Policier tué à Bourget: «Il est venu pour nous protéger»

Par Émilie Gougeon-Pelletier, Daniel LeBlanc, Patrick Duquette et Charles Fontaine | 11 mai 2023

BOURGET, Ontario — Le village de Bourget, dans l’Est ontarien, s’est réveillé sous le choc jeudi matin. Un agent de la Police provinciale de l’Ontario (PPO) y a été tué par balle et deux de ses collègues ont été blessés, eux aussi par balle, lors d’une intervention qui aurait tourné en «embuscade» au milieu de la nuit.

Le sergent mort en service s’appelait Eric Mueller, a confirmé la PPO. Il était âgé de 42 ans.

Peu après 2h, les policiers du détachement du comté de Russell ont été appelés à se rendre à une résidence de la rue Laval, au cœur de Bourget, un village majoritairement francophone à une cinquantaine de kilomètres d’Ottawa. Un citoyen venait de signaler des coups de feu, a fait savoir la PPO, tôt jeudi matin.

Arrivés sur place, les trois agents auraient rapidement été ciblés par un individu armé, puis tous atteints par balle, avant d’être transportés d’urgence à l’Hôpital d’Ottawa où la mort du sergent Eric Mueller a été confirmée.

L’un des agents transportés à l’hôpital d’Ottawa, âgé de 35 ans, a reçu son congé de l’établissement «et récupère à la maison», a déclaré le commissaire de la PPO, Thomas Carrique, lors d’une première conférence de presse tenue jeudi à 13h30, à Kanata.

L’autre agent transporté à l’hôpital y était toujours en début d’après-midi. Le policier, âgé de 43 ans, est dans un état de santé critique, mais stable, selon le commissaire Carrique.

La PPO n’a pas dévoilé les noms des deux policiers blessés.

Suspect arrêté

«Un homme de 39 ans a été arrêté et placé en garde à vue sans autre incident», a affirmé le commissaire, Thomas Carrique, qui estime que les trois agents ont été victimes d’une embuscade.

Des documents déposés à la cour indiquent que le suspect dans le dossier est un dénommé Alain Bellefeuille. Il fait face à trois chefs d’accusation, soit un chef d’accusation de meurtre au premier degré et deux chefs d’accusation de tentative de meurtre. La PPO a confirmé le dépôt de ces accusations jeudi soir.

Bellefeuille a comparu par visioconférence jeudi après-midi. Il doit comparaître de nouveau le 18 mai prochain, aussi par visioconférence.

L’homme n’était pas connu des services policiers, selon M. Carrique.

Le suspect n’a subi aucune blessure, indique la PPO. Ce sont d’autres agents, arrivés sur les lieux à la suite de la fusillade, qui auraient menotté le suspect.

Les forces de l’ordre n’étaient pas en mesure de confirmer, jeudi après-midi, s’il y avait effectivement eu des coups de feu avant l’arrivée des trois agents policiers.

Le commissaire Carrique a dit comprendre que la résidence appartenait au suspect.

Un large périmètre pour sécuriser la scène a été mis en place et une portion de la rue Laval est fermée à Bourget, entre le chemin Champlain et le chemin Labelle.

«Glue»

La PPO a affirmé que ce n’était pas la première fois qu’Eric Mueller était gravement blessé dans l’exercice de ses fonctions.

Il était membre de la PPO depuis 2006.

L’inspectrice Anne-Christine Gauthier, présente lors du point de presse, a soutenu que ses collègues le surnommaient «glue», «parce qu’il était la colle qui tenait tout le monde ensemble».

Le point de presse à Kanata a été tenu plus de 10 heures suivant l’incident. Kanata est à plus de 70 kilomètres de Bourget, dans l’ouest d’Ottawa. La PPO n’a pas expliqué pourquoi elle a voulu mettre la population à jour à un endroit aussi éloigné des lieux du drame.

Le Service de police d’Ottawa a été appelé en renfort et l’enquête se poursuit.

La communauté de Bourget en deuil

Les drapeaux sont en berne dans la cité de Clarence-Rockland où se trouve Bourget.

«C’est un choc, je suis traumatisé», a affirmé au Droit le maire de Clarence-Rockland, Mario Zanth.

C’est sûr qu’on ne s’attend pas à ce que ça se passe ici. Mais que ça arrive en plein milieu de l’Ontario ou ailleurs, la peine est la même.

—  Mario Zanth

Mario Zanth admet ne jamais avoir «vécu un crime du genre comme maire», et offre ses «plus sincères condoléances à la famille ainsi qu’aux confrères et consœurs de cet officier».

Il prévoit se rendre sur les lieux du drame avec la conseillère municipale Diane Choinière à la suite de l’enquête policière, et conseille aux citoyens d’appeler au service 211 s’ils sentent le besoin d’avoir accès à des ressources en santé mentale.

En plein cœur des Comtés unis de Prescott et Russell (CUPR), Bourget porte son nom en l’honneur d’Ignace Bourget, qui était évêque de Montréal au 19e siècle.

Ce n’est donc pas une coïncidence si ce village comporte une forte population de francophones, dans une région où les deux tiers de la communauté parlent français.

Déménagée depuis un mois à Bourget, Véronique Poirier Labadie espérait pouvoir jouir de la tranquillité de ce petit coin rural. Elle peinait à retenir ses larmes en livrant son témoignage au Droit au sujet du drame. Elle remerciait le policier pour «le sacrifice de sa vie».

«Il est venu pour nous protéger», a-t-elle lancé, visiblement ébranlée.

Lui aussi déménagé à Bourget il y a un mois, Jeff Hunt affirme avoir entendu trois coups de feu, à 2h en pleine nuit. «Ça a fait pop, pop pop, et je suis sorti fumer, voir ce qu’il se passait», a-t-il dit.

Ce nouveau Rochelandais dit avoir lui aussi choisi ce coin pour «fuir l’agitation de la ville».

«Et voilà qu’un policier est tué à trois maisons de chez moi», se désole-t-il.

Dan Brown est un propriétaire d’armes à feu et un habitué du champ de tir situé rue Drouin, à Clarence-Rockland, à quelques pas de chez lui.

Il était déjà éveillé lorsque la fusillade a éclaté, à environ six kilomètres de son domicile. «Ça sonnait comme si le champ de tir était ouvert. Je n’en revenais pas du nombre de coups de feu que j’entendais. J’ai ensuite entendu les véhicules policiers, et c’est là que j’ai compris que quelque chose se passait.»

Originaire d’Ottawa, Dan Brown habite à Bourget depuis quelques années, et comme la majorité des résidents de ce village, il a choisi cet endroit pour sa tranquillité.

Le propriétaire du Garage du coin, Yvon Hurtubise, était aussi sous le choc. «On pense toujours que ça arrive ailleurs, a-t-il noté. Et voilà que ça touche notre petite communauté tissée serrée.»

Il est convaincu que des événements comme celui-ci sont forcément liés avec le climat tendu en cette période post-pandémique.

Les gens sont très stressés, de nos jours. On fait juste regarder le trafic au coin de la rue ici, et le monde n’a vraiment pas de patience.

—  Yvon Hurtubise

Le Droit a aussi croisé Bianca Lirette, qui promenait ses enfants en poussettes, pas loin de la scène du drame. Elle est copropriétaire d’une garderie avec sa mère. «C’est effrayant de se réveiller et de voir ça. C’est choquant de voir que ça arrive dans notre petite communauté. Un policier décédé, ça fait peur. Moi, j’ai peur», s’est-elle écriée.

Sa mère a dit partager sa terreur. «On barre nos portes. La COVID-19 a changé les gens. Ça les a rendus agressifs, hors d’eux.»

Le gérant de la seule épicerie du village, Michel Carrington, confirme que la communauté de Bourget est tissée serrée et que presque tout le monde se connaît. «Ce n’est pas tous les jours qu’on entend le nom de notre communauté aux nouvelles», remarque-t-il.

D’autres réactions

Eric Mueller est le neuvième policier à perdre la vie dans le cadre de ses fonctions au Canada depuis septembre dernier.

Les élus de l’Assemblée législative de l’Ontario ont tenu une minute de silence en son honneur, jeudi avant-midi.

Le week-end dernier, les noms de quatre agents policiers tués l’an dernier ont été ajoutés au Monument commémoratif de la police de l’Ontario durant une cérémonie.

Le premier ministre ontarien, Doug Ford, a qualifié le décès du sergent Mueller dans l’exercice de ses fonctions de «nouvelle dévastatrice».

«C’est dévastateur que son nom doive être ajouté au monument commémoratif», a-t-il soutenu lors d’une conférence de presse liée aux transports en commun, jeudi après-midi.

«Que Dieu bénisse nos héros en uniforme», a-t-il écrit sur Twitter, demandant à la population de se joindre à lui et de prier pour les deux policiers qui ont survécu aux coups de feu.

Stéphane Sarrazin, le député de Glengarry-Prescott-Russell, la circonscription où est survenu la fusillade, a fait savoir au Droit que la priorité doit être de s’assurer que les agents visés et leurs proches reçoivent les soutiens nécessaires.

«C’est bouleversant de voir un tel événement se passer dans notre petite communauté», a-t-il déploré.

Le député fédéral de la même circonscription, Francis Drouin, s’est lui aussi dit troublé par la nouvelle. «Personne ne souhaite se réveiller avec ce genre de nouvelle ce matin. C’est un rappel que les policiers risquent leur vie pour protéger le public.»

«Terribles nouvelles en provenance de Bourget, en Ontario, ce matin», a tweeté le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, en matinée, jeudi.

En mêlée de presse, plus tard dans la journée, il a ajouté que son gouvernement «est là pour travailler avec la communauté afin de passer à travers ces moments difficiles, mais aussi pour réfléchir à l’avenir».

«Il y a depuis bien des mois beaucoup trop de policiers au pays qui ont été tués en service, en train de nous protéger. Nous avons besoin de faire plus pour les protéger.»

Justin Trudeau dit travailler avec le ministre de la Justice et le ministre de la Sécurité publique «pour essayer de trouver des façons d’améliorer la protection de ceux qui nous protègent».

Le chef du Parti conservateur du Canada Pierre Poilievre, indiquant être en deuil avec la famille du sergent Mueller et disant prier pour les deux autres agents blessés, a soutenu via Twitter que «la plupart d’entre nous ne connaîtrons jamais le risque que les policiers prennent chaque jour lorsqu’ils disent au revoir à leur famille et se rendent au travail».

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  • Date de création 12 mai, 2023
  • Dernière mise à jour 12 mai, 2023
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