Philippe Guidon, à la frontière du risque

Au volant de son camion frigorifique, Philippe Guidon n’a jamais cessé ses activités. Quelque part sur la route en Ontario, le camionneur de l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.) prend un peu de son temps pour raconter son quotidien en pleine pandémie de coronavirus.

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Marine Ernoult

Initiative de journalisme local - APF – Atlantique

Au rythme de 5 000 kilomètres par semaine, Philippe Guidon, propriétaire de Belgo Transport, sillonne sans relâche les routes du Canada et des États-Unis. Quand on l’appelle, le Belgo-Canadien, arrivé il y a six ans à l’Î.-P.-É., vient d’effectuer une livraison de frites dans la région de New-York, où il a chargé du jus d’orange dans son camion pour Toronto, avant d’embarquer de la viande pour l’Île. Un commerce triangulaire nouveau genre.

Le routier de 47 ans se souvient encore du «mouvement de panique» au début de la crise. Il trouvait bien souvent portes closes sur sa route : toilettes, douches, restaurants de relais routiers, «tout se fermait autour de moi». Le gouvernement canadien prend très vite au sérieux l’inquiétude des camionneurs et les reconnaît comme travailleurs essentiels. Les chauffeurs ont alors à nouveau accès à des toilettes et à des points d’eau; les restaurants mettent en place de la vente à emporter.

L’impensable arrive

Philippe Guidon témoigne d’une «grande solidarité» au bord des routes. Il évoque des particuliers lui offrant des boissons et des repas, de nombreuses affiches exprimant  leur soutien. Le Prince-Édouardien d’adoption apprécie particulièrement ce mouvement de sympathie : «Les gens réalisent qu’on est indispensable, car si on ne roule pas, ils n’auront pas de nourriture». Ses clients canadiens changent également de façon leur façon de travailler de façon draconienne. «Je peux rester dans mon habitacle sans avoir de contact physique avec quelqu’un, tout peut se faire par téléphone», souligne le routier.

Le 18 mars, l’impensable se produit : Justin Trudeau annonce la fermeture de la frontière avec les États-Unis. Du jamais vu. Immédiatement, le premier ministre précise que cette mesure n’affectera pas l’approvisionnement en biens essentiels, comme les denrées alimentaires, pour ne pas rompre la chaîne d’approvisionnement. Philippe Guidon est rassuré, mais son inquiétude est ailleurs. Les mesures sanitaires sont beaucoup moins sévères aux États-Unis. Il se souvient encore de la première fois, après l’annonce du premier ministre, où il a franchi la douane pour se rendre à New-York : un douanier américain lui a dit «bonne chance» d’un air désespéré. «Ça m’a refroidi, j’ai pris peur.»

Rien ne change aux États-Unis

De l’autre côté de la frontière, les autoroutes sont ponctuées de panneaux lumineux incitant les Américains à stopper la propagation du virus. Mais dans les faits, presque rien ne change selon Philippe Guidon : «Je vois juste un peu plus de chauffeurs avec des masques.» Dans les entrepôts où il se rend, on lui fait simplement signer un papier attestant qu’il n’est pas malade, «avec le même stylo utilisé par des centaines de routiers avant moi. Ça pas de sens», tempête-t-il. À part des lignes au sol pour marquer l’espacement obligatoire de deux mètres entre chaque personne, «c’est comme si de rien n’était», insiste-t-il. Aux États-Unis, le camionneur se sent uniquement en sécurité dans son camion, dont il désinfecte régulièrement l’habitacle.

Port du masque, lavage des mains, Philippe Guidon respecte scrupuleusement les règles d’hygiène. Car sa grande peur est de ramener le virus à la maison. «C’est angoissant, c’est impossible de savoir si je suis malade, je peux être asymptomatique», s’alarme-t-il. Tous les cinq jours, quand il rentre à l’Île, il se confine chez lui pendant deux jours avant de repartir. «Mes trois filles m’accueillent toujours avec une pointe d’humour : “alors ça va papa, t’as pas la COVID-19?”», raconte le père de famille, un sourire dans la voix.

Incertitudes 

Comment le camionneur envisage-t-il les semaines de travail à venir? «C’est la grosse inconnue. Je dois être prêt à aller aux quatre coins de l’Amérique du Nord.» Certains de ses collègues ont déjà été dépêchés en Colombie-Britannique, au Texas ou en Californie. L’autre crainte du routier, c’est la concurrence accrue. Avec la crise, de nombreux transporteurs se rabattent sur le transport de nourriture, plus rentable que jamais. «Je vais peut-être devoir me battre pour avoir assez de voyages», s’inquiète-t-il.

Arrêter de travailler? Impossible. «Je dois rembourser mes prêts, je n’ai pas le choix, je dois continuer», explique Philippe Guidon qui demeure confiant. En novembre dernier, il a enfin trouvé un chauffeur pour conduire son second camion. Le propriétaire de Belgo Transport espère que sa nouvelle recrue pourra commencer à rouler cet été.

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PHOTO : Philippe Guidon : Depuis le début de la pandémie, le camionneur Philippe Guidon, propriétaire de Belgo Transport, sillonne les routes du Canada et des États-Unis. Tous les cinq jours, il rentre à l'Île et reste confiné deux jours chez lui avant de repartir. Courtoisie

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  • Date de création 24 avril, 2020
  • Dernière mise à jour 27 avril, 2020
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