Pénurie d’infirmières : «Il y a tellement de pression sur leurs épaules»

L’Île-du-Prince-Édouard est confrontée à une crise de la santé sans précédent. Le manque d’infirmières n’a jamais été aussi criant. Régulièrement, les services de soins de longue durée et les urgences ferment aux quatre coins de la province. Pour mieux comprendre les enjeux sur le terrain, La Voix acadienne a interrogé Barbara Brookins, présidente du syndicat des infirmières de l’Île-du-Prince-Édouard.

_______________________

Marine Ernoult

IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne

 

 

 

Barbara Brookins, présidente du syndicat des infirmières de l’Île-du-Prince-Édouard, dresse un constat inquiétant de la situation des infirmières dans la province. Manque de personnel, conditions de travail, elle revient pour La Voix acadienne sur la crise actuelle.

Combien manque-t-il d’infirmières dans la province?

Il y a environ 1150 infirmières dans la province, il en faudrait 300 de plus. Il y a des postes vacants partout, mais les unités de soins de longue durée et de soins intensifs sont les plus affectées.

Beaucoup de services de soins de longue durée ne fonctionnent qu’avec une ou deux infirmières par équipe. Si un poste est vacant, cela peut entraîner l’arrêt de tout un service.

Les urgences sont aussi touchées : celles d’Alberton et de Montague ferment régulièrement, tandis que celles de Charlottetown et de Summerside sont à bout de souffle.

Comment expliquer cette pénurie de personnel infirmier?

Cette pénurie n’est pas apparue du jour au lendemain, mais la situation s’aggrave. L’an dernier, le taux de vacance était de 20 %, cette année, il est de 24 %.

Santé Î.-P.-É. n’a pas anticipé les besoins en personnel et ne parvient plus à garantir l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée des infirmières en poste.

C’est un cercle vicieux. Il y a tellement de positions vacantes que les infirmières sont tout le temps obligées de travailler en horaires décalés, de faire des gardes les fins de semaine, la nuit. Elles dépassent le nombre d’heures stipulé dans leur contrat, ne peuvent plus prendre leurs congés.

Résultat, elles quittent le système ou prennent un poste à temps partiel, uniquement de jour et sans week-end. Et cela participe à la pénurie de personnel.

Actuellement, environ la moitié des infirmières travaille à temps plein et l’autre à temps partiel. Pour que le système fonctionne correctement, il faudrait que la proportion à temps partiel soit seulement de 30 %.

Par ailleurs, l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard ne forme pas assez d’infirmières. Il existe un programme normal de quatre ans, et un autre, accéléré, de deux ans. Presque cent infirmières en sortent diplômées chaque année.

Malheureusement, un grand pourcentage ne reste pas dans la province parce qu’elles ne sont pas originaires d’ici. Une fois le programme terminé, elles rentrent chez elles. Santé Î.-P.-É. doit compter sur les diplômées des autres provinces de l’Atlantique. Mais il ne parvient pas à en recruter assez.

Quelles sont les conséquences sur la santé mentale des infirmières en poste?

Les impacts sont énormes, il y a tellement de pression sur leurs épaules. On leur demande constamment d’en faire plus, d’effectuer des gardes supplémentaires. Elles finissent par culpabiliser, car elles ne peuvent pas tout faire. Elles ont aussi une famille et doivent trouver un équilibre.

Certaines d’entre elles pleurent littéralement de fatigue et de frustration en arrivant à leur poste. Elles savent qu’il va manquer une ou deux infirmières pendant la garde, ce qui veut dire qu’elles ne pourront pas prendre de pause, ou même aller aux toilettes.

Comment réussir à attirer et surtout à retenir de nouveaux soignants?

C’est un long processus qui ne va pas se faire du jour au lendemain. Santé Î.-P.-É. doit redonner confiance aux infirmières.

Nous venons de négocier une nouvelle entente de quatre ans. L’accord prévoit notamment des augmentations de salaire et de nouvelles incitations financières pour le travail de fin de semaine et de nuit, de même qu’une prime pour les postes à temps plein. Nous espérons que cela va améliorer la situation, ou du moins y mettre un baume.

Mais l’argent ne suffit pas. Ce n’est pas normal qu’une personne à temps partiel ait plus de facilité pour avoir ses congés ou même ses fins de semaine. Celles qui travaillent à temps plein devraient obtenir leurs vacances en priorité.

Le problème, c’est que le même genre de mesures est proposé partout au pays. La Nouvelle-Écosse voisine est un précurseur au niveau national, avec des formations gratuites et des incitatifs pour favoriser les installations en milieu rural. Le gouvernement de l’île s’en inspire, sans avoir vraiment de plan très clair.

Le gouvernement a annoncé un programme inédit pour faciliter l’embauche des infirmières formées dans certains pays étrangers, qu’en pensez-vous?

C’est un outil parmi d’autres qui peut nous aider. Mais il faut faire attention, car certaines infirmières internationales ont besoin de soutien pour adopter les pratiques médicales canadiennes. Les médicaments et procédures d’intervention peuvent être très différents de leur pays d’origine.

Il leur faut des mentors à qui ça peut demander beaucoup de travail. C’est une responsabilité supplémentaire. Nous venons d’obtenir une indemnité de mentorat pour ces infirmières qui encadrent les nouveaux membres du personnel.

Est-ce que vous vous sentez écoutées par le gouvernement?

Nous ne savons pas vraiment vers qui nous tourner, car nous ne comprenons pas qui prend les décisions. Santé Î.-P.-É. est censé être notre employeur. Les ressources humaines, que ce soit le recrutement, la rétention ou la négociation des conventions collectives, sont supposées être de son ressort.

Mais le ministère de la Santé semble avoir beaucoup de contrôle sur la façon dont les choses sont faites. C’est un peu comme s’il disposait d’une autre source d’argent qu’il peut utiliser, car le recrutement est aussi de son ressort. Cette gestion morcelée constitue une grande partie du problème.

 

 

 

-30-

 

 

 

Photos

Pour la première fois en quatre ans, plus de 1 000 infirmières se sont réunies en personne dans la capitale de l’Île-du-Prince-Édouard, du 5 au 9 juin, à l’occasion du congrès biennal de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et d’infirmiers (FCSII).  (Photo : Facebook de Canadian Federation of Nurses Unions)

 

Barbara Brookins est présidente du syndicat des infirmières de l’Île-du-Prince-Édouard.  (Photo : Gracieuseté)

 

  • Nombre de fichiers 3
  • Date de création 26 juin, 2023
  • Dernière mise à jour 26 juin, 2023
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article