Préserver la vie en guérissant les prairies

Autrefois abondantes, les prairies natives du Manitoba représentent désormais moins de 1 % de ce qu’elles étaient. Une situation que certains organismes s’attèlent à renverser, pour prémunir l’écosystème du Manitoba des conséquences de la disparition des prairies.

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Hugo Beaucamp

IJL – Réseau.Presse – La Liberté

Les prairies couvrent la majeure partie du sud de la province, elles s’étendent à l’ouest jusqu’aux pieds des montagnes et au sud, jusque sous le soleil du Texas. Aujourd’hui, les prairies indigènes du Manitoba, qui font partie intégrante à la fois de l’identité de la province, mais aussi de son histoire, ont quasiment disparu au nom de l’agriculture et du développement urbain.

Il est d’abord important de souligner qu’il existe en tout trois différents types de prairies au Manitoba. Et bien qu’elles soient toutes interconnectées, il reste essentiel de les distinguer.

Les prairies d’herbes hautes, les prairies mixtes, et les prairies d’herbes courtes.

Ainsi, lorsque Cary Hamel, écologiste qui occupe le poste de directeur de la conservation de la branche manitobaine de l’organisation Conservation de la nature Canada (CNC), indique que les prairies indigènes du Manitoba sont « particulièrement en danger », cela inclut en fait toute la liste mentionnée plus haut.

CNC estime qu’environ 90 % des prairies indigènes ont déjà été perdues en raison des activités humaines. « En tant qu’espèce, nous avons une longue histoire avec les prairies. C’est un biome dans lequel le sol est riche, qui a toujours produit de la nourriture, que ce soient pour les bisons à l’époque ou le bétail aujourd’hui. Ce sont aussi des terres fertiles pour les plantations. Donc à l’arrivée des colons au Manitoba, c’est dans les prairies que nous nous sommes développés. C’est là que sont nos villes, et tout cela soumet les prairies à beaucoup de pression. »

En effet, avant la colonisation, les prairies d’herbes hautes recouvraient une superficie d’environ 6 000 kilomètres carrés. Aujourd’hui, environ 58 kilomètres carrés existent encore dans la province, grâce notamment au travail de protection et de conservation, mais cela ne représente même pas 1 % de ce qu’étaient les prairies d’herbes hautes au temps des bisons.

Et les prairies d’herbes hautes ne sont pas les seules qui ont été sacrifiées sur l’autel de l’urbanisation et de l’agriculture. Car les prairies désignent en fait tout un écosystème, qui inclut notamment les zones humides. C’est ce que souligne Jacques Bourgeois, un grand enthousiaste de la nature qui travaille au centre d’interprétation Oak Hammock depuis 26 ans. « Au Manitoba, il existe dans les prairies ce que l’on appelle les fondrières. Avec le retrait des glaciers, la fonte des glaces a créé des petites cuvettes dans les prairies qui se sont gorgées d’eau et qui sont devenues les terres humides que l’on trouve un peu partout dans la région, surtout au sud-ouest. »

Seulement, l’expert indique qu’environ 70 % des terres humides ont disparu dans cette région du Manitoba.

Alors nous ne sommes pas rendus à une disparition totale, mais nous n’en sommes pas loin, et un tel évènement aurait des conséquences désastreuses sur la flore, évidemment, mais aussi sur la faune. « La faune qui dépend des prairies perdrait son habitat, et les effets sur sa population seraient désastreux, détaille Jacques Bourgeois. Beaucoup d’oiseaux sont incapables de s’habituer à de nouveaux habitats, ou alors ils doivent faire face à de la compétition lorsqu’ils le font. De plus, certaines espèces ont évolué et se nourrissent exclusivement de certains types de graminées disponibles dans leur habitat. »

Jacques Bourgeois donne alors l’exemple de la chevêche des terriers. « Ce sont des petits hiboux qui nichent dans les prairies. Ils se font un terrier dans le sol. Si leur habitat disparait, ils doivent se réfugier sur des terrains agricoles. Là, ils s’exposent à la chaleur et au risque de voir leur terrier détruit par des machines agricoles. »

Il précise d’ailleurs que ces chevêches ont pratiquement disparu de la province, mais que l’on en trouve encore en Saskatchewan.

« Le bruant noir et blanc, le plectrophane à ventre noir ou encore la pie-grièche migratrice sont toutes des espèces typiques des prairies et qui perdent beaucoup de leur habitat. Par extension, beaucoup d’individus disparaissent aussi. »

À noter que les terres humides, elles aussi, sont essentielles à la survie de certaines espèces.

| Un rôle essentiel

Au-delà de leur importance pour les espèces animales, les prairies et les zones humides jouent également un rôle essentiel pour l’environnement de manière plus large. Cary Hamel évoque le caractère indispensable des prairies : « Les prairies natives manitobaines se développent depuis des milliers d’années et pendant tout ce temps, elles ont capturé et réinjecté du carbone sous terre, ce qui les a rendues fertiles pour le pâturage du bétail et en à fait un foyer pour les pollinisateurs. Il faut les voir comme des forêts souterraines. » À la manière des forêts et des arbres, le biome travaille activement à la régulation du taux de carbone dans l’atmosphère, et par conséquent à la survie de tout ce qui respire. Quant aux zones humides, là aussi, elles ont un rôle capital que Jacques Bourgeois explique : « Sans terres humides, lorsque la neige fond, toute l’eau va se jeter dans les grands cours d’eau, et cela va produire des inondations. Avec les terres humides, l’eau va venir engorger ces petites fondrières et s’infiltrer sous terre pour recharger la nappe phréatique et filtrer l’eau de manière naturelle. »

Avec ces perspectives, la valeur de ces biomes et l’importance de les protéger deviennent d’autant plus évidentes. On peut ajouter à cela un point que soulève l’écologiste Cary Hamel, qui est l’importance culturelle des prairies pour les Premières Nations, dont la présence sur ces terres remonte à près de 10 000 ans et qui ont suivi les migrations des bisons pendant des siècles. Sans oublier les Métis, qui eux aussi ont vécu pendant des décennies de ce que les prairies avaient à offrir, comme le confirme l’Aîné métis David Dandeneau : « Les Métis avaient la même approche que les Premières Nations. Ils n’avaient pas de jardin comme les nouveaux arrivant de l’Est, leur jardin était dans la nature. Ils y ramassaient les herbes, les fruits. Ils ne cultivaient pas tout ça. Ils ne faisaient pas d’élevage non plus au départ, ils allaient chasser. » Finalement, David Dandeneau explique que c’est la disparition des bisons qui a accéléré la transition des Métis vers la sédentarisation.

| Quels moyens pour la conservation?

Les deux experts se rejoignent sur un point. Tous deux font état d’une prise de conscience écologique de la part du public. « Les gens réalisent dernièrement que nous avons besoin des prairies », constate Cary Hamel.  Et Jacques Bourgeois tire des conclusions similaires :
« Les gens se rendent compte de l’importance des terres humides. Leur perception des marais change. » Ce dernier regrette cependant une chose : « Il reste encore difficile de convaincre les propriétaires fonciers de conserver les zones humides sur leur terrain, qu’elles sont bénéfiques. »

Et du côté des marais comme de CNC, des initiatives existent pour protéger ce qu’il reste de ces prairies, des initiatives comme celle du centre interprétatif du Marais Oak Hammock ou encore ou fort Ellice, près de Saint-Lazare, dont CNC est propriétaire. Mais le travail de protection prend plusieurs formes, comme le fait valoir Cary Hamel.

« Nous travaillons avec les communautés autochtones, les fermiers, ou simplement les propriétaires de terrains pour aider à la conservation de plusieurs manières. Parfois en les aidant simplement à s’occuper de leurs terres, en leur fournissant les ressources nécessaires. » CNC peut, par exemple, proposer aux propriétaires des accords de conservation, empêchant l’utilisation d’un terrain à des fins agricoles.

Finalement, un moyen efficace de protéger et assurer la pérennité des prairies, c’est d’y faire vagabonder du bétail. « À l’époque, les bisons pâturaient dans les prairies, il y avait des feux, des tempêtes de criquets. Tout cela a disparu et ce sont les animaux de ferme qui sont venus remplir ce vide écologique. Les prairies ont évolué avec les perturbations et pour être en bonne santé, elles ont besoin justement d’être embêtées régulièrement. »

Alors que la majeure partie des prairies au Manitoba font partie de propriétés privées, ce sont les actions des fermiers à bétail qui ont permis de conserver ce qu’il en reste, selon le directeur de la conservation.

 

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Photos : 

  • Jacques Bourgeois est chargé de la communication au Marais Oak Hammock.
  • David Dandeneau.+ photos : Marta Guerrero
  • Nombre de fichiers 3
  • Date de création 1 décembre, 2023
  • Dernière mise à jour 1 décembre, 2023
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