Plantes médicinales, des savoirs déracinés?

À leur arrivée à l’Île-du-Prince-Édouard, les premiers colons français comptaient sur les plantes médicinales pour se soigner. Les Mi’kmaqs ont notamment partagé avec eux leurs connaissances ancestrales. Si une partie de ces savoirs se sont envolés, la population se retourne aujourd’hui vers les plantes médicinales.

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Marine Ernoult

IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne

 

 

 

Mélisse, thym, bourrache, bergamote, ou encore plantain… Le jardin potager du poste de traite, établi par Jean-Pierre Roma en 1732 à Trois-Rivières, comptait également un grand nombre de plantes médicinales.

Les 300 personnes qui ont vécu dans cet établissement à l’est de l’Île-du-Prince-Édouard jusqu’en 1745 comptaient sur ces herbes pour soigner leurs maux du quotidien.

«Les médecins de l’époque étaient plus des chirurgiens, ils faisaient des amputations, des saignements, ils arrachaient des dents», explique Lise Morin, présidente du conseil d’administration du lieu historique Roma à Trois-Rivières.

«Si les gens avaient besoin de remèdes, ils faisaient plutôt appel à l’apothicaire qui se tournait vers le jardin. C’était sa pharmacopée», poursuit celle qui a donné un atelier sur le sujet au Centre acadien de Prince-Ouest vendredi 9 juin.

Décoctions, sirops, tisanes, fabriqués à partir de fleurs, de racines ou de feuilles, les plantes pouvaient servir sous de multiples formes.

«Effritement» du savoir

La bergamote était utilisée pour soigner les troubles digestifs, la mélisse pour lutter contre les vomissements et les problèmes de peau, le thym pour apaiser les maux de gorge, le plantain pour guérir les affections cutanées et les crises d’asthme.

«La rose apothicaire était également au centre du jardin. On utilisait notamment ses pétales séchés contre la dépression», détaille Lise Morin.

Les colons français avaient ramené certaines de ces herbes d’Europe dans les cales des bateaux. Une fois à l’île, ils ont également découvert les vertus thérapeutiques de sa forêt.

«Les Mi’kmaqs ont partagé leurs connaissances ancestrales avec les Acadiens, c’étaient des alliés», rappelle Lise Morin.

Parmi les plantes médicinales que l’on trouve dans la forêt, elle cite la gomme d’épinette pour soigner les dents, ou encore l’infusion d’écorce de bouleau pour calmer les rhumatismes et les crampes d’estomac.

Près de trois cents plus tard, Alain Cuerrier, ethnobotaniste à l’Université de Montréal, constate un «effritement» de ce savoir parmi les Premières Nations.

«La médecine moderne a dévalorisé les savoirs ancestraux liés à l’usage des plantes. La transmission orale des connaissances ne s’est pas toujours faite», analyse le professeur au département de sciences biologiques.

Naturel, mais pas sans danger

Si la perte des savoirs est avérée, elle ne semble pas définitive. En 2006, Alain Cuerrier a mené une enquête auprès de porteurs de savoirs Cris.

Sur 18 plantes médicinales mentionnées par les Cris, l’ethnobotaniste a retrouvé la trace de quinze d’entre elles dans la littérature scientifique dès la fin du XIXe siècle.

«Et elles apparaissaient pour les mêmes propriétés thérapeutiques. C’est la preuve que les peuples autochtones ont quand même su préserver une partie de leurs connaissances ancestrales» salue le spécialiste.

Alain Cuerrier constate également un regain d’intérêt chez les Autochtones et chez les Canadiens en général. «Je pense qu’avec la crise écologique actuelle il y a une prise de conscience de l’importance de la nature dans nos vies, c’est une vision de faire un avec la nature», affirme-t-il.

Mais l’ethnobotaniste met en garde contre une foi aveugle dans les produits naturels et un rejet total de la médecine moderne : «Ce n’est pas parce que c’est naturel que c’est inoffensif. On doit être prudent.»

«On ne s’invente pas herboriste. Il faut maîtriser les dosages, les interactions avec les autres médicaments, surtout que chaque personne réagit différemment à une plante», conclut-il.

 

 

 

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Photos

 

Lise Morin est présidente du conseil d’administration du lieu historique Roma à Trois-Rivières.  (Photo : Gracieuseté de Lise Morin)

 

Alain Cuerrier est ethnobotaniste à l’Université de Montréal.  (Photo : Gracieuseté)

 

Le petit paradis de Lise Morin est sa maison bien décorée de plantes et de fleurs.  (Photo : Gracieuseté de Lise Morin)

 

Les superbes jardins au lieu historique Roma à Trois-Rivières.  (Photo : Gracieuseté de Lise Morin)

 

 

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  • Date de création 19 juin, 2023
  • Dernière mise à jour 19 juin, 2023
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