Postsecondaire: un comité mandaté par la province a «ignoré» son seul membre francophone

Le gouvernement Ford a dévoilé cette semaine le rapport du groupe d’experts «blue-ribbon», qui devait se pencher sur la pérennité de l’enseignement postsecondaire en Ontario. On y apprend que le seul francophone membre du panel n’a pas soutenu les recommandations de ses collègues anglophones portant sur la restructuration d’établissements de langue française.


Par Émilie Gougeon-Pelletier, IJL - Réseau.Presse - Le Droit

PHOTO: En mars dernier, la ministre des Collèges et des Universités de l’Ontario Jill Dunlop a annoncé la création d’un groupe d’experts, communément appelé «blue-ribbon» en anglais, ayant comme mission de lui donner des conseils et des recommandations pour assurer une stabilité financière du secteur de l’éducation postsecondaire. (Patrick Woodbury/Archives Le Droit)

En mars dernier, la ministre des Collèges et des Universités de l’Ontario Jill Dunlop a annoncé la création d’un groupe d’experts, communément appelé «blue-ribbon» en anglais, ayant comme mission de lui donner des conseils et des recommandations pour assurer une stabilité financière du secteur de l’éducation postsecondaire.

Le comité, mené par Alan Harrison, était composé de huit membres issus du monde des affaires et du secteur universitaire et comptait un seul membre francophone, Maxim Jean-Louis.

Le rapport Harrison, attendu de pied ferme par les Franco-Ontariens depuis le début de l’été, comprend une section consacrée aux institutions postsecondaires francophones.

Le groupe doute que l’Université de l’Ontario français (UOF) et l’Université de Hearst puissent continuer à œuvrer de manière efficace tout en demeurant indépendants, puisqu’ils composent avec un faible nombre d’inscriptions et un manque de financement adéquat.

«L’échelle est un facteur très important sur le plan de la viabilité financière. Or, la taille de ces deux établissements est trop modeste pour qu’ils puissent atteindre l’envergure nécessaire à leur pérennité», indique le groupe de travail.

Pour résoudre ce problème, le comité présente trois options.

On propose soit de fédérer ces institutions à l’Université d’Ottawa, soit de créer un partenariat avec le Collège Boréal et le Collège La Cité, ou bien de mettre sur pied un consortium de tous les établissements postsecondaires francophones et bilingues de la province qui serait chapeauté par l’Université d’Ottawa.

Toutefois, Maxim Jean-Louis n’a pas soutenu la recommandation qui comprend une proposition d’examiner ces trois options, apprend-on à la fin du rapport, où une page est consacrée aux «avis divergents» de M. Jean-Louis.

Ce dernier n’avait pas répondu à notre demande d’entrevue au moment de publier cet article.

Réalité francophone

«La province a mis un francophone dans le panel, et comme d’habitude, il a été ignoré», déplore le député néo-démocrate Guy Bourgouin.

Le porte-parole du NPD ontarien en matière d’Affaires francophones constate que le désaccord entre Maxim Jean-Louis et ses collègues anglophones sur les besoins de la communauté francophone est un bon exemple des défis constants que vivent les Franco-Ontariens.

«Il y a eu une sous-représentation de la réalité francophone auprès des membres de ce comité», estime le directeur général du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), François Hastir.

Outre les institutions postsecondaires francophones, seuls deux organismes de langue française ont été consultés par le groupe d’experts: le RÉFO et l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO).

Université de Sudbury

Comme Maxim Jean-Louis, le RÉFO s’oppose au modèle de fédération de l’Université de Hearst et de l’UOF à l’Université d’Ottawa.

C’est ce type modèle qui était en place à l’Université de Sudbury lorsque la crise financière à l’Université Laurentienne a anéanti ses programmes, en 2021.

«Il y aurait un risque sérieux pour l’UOF et l’Université de Hearst si elles se mettaient sous le modèle fédératif. Et en plus, elles seraient chapeautées par une université bilingue. Ce concept ne fonctionne pas quand il est question du développement et de l’épanouissement de la communauté francophone, car il y a toujours un contexte d’assimilation qui s’installe», souligne le directeur général du RÉFO.

Un rapport produit par l’Université d’Ottawa en 2021 laissait entendre qu’une culture de «discrimination», voire de «francophobie», semblait exister au sein de l’institution.

Par ailleurs, même après avoir essuyé un refus de financement à l’Université de Sudbury pour son projet d’une institution «par et pour» les francophones, en juillet dernier, le recteur Serge Miville semblait avoir bon espoir que le rapport «blue-ribbon» puisse mener à de nouvelles solutions pour son institution.

«Ça va être important de savoir quelle est la vision de la province par rapport au postsecondaire, surtout en matière de francophonie, pour qu’ensuite on puisse revenir à la table avec des solutions ‘par et pour’ qui sont systémiques et concrètes pour nous, en région», avait-il indiqué au Droit, fin octobre.

Serge Miville n’a pas encore réagi publiquement au rapport Harrison.

L’Université de Sudbury «étudie le contenu du rapport du comité d’expertise afin d’évaluer les options présentées», a fait savoir la porte-parole Elise Leblanc.

Cette université est parmi les institutions qui ont été consultées par le comité dans le cadre de son travail, mais elle n’est pas mentionnée dans le rapport, ce que déplore Guy Bourgouin.

Le gouvernement progressiste-conservateur de Doug Ford a réduit les droits de scolarité de 10% dans les collèges et universités de l’Ontario, en 2019. (Simon Séguin-Bertrand/Le Droit)

Viabilité financière

Le groupe d’experts, qui s’est penché sur la situation des 23 universités et 24 collèges financés par des fonds publics en Ontario, recommande aussi de mettre un fin au gel des droits de scolarité et d’accroître son financement par étudiant.

Le gouvernement progressiste-conservateur de Doug Ford a réduit les droits de scolarité de 10% dans les collèges et universités de l’Ontario, en 2019.

Il avait aussi éliminé un programme du gouvernement libéral précédent qui supprimait ces frais pour les étudiants à revenus faibles ou moyens.

Depuis, les droits de scolarité sont gelés, et les établissements dépendent grandement des droits de scolarité beaucoup plus élevés des étudiants étrangers.

Le groupe d’experts recommande une hausse de 5% des droits de scolarité en septembre 2024, suivie d’une hausse supplémentaire de 2% les années suivantes, ou en fonction du taux annuel de hausse de l’indice des prix à la consommation.

Les établissements postsecondaires «devront revoir leurs dépenses et leurs pratiques de fonctionnement avant d’envisager une augmentation du financement [provincial]», a indiqué la ministre Jill Dunlop à Queen’s Park, jeudi.

Celle-ci a rappelé que son gouvernement investit plus de 5 milliards de dollars en fonds publics pour assurer le fonctionnement des collèges et des universités.

«Nous devons veiller à ce que cet argent soit dépensé judicieusement», a-t-elle conclu.

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  • Date de création 17 novembre, 2023
  • Dernière mise à jour 17 novembre, 2023
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