acadien.»

Laccent sur laccessibilité

Selon Clint Bruce, les chercheurs et les résidents interpellés par lhéritage doivent avoir limpression que le patrimoine est facile et agréable à découvrir. Il faut les orienter et leur donner des pistes, mais aussi les aider à se retrouver dans les fonds darchives et les collections dobjets.

Une manière de rendre le patrimoine plus visible serait dinclure plus régulièrement les musées et les centres de recherche et darchives dans la vie communautaire, «que les gens aient lhabitude de sy rendre, quil y ait un accueil, que ça soit des endroits agréables pour se retrouver, explique M. Bruce. Cest certainement quelque chose que jessaie de faire avec lObservatoire Nord/Sud.»

Avec laccessibilité, il faut aussi comprendre les raisons pour lesquelles lon souhaite valoriser le patrimoine. «Cest une grande partie de ce qui fait la spécificité du peuple acadien, de la collectivité francophone des maritimes et aussi de la diaspora. Quand on met en valeur le patrimoine local, ça donne envie à des gens dailleurs, notamment de la diaspora, de se rendre dans nos régions», argumente le professeur.

Cest aussi de continuer à faire le lien entre lhistoire du passé et celle du présent. Selon lui, sans cet ancrage dans le temps, le peuple acadien risque de perdre sa raison d’être. «On ne peut pas vivre quen 2024. Il faut que 2024 soit aussi lié avec le passé pour donner un sens à notre action aujourdhui et pour lavenir», conclut-il.

  • Nombre de fichiers 4
  • Date de création 8 avril, 2024
  • Dernière mise à jour 8 avril, 2024
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