Plusieurs randonnées populaires fermées pour le respect de la faune

Depuis le 1er avril, et jusqu’au 15 juin environ, les mouflons de Dall agnellent et les chèvres des montagnes mettent bas. Il s’agit d’une période sensible durant laquelle les femelles ont besoin d’espace pour s’occuper de leur progéniture. La Première Nation Carcross/Tagish (C/TFN) demande aux randonneurs et randonneuses de restreindre leurs activités récréatives.

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Kelly Tabuteau

IJL – Réseau.Presse – L’Aurore boréale

 

Depuis quelques semaines maintenant, le message passe en boucle sur les réseaux sociaux : Première Nation Carcross/Tagish, Service de protection de la faune du gouvernement du Yukon, Yukon Hiking, Wild Wise Yukon… C’est la saison de l’agnelage des mouflons de Dall et de la mise bas des chèvres des montagnes. Les gouvernements et les organismes prient la population yukonnaise de restreindre toute activité récréative dans les zones d’habitat de ces animaux.

Ainsi, il est demandé d’éviter les montagnes Caribou, Nares, Needle; les monts Perkins, White et Sheep; ainsi que le canyon Pooly jusqu’au 15 juin.

Respect de la faune : les bons gestes

« Les elders de C/TFN disent souvent que lorsque les animaux utilisent la terre, ils la possèdent. En ce moment, les mouflons de Dall et les chèvres des montagnes possèdent les montagnes et nous demandons aux gens d’attendre la fin de la saison de l’agnelage pour parcourir la majorité des sentiers [de notre territoire] », annonce d’entrée de jeu Amaya Cherian-Hall, gestionnaire des ressources naturelles par intérim pour C/TFN.

Cette restriction d’activités récréatives limiterait les perturbations du milieu de la faune en supprimant une partie de ses prédateurs terrestres, les humains. Pour Charles Cherrier, photographe nature, cette décision permet d’éviter la gestion complexe du cas par cas. « Le problème au Yukon, c’est qu’il y a beaucoup de personnes, des touristes de l’étranger par exemple, qui ne sont pas sensibilisées aux bons gestes lors d’une rencontre animalière. C’est plus simple d’interdire une zone que de gérer individuellement ces personnes », pense-t-il.

Si le printemps est une période particulièrement sensible pour les mouflons de Dall et les chèvres des montagnes, une rencontre animalière peut cependant se produire à tout moment au Yukon. Les randonneurs et randonneuses doivent ainsi toujours prendre des précautions. « Il faut faire preuve de respect : rester à bonne distance [100 mètres], garder son chien en laisse, et éviter tout stress pour l’animal, comme les mouvements brusques — courir par exemple —, ou le bruit (parler trop fort, laisser son chien aboyer) », explique le photographe.

Fermeture temporaire : les avis divergent

Depuis de nombreuses années, les scientifiques s’interrogent sur les perturbations diverses de l’habitat des populations fauniques. Aux quatre coins du monde, les rapports s’enchaînent avec des conclusions différentes.

Dans une étude écossaise - Réponse comportementale du cerf élaphe à l’activité de randonnée : une étude à l’aide de pièges photographiques - publiée le 25 avril 2022, les scientifiques ont trouvé peu de preuves de l’impact de la randonnée le long d’un sentier très populaire, ce qui suggère que les cerfs élaphes sont habitués à la présence humaine.

Même son de cloche en France. Ce rapport de 2017, intitulé « Réponse comportementale face au dérangement dans un espace fortement fréquenté par les randonneurs — Le cas d’une population de chamois dans le massif des Bauges », met en évidence que les chamois ont associé les sentiers au risque de rencontrer un « prédateur » et qu’ils adoptent un comportement en conséquence, calé sur l’activité humaine. L’étude conclut que « rien ne prouve pour l’instant que cette réponse [comportementale] soit énergétiquement défavorable pour les individus et qu’elle puisse avoir des conséquences sur leur capacité à survivre ou à se reproduire ».

Les constats sont plus nuancés aux États-Unis. Dans le rapport de l’étude Réactions des mouflons d’Amérique du désert à l’augmentation des activités récréatives humaines dans le parc national de Canyonlands en Utah, qui compare les réactions comportementales des mouflons à l’activité récréative entre une zone peu fréquentée et une zone très fréquentée, on peut lire que « les randonneurs ont provoqué les réactions les plus sévères (les animaux ont fui dans 61 % des cas), suivis par les véhicules […] et les vététistes […] apparemment parce que les randonneurs étaient plus susceptibles de se trouver dans des endroits imprévisibles et s’approchaient souvent directement des mouflons ». Le rapport recommande alors de confiner les randonneurs et randonneuses aux sentiers désignés pendant l’agnelage au printemps et le rut à l’automne.

Et au Yukon?

En mars 1987, Dan Lindsey publiait, pour le compte du ministère de la Pêche et de la faune du gouvernement du Yukon, une bibliographie annotée comprenant des résumés d’impacts de plusieurs secteurs et des mesures d’atténuation suggérées.

Les activités récréatives, comme la randonnée, le camping, l’alpinisme, la photographie et la chasse, présentent des degrés différents de perturbation en fonction de l’intensité, la durée, le moment et la juxtaposition. Les mesures d’atténuation suggérées à ce moment-là ne mentionnaient pas de fermeture temporaire, mais des dispositions plus drastiques. « Interdire les activités récréatives dans les habitats clés des mouflons […] Fermer les sentiers traversant ou menant à des lichens minéraux […] Interdire le camping à proximité des zones à forte fréquentation », peut-on lire.

Dan Lindsey y mentionnait que d’autres éléments sont également à prendre en compte. Les hélicoptères, les véhicules hors route, les installations linéaires et l’exploitation minière et pétrolière ont par exemple des impacts importants sur le comportement de la faune.

Quelles randonnées reste-t-il au printemps?

Que les randonneurs et randonneuses se rassurent cependant. Même en respectant les demandes de C/TFN, il reste de nombreux endroits à explorer au Yukon. « Ce sont souvent des sorties plus courtes, mais tout aussi intéressantes », confie Meghan Marjanovic, co-fondatrice du site Internet Yukon Hiking, qui recense de nombreuses randonnées au territoire. « Yukon River Loop, Fish Lake, Spirit Canyon, la région de Carmacks sont de bonnes options. Skagway aussi », conclut-elle.

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Photos

Titre : Mouflon-de-Dall_Cr-Charles-Cherrier.jpg

Légende : Une fois installé à plus de 100 mètres, Charles Cherrier laisse les animaux décider des distances : qu’ils s’approchent ou qu’ils s’éloignent, le photographe reste en place et profite du moment touchant dont il est le témoin.

Crédit : Charles Cherrier

  • Nombre de fichiers 3
  • Date de création 19 mai, 2023
  • Dernière mise à jour 17 mai, 2023
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