Prescott et Russell: fléau d’isolement chez les aînés

La pauvreté frappe deux fois plus fort chez les aînés de Prescott et Russell qu’ailleurs en province, une différence attribuable notamment à leur situation en milieu rural, ce qui limite les services et accentue l’isolement. Notre journaliste Charles Fontaine est allé à la rencontre des aînés en milieu rural.

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Charles Fontaine

IJL – Réseau.Presse –Le Droit

Éloignés des services et vivant seuls dans leur logement, de plus en plus d’aînés s’isolent et s’appauvrissent en milieu rural. Leur hésitation à aller chercher de l’aide ne rend pas la tâche facile pour les organismes sociaux qui sont très préoccupés par la situation.

La population de Prescott et Russell vieillit, comme partout au Canada. L’âge médian de 44,8 ans est un peu plus élevé qu’en Ontario, à 41,6 ans. À Hawkesbury, ce chiffre monte à 54,8 ans. La Mesure de faible revenu après impôt chez les personnes de 65 ans et plus dans Prescott et Russell est de 12,8%, ce qui un peu plus élevé que la moyenne provinciale (12,1%). La ville de Hawkesbury, où sont concentrés les services, compte 22% de personnes âgées en situation de pauvreté.

L’isolement et la solitude en milieu rural, en situation de pandémie, peuvent être une des causes de cette pauvreté, croient les intervenantes sur le terrain. Ce qui est certain cependant, c’est que la pauvreté mène à l’isolement, plus cruel en milieu rural.

«Une personne isolée a plus de risque de sombrer dans la pauvreté, mais ce n’est pas une équation, explique Pierrette Desrosiers, psychologue spécialisée en agriculture et en milieu rural. Mais la pauvreté conduit automatiquement à la solitude. Quand tu es pauvre, tout va mal.»

Une perte pour la société

Pierrette Desrosiers consacre sa pratique de psychologue au monde agricole et aux entreprises familiales depuis plus de 30 ans. Élevée sur une ferme, elle connaît bien la dynamique du milieu rural. «Quand j’étais jeune, les voisines se pointaient chez nous pour prendre un café, se rappelle-t-elle. Maintenant, il y a tellement de planification à faire pour se rencontrer que les gens font moins l’effort d’aller vers l’autre.»

La psychologue spécialisée en agriculture remarque que même chez les cultivateurs, qui ont tendance à tous se connaître, l’isolement est un fléau qui prend plus d’ampleur. «Chacun est occupé dans sa bulle. On rentre dans une culture où il y a de moins en moins de proximité.»

Le manque de transport et l’éloignement des services en campagne contribuent grandement à l’isolement chez les aînés. «Le lieu de résidence a certainement un impact au niveau social d’une personne, soutient Mme Desrosiers. En ville, les services sont proches. Tu sors de chez toi et tu peux interagir avec quelqu’un. Ça demande un plus grand effort à la campagne.»

Le seul système de transport public sur le territoire, PR Transpo, a été en fonction de 2019 à 2022. Le projet pilote qui devait durer jusqu’en 2025 a pris fin faute de clientèle.

Outre le lieu de résidence, la perte d’un membre de la famille, comme la mort d’un conjoint ou l’éloignement des enfants, peut accentuer la solitude, note-t-elle.

«Plus on se referme, moins on est stimulé par les autres. Ça engendre une dégradation des fonctions aux niveaux cognitive et physique. On voit une baisse des comportements sains, comme cuisiner. Plus l’isolement est grave, plus on observe des signes de dépression, d’anxiété et de désespoir. La retraite amène souvent une dépendance au jeu. Vu que les personnes âgées sont moins familières avec la technologie, elles sont plus à risque de fraude et d’abus financier.»

«Ces aînés représentent une perte importante pour la société, ajoute Pierrette Desrosiers. Ils ont plus tendance à être malades avec l’isolement, ce qui engendre des coûts. On perd aussi leur contribution au niveau du bénévolat et du savoir qu’ils apportent aux plus jeunes générations.»

Le poids de la pandémie

Les Services communautaires de Prescott et Russell ont pour mission d’améliorer la sécurité et le bien-être des personnes âgées de 55 ans et plus par différents moyens, comme des dîners communautaires, la livraison d’épicerie, un service de transport et même une aide à la vie autonome.

L’isolement que la pandémie a engendré ne s’est pas résorbé chez les personnes âgées, observe la directrice générale de l’organisme, Sylvie Lefebvre. «Les gens ont perdu leurs capacités sociales avec la pandémie et la ruralité amène une complexité vu que le contact social demande un plus grand effort.»

Même constat pour Judith Gour, directrice générale du Groupe Action, un organisme à but non lucratif qui offre des services aux personnes vulnérables de Prescott et Russell, autant pour les enfants, la famille et les personnes âgées.

«Le volume d’appels a explosé avec la pandémie. Quand tu es isolé, tu ne peux pas te fier à ton voisin pour avoir des nouvelles. On a appelé chaque patient pour les rassurer et les aider à prendre un rendez-vous pour leur vaccin contre la COVID-19. Certains n’ont même pas de téléphone cellulaire ou d’ordinateur.»

Ce manque de connexion à la technologie fait en sorte que les aînés sont moins informés, notamment pour avoir accès à des services, remarque la directrice régionale de Centraide Est de l’Ontario, Audray Lizotte.

«Des aînés appelaient pour connaître la date d’aujourd’hui. C’est un signe qu’ils ont besoin d’aide. On remarque aussi qu’en plus que les aînés soient plus nombreux à être isolés, leur isolement est plus grave depuis la pandémie. Quand toutes les personnes vulnérables sont plus vulnérables, il y a un problème.»

Peur d’aller chercher de l’aide

L’un des principaux problèmes chez l’isolement des personnes âgées est la réticence à demander de l’aide. «C’est gênant d’avouer qu’on a de la misère», se désole Sylvie Lefebvre. «Les aînés croient aussi que s’ils dévoilent leur situation, ils seront automatiquement évincés de leur maison et qu’ils ne pourront plus retourner chez eux. On travaille pour que les gens puissent vieillir le plus possible dans leur maison et dans leur communauté.»

Avec les services d’aide à l’autonomie, de popote roulante et de transport, les Services communautaires de Prescott et Russell visent à venir en aide aux aînés dans le besoin pour qu’ils puissent demeurer chez eux, tout en recevant des soins.

«Ces personnes ne veulent pas aller chercher de l’aide parce qu’elles ont peur d’être déracinées, ajoute Mme Lefebvre. Elles sont très attachées à leur maison où elles ont élevé leurs enfants et vécu toute leur vie.»

Les aînés ont aussi peur de déranger l’autre, remarque la coordonnatrice des dîners communautaires et du service d’aide à la vie autonome aux Services communautaires de Prescott et Russell, Isabelle Lalonde. «Ils hésitent à demander de l’aide à leurs enfants et à leurs voisins, ne serait-ce que pour changer une ampoule au plafond.»

Judith Gour est aussi préoccupée par le manque de visibilité des différents organismes venant en aide aux aînés dans la région. «Il y a des gens qu’on aide depuis des années, mais je pense à tous ceux qu’on n’aide pas…»

La meilleure manière de convaincre les aînés d’obtenir de l’aide est par l’entremise de leurs proches, soutient Pierrette Desrosiers.

«Il faut bien connaître les peurs des aînés pour les attirer. C’est peut-être un proche qui va les aider. C’est toujours un enjeu de faire le premier pas. Il faut donner beaucoup d’informations, parler de la solitude et donner des solutions.»

Pauvreté concentrée à Hawkesbury

Le fait que la majorité des services, comme l’Hôpital général de Hawkesbury (HGH) et la Résidence Prescott et Russell, soit implantée à Hawkesbury expliquerait la population majoritairement vieillissante.

«Les logements abordables pour les personnes à faible revenu de la région sont quasi concentrés à Hawkesbury», explique le maire de la ville, Robert Lefebvre. «Les gens plus démunis se déplacent donc ici pour pouvoir se loger et avoir accès à la majorité des services à proximité. Ce n’est pas comme en campagne où tout est éloigné.»

Le coordinateur des finances de la Banque alimentaire de Hawkesbury note une hausse de fréquence chez les personnes âgées dans la dernière année.

«Avant, on voyait rarement des personnes âgées à la banque. Ils étaient plus de 40 à nous visiter en juillet dernier, illustre le maire. On a ressenti la croissance en même temps que l’inflation.»

Centraliser les services

Une dizaine d’organismes et services de la région se sont joints pour former le Comité consultatif bien vieillir de Prescott et Russell pour tenter de trouver des solutions à l’isolement et à la pauvreté chez les aînés. Les Comtés unis de Prescott et Russell, l’HGH, le Groupe Action et les Services communautaires de Prescott et Russell en font notamment partie.

En plus du manque de ressources, celles-ci seraient trop éparpillées, ajoute Sylvie Lefebvre. «Les gens ne savent pas où appeler. S’ils appellent au 211, qui dirige les gens vers un service en particulier, ils sont mêlés.» Selon la directrice des Services communautaires de Prescott et Russell, ils ont besoin d’une personne pour les aider dès le début au lieu de naviguer dans un système complexe.

Elle confirme que Santé Ontario s’attarde au dossier. En mettant leurs forces ensemble, les organismes sociaux de la région croient être en mesure d’apporter des solutions concrètes pour remédier au fléau de la pauvreté et de l’isolement. L’apport gouvernemental sera cependant essentiel dans la réussite de leurs objectifs.

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Photos

Éloignés des services et vivant seuls, de plus en plus d’aînés s’isolent et s’appauvrissent en milieu rural. Par contre, certains se retrouvent entre amis comme ici, lors de journées de bingo. (Charles Fontaine/Le Droit)

On se concentre pour la partie de bingo animée par Isabelle Lalonde. (Charles Fontaine/Le Droit)

La coordonnatrice des dîners communautaires et du service d’aide à la vie autonome aux Services communautaires de Prescott et Russell, Isabelle Lalonde, anime plusieurs diners communautaires par semaine. (Charles Fontaine/Le Droit)

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  • Date de création 27 septembre, 2023
  • Dernière mise à jour 27 septembre, 2023
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