Pénurie de main-d'œuvre: mieux reconnaître les compétences acquises à l’étranger

ÉMILIE GOUGEON-PELLETIER

Initiative de journalisme local — Le Droit

Dans leur pays d’origine, ils ont acquis les compétences nécessaires pour pratiquer le métier de leurs rêves et ils veulent s’installer en Ontario pour l’exercer. Pas si vite: de nombreux obstacles s’imposent pour reconnaître ces aptitudes. Il faut «une plus grande flexibilité», implorent-ils.

En Chine, Jenny Xing a étudié la médecine, plus particulièrement l'anesthésiologie, pendant plus de dix ans, avant de pratiquer ce métier durant une période presque aussi longue.

Lorsqu’elle s’est installée à Ottawa, elle a rapidement réalisé que malgré ses deux décennies de compétences acquises, elle n’aurait plus jamais l’opportunité d’exercer ce métier.

Les obstacles étaient tout simplement trop nombreux, nous raconte-t-elle, au bout du fil. 

«Quand je suis venue au Canada, j’ai compris que ça prendrait beaucoup trop de temps avant d’obtenir la reconnaissance de mes titres de compétences en tant que médecin. Le temps et l’énergie que ça aurait pris, c’était trop pour moi. Je ne suis plus toute jeune, et si j’avais voulu avoir un emploi dans un hôpital, il aurait aussi possiblement fallu que je déménage dans une petite ville. Mais à ce moment-là, j’ai pensé à mon fils, qui poursuivait ses études dans la grande ville. J’ai abandonné l’idée.»

Jenny Xing a fini par se tourner vers le domaine de l’acupuncture, et c’est le métier qu’elle exerce aujourd’hui.

Ses études en acupuncture lui auront pris trois ans, soit beaucoup moins que le temps que ça lui aurait pris pour faire reconnaître ses acquis en anesthésiologie, soutient-elle.

Jenny Xing assure que si on lui avait offert «une plus grande flexibilité» face à la reconnaissance de ses compétences acquises à l’étranger, et si on l’avait mieux appuyée pour poursuivre sa lancée, elle l’aurait fait.

Des histoires comme celle-là, Joumana Azzi en connaît beaucoup trop.

Elle est gestionnaire de programme en emploi au Centre de services communautaires de Vanier depuis 2001.

«Je vous donne un exemple. Le Carrefour de pédiatrie sociale de Vanier cherche une infirmière praticienne depuis plus de six mois, et il n’y en a pas. Moi je n’en reviens pas que dans une région comme Vanier où on a un programme qui travaille avec les jeunes vulnérables, on n’arrive pas à combler ce poste pour aider la communauté. Il y a une pénurie de personnel, et nous avons plein de personnes formées à l’étranger qui ont les diplômes [nécessaires] pour le faire.»

Elle songe aussi à cet homme originaire d’Haïti, un pédiatre, qu’elle avait rencontré au Centre. 

«Après plusieurs essais, il a réussi à travailler dans le domaine médical, mais pas comme pédiatre. Il a étudié une autre branche et s’est contenté de ça, parce que ça lui coûtait trop de recommencer ses études à zéro, les processus des ordres professionnels sont trop longs et compliqués.»

Du chemin à faire 

Joumana Azzi admet néanmoins que les choses ont changé, depuis 1995. 

À l’époque, son propre frère venait tout juste de terminer ses études en médecine, en français, au Liban - leur pays d’origine.

Elle s’était alors informée auprès de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario, et on lui avait répondu, du tac-au-tac, que son frère allait devoir reprendre l’entièreté de ses études universitaires.

Celui-ci s’était tourné vers les États-Unis, où la seule exigence était de faire un examen à partir de l’ambassade turque. «Il a été accepté dans un hôpital sous la tutelle de l’Université de Yale, où il a poursuivi dans sa spécialité. Maintenant, il est directeur de l’unité de soins intensifs dans un hôpital situé à San Francisco.»

Joumana Azzi souligne que beaucoup de progrès ont été faits depuis, mais qu’il reste encore du chemin à faire. 

Projet de loi 6

C’est exactement pour cette raison que la députée d’Ottawa-Vanier, Lucille Collard, a récemment déposé le projet de loi 6, qui édicte la Loi de 2022 sur le Comité consultatif des titres de compétence acquis à l’étranger.

Il s’agit d’une copie conforme du projet de loi qu’elle avait déposé à l’automne 2021, avant qu’il meure au feuilleton en raison des récentes élections provinciales.

L’idée est de créer un comité parlementaire qui se pencherait sur les règles qui régissent la reconnaissance des titres de compétences acquis à l’étranger et qui ferait des recommandations à la province pour améliorer la situation. 

Lorsque la députée a consulté le CSCV au sujet de son projet de loi, Joumana Azzi lui a rappelé l’importance d’être plus flexible dans l’accueil de ceux qui arrivent avec des spécialités et des compétences. 

Lucille Collard explique au Droit que la création d’un tel comité permettrait d’étudier les multiples enjeux, «et ils sont complexes», «pour trouver des façons d'accélérer le processus, et c’est important de les identifier pour avoir une stratégie, une vision et une approche». 

La deuxième lecture du projet de loi de la députée Collard est prévue mercredi, à l’Assemblée législative de l’Ontario.

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  • Date de création 16 août, 2022
  • Dernière mise à jour 16 août, 2022
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