Pas de solution facile au problème des sans-abris à l’approche de l’hiver

La ville est frustrée par un manque d’action de la part du CASSDN

Christian Gammon-Roy

IJL – Réseau.Presse

Tribune : la Voix du Nipissing Ouest

Le Nipissing Ouest est confronté au problème de l’itinérance de plus en plus visible depuis au moins deux ans, avec des campements de tentes apparaissant à divers endroits dans la municipalité. Le problème a atteint un point critique au cours des dernières semaines, provoquant une intervention du directeur général de la ville, Jean-Pierre Barbeau, frustré de recevoir des plaintes sans voir d'effort coordonné pour résoudre le problème. Lors de la réunion du conseil municipal du mardi 7 novembre, M. Barbeau a fait part des nombreuses discussions qu'il a eues sur le sujet, en particulier sur le dernier campement installé dans le parc Lang, le long de la rue Coursol. M. Barbeau a déclaré qu'il n'avait jamais eu à s'occuper de cette question au cours de ses 23 années en tant que DG, mais il a été contraint d'envoyer un courriel ferme au Conseil d'administration des services sociaux du district de Nipissing (CASSDN) pour que cet organisme agisse enfin dans ce dossier qui relève de ses fonctions.

M. Barbeau a indiqué que la ville avait reçu des plaintes de la part de résidents concernant des personnes vivant dans des tentes, une situation qui ne peut pas durer alors que le temps se refroidit. Pour compliquer les choses, le site de Lang's Park est l'endroit où la ville déverse sa neige après le déneigement hivernal. Il serait donc dangereux d’y rester, selon lui.

M. Barbeau cherchait une solution pour que les sans-abris aient un lieu plus sécuritaire où loger, donc il a convoqué plusieurs organismes pour discuter de la question. Selon lui, il serait insensé de procéder à des expulsions uniquement pour que les gens aillent s'installer ailleurs dans des tentes, car cela ne ferait que déplacer le problème. Il espérait que la réunion, qui s'est tenue il y a environ deux semaines, aboutirait à une solution plus humaine.

Un «groupe multidisciplinaire» était rassemblé, avec des représentants du CASSDN, du Centre Alliance, de la Société de logements sans but lucratif de NO, du Centre de santé communautaire, de la police provinciale et de la ville. La réunion a permis de mettre en lumière le fait que tous ces organismes agissent indépendamment mais sans aucune coordination pour s’attaquer au problème des sans-abris.

«J'ai été surpris que l'agence chargée des services sociaux ne soit pas très au courant des chiffres réels que nous connaissons (…). J'ai également été surpris que nous ayons des informations provenant d'une travailleuse de proximité qui est présente tous les mercredis, et que cela soit connu de quelques personnes, mais pas de toutes. Ce qui m'a frappé, c'est le manque de coordination et d'attention systémique accordée au problème,» a déclaré M. Barbeau. «Il y a certaines agences qui s'occupent de certains aspects du problème, et personne ne connaît ces informations,» a-t-il déploré.

M. Barbeau était particulièrement irrité par le CASSDN, qui semble "balayer du revers de la main le Nipissing Ouest,» tout en concentrant ses services à North Bay, malgré les 3,467 millions de dollars que lui paie cette municipalité, selon une facture de février 2023. Comparativement, North Bay paie 13,7 millions de dollars et les neuf autres municipalités qui reçoivent leurs services sociaux du CASSDN paient collectivement 4,7 millions.

Kathleen Thorne Rochon, mairesse de Nipissing Ouest, a expliqué que la ville paie cette somme au CASSDN pour gérer les services sociaux, ce qui est imposé par la province aux petites municipalités. Selon elle, le Nipissing Ouest est sous-représenté au conseil d'administration du CASSDN par rapport à sa taille et sa contribution monétaire. Elle a même soulevé l’idée d'aborder ce déséquilibre auprès du ministère des Services sociaux de l'Ontario. Le Nipissing Ouest n'a qu'un seul représentant au CASSDN, actuellement le conseiller Jamie Restoule, alors que North Bay en a six et les autres municipalités en ont cinq collectivement.

M. Barbeau a admis qu'il avait «un peu brassé la cage, parce que je n'étais pas vraiment impressionné par les réponses que je recevais,» en ajoutant qu'il ne le regrettait pas, car cela avait conduit à d'autres réunions. Le conseiller Restoule a confirmé, remerciant M. Barbeau de son intervention et reconnaissant qu'elle avait suscité une réaction - et de l’action - de la part du CASSDN.

Le CASSDN essaie de répondre à une situation évolutive, selon son président

Mark King, président du conseil d'administration du CASSDN, a été invité à répondre à ces préoccupations et à expliquer pourquoi les solutions tardent alors que l’hiver est à nos portes, transformant le problème en crise. Le CASSDN a lancé un sondage sur l'accessibilité au logement et a annoncé l'ouverture d'un centre de réchauffement à North Bay à la fin du mois d'octobre. Aucun centre de réchauffement n'a été prévu dans le Nipissing Ouest.

«Le Nipissing Ouest n'avait pas de campements avant, et j'en ai pris conscience au cours des deux dernières semaines,» a expliqué M. King. Selon lui, le problème a pris de l'ampleur beaucoup plus rapidement que le CASSDN ne pouvait l'anticiper. Apparemment, il ignorait que l'itinérance visible est une préoccupation croissante au Nipissing Ouest depuis environ deux ans.

M. King a fait remarquer que le CASSDN travaille actuellement à recueillir des données sur le sans-abrisme et l'accessibilité au logement dans la région. «Le fait que nous ne le fassions que maintenant, je suppose que nous aurions pu le faire plus tôt, mais je peux vous dire, de mon point de vue, qu'il s'agit d'une situation qui évolue 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il est extrêmement difficile d'essayer de suivre ce qui se passe dans l'économie,» a-t-il répondu. M. King a également expliqué l'avantage d’avoir des données officielles pour faire pression auprès des gouvernements provincial et fédéral pour mieux financer les services sociaux et les programmes d’aide.

Enfin, M. King a déclaré qu'il souhaitait voir avancer les choses au Nipissing Ouest, mentionnant une réunion imminente avec la mairesse, le directeur général et le conseiller Restoule. Il a fait remarquer que l'ouverture d'un centre de réchauffement à Nipissing Ouest n'est pas aussi simple que de trouver un espace, car il faut aussi du personnel. À North Bay, le CASSDN s'associe à d'autres organismes et il faudrait envisager cette possibilité au Nipissing Ouest. «Nous allons rencontrer la mairesse et le directeur général pour voir, tout d'abord, s'ils ont des idées sur la façon de résoudre ce problème, et il y aura des solutions à court terme, mais les solutions à long terme prennent du temps à mettre en oeuvre,» a-t-il conclu.

M. King s’est également adressé aux élus fédéraux pour qu’ils se mobilisent sur cette question locale, précisant qu'il avait parlé à Anthony Rota à North Bay et lui avait demandé de transmettre un message au député de Nickel Belt, Marc Serré, pour qu'il se penche sur les problèmes de Nipissing Ouest.

Campement du parc Lang

Le campement qui pose actuellement problème est le plus récent, situé dans le parc Lang, le long de la rue Coursol à Sturgeon Falls. Des bénévoles locaux qui ont formé un groupe appelé No More Tears, pour aider les sans-abris, ont cru que la ville allait expulser les occupants des tentes au début du mois, et se sont rendus au site prêts à défendre les sans-abris. Selon Josée Rainville, présidente de No More Tears, le camp existe depuis l'été, mais il a pris de l’ampleur depuis. Il n'y avait qu'une seule tente sur le site jusqu'à ce que, autour du 16 octobre, la police ait dû expulser un campement le long de la voie ferrée près du Centre d'information de Sturgeon Falls, à la demande de CN Rail. Certains des résidents de ce campement se sont rendus au parc Lang.

Le vendredi 3 novembre, M. Barbeau s'est rendu au camp du parc Lang, où il a discuté avec Mme Rainville ainsi qu'avec Elaine Ducharme, qui travaille avec True Self en tant que travailleuse de proximité auprès des sans-abris de Nipissing Ouest depuis plus d'un an. M. Barbeau a pris le temps d'expliquer la position de la municipalité sur le danger que représente le site en hiver, en disant que des travaux étaient en cours pour trouver des solutions alternatives. Il a également pris le temps d'écouter les membres de No More Tears, reconnaissant leur désir sincère d’aider.

«Je respecte évidemment leurs intentions, mais ce que je ne vois toujours pas, c'est une coordination... Ce que je leur ai dit, c'est qu'une seule personne vivant dans la rue, ce n'est pas acceptable à mes yeux. Je ne pense pas que quelqu'un ait rêvé dans leur jeunesse, «oh, je souhaite vivre dans une tente dans la rue Coursol». Je sais que ce n’est pas leur faute. (...) Je crois qu'il nous incombe à tous de travailler ensemble et de fournir à ces individus l'assistance dont ils ont besoin. Et bien que je respecte le fait qu'ils [No More Tears] apportent du réconfort ici localement, je ne pense pas que cela soit suffisant en soi. Ce n’est pas une solution durable. Ce qui est durable, c'est de les faire entrer dans le système qui leur est proposé pour leur apporter l'aide et les soins dont ils ont besoin et qu'ils méritent en tant qu'êtres humains,» a conclu M. Barbeau.

Le DG a précisé qu'il ne se trouvait pas dans le parc pour expulser les personnes qui n'ont pas d'endroit où aller, mais pour trouver une solution à plus long terme. «L'intention était que (...) toutes les parties et les agences de services sociaux tendent la main, se rendent sur place et proposent des alternatives aux occupants de ces tentes,» a-t-il expliqué. Il a également indiqué qu’on leur a proposé un transport vers un refuge à North Bay, mais les personnes ont refusé.

Pour sa part, Mme Rainville a voulu dissiper certaines perceptions erronées concernant son organisme. Selon elle, l'objectif principal du groupe est d'aider les sans-abris à sortir de la rue et à devenir autonomes, tout en leur apportant un soutien dans l'intervalle. Mme Rainville a entendu les plaintes et les rumeurs selon lesquelles son groupe aggrave le problème en favorisant l'itinérance et en aidant les sans-abris à s'installer dans des campements. Elle réfute cette description. Selon elle, une grande partie de leur travail consiste à aider ces personnes à s'y retrouver dans la bureaucratie pour accéder aux services dont elles ont besoin pour sortir de la rue. Dans de nombreux cas, la première étape consiste simplement à acquérir une pièce d'identité gouvernementale. «Entre-temps, il y a un grand écart entre le moment où ils vivent dans une tente et celui où ils trouvent un logement. Nous essayons de combler ce fossé en leur apportant des couvertures chaudes, de la nourriture et tout ce dont ils ont besoin pour survivre jusqu'à ce qu'ils trouvent un logement,» explique Mme Rainville.

Une sans-abri met en garde contre les idées préconçues

L'une des résidentes du campement s’est exprimée au nom du groupe. Tina Mireille Monette, surnommée Mimi, a été élue pour parler au nom des résidents du campement, qu'elle considère comme les siens et pour lesquelles elle se sent responsable. «La plupart d'entre eux ne sont pas drogués. Celui-ci a 67 ans et des problèmes pulmonaires, ces deux-là sont schizophrènes. Nous n'avons pas d'appartement, personne n'est là pour nous aider, quelqu'un doit aider,» a-t-elle déclaré. Elle dit que pour eux, elle est leur «maman ours» et elle refuse de partir tant qu'elle n'aura pas la certitude qu'ils seront pris en charge et en lieu sûr.

Mimi a tenu à réfuter le mythe selon lequel les personnes à la rue ne sont rien d'autre que des toxicomanes. «Peut-être que nous n'avons tout simplement pas les moyens de se payer un appartement,» a-t-elle soutenu, soulignant que la plupart des régimes de revenus fixes sont loin de suffire à couvrir un loyer de nos jours. «Nous avons besoin de plus de gens pour nous aider à mettre fin à cette situation,» a-t-elle imploré, en montrant les tentes. Elle-même est sans abri depuis 2018, expliquant qu'elle ne peut tout simplement pas se trouver un appartement abordable. Elle a reconnu que vivre dans des tentes n'est pas une solution à long terme. «Nous ne voulons pas de ça, nous détestons ça. Chaque nuit, je les entends pleurer parce qu'ils en ont assez, ils ne veulent pas de ça,» a-t-elle insisté. Elle a ajouté que les problèmes de santé mentale et les dépendances ne font pas des sans-abris de mauvaises personnes qui ne méritent pas d'être aidées ou qui ne veulent pas sortir de leur situation.

Des solutions à l’horizon ?

L'expulsion des sans-abri locaux n'est pas seulement considérée comme une solution inadéquate, elle pourrait également s'avérer illégale selon un précédent récemment établi à Waterloo. En janvier, un tribunal a statué que l'expulsion de personnes vivant sur une propriété publique, s'il n'y a pas d'autres possibilités d'hébergement, constitue une violation de l'article 7 de la Charte des droits et libertés. Cette décision pourrait avoir des répercussions dans toute la province. Il n'est pas certain que la disponibilité d'un refuge à North Bay constitue un accès adéquat, mais M. Barbeau a déclaré qu'il examinait cette question.

Certaines idées ont été lancées, comme celle d'amener les sans-abris de Nipissing Ouest directement dans les installations de North Bay. Cependant, le conseiller Kris Rivard s'est inquiété de la disponibilité des places dans ces centres. Personne ne peut prédire si les places se rempliront rapidement cet hiver, laissant certains sans-abris dans le froid. Même Jamie Restoule a déclaré qu'il n'en avait «aucune idée.»

Quant à l'ouverture d’un centre de réchauffement ici même à Sturgeon Falls, l’idée s'accompagne de toute une série de défis, comme l'a fait remarquer M. King. Lors de la réunion au campement du parc Lang, Josée Rainville a expliqué que l'objectif actuel de No More Tears est d'ouvrir un refuge, mais que l'organisme tourne en rond. «Nous avons cherché partout un endroit potentiel où ouvrir un centre de réchauffement ou un refuge pour les sans-abris, mais nous nous sommes heurtés à des refus partout où nous allions,» a-t-elle déclaré. L'espoir était de trouver un lieu avant d'aborder la municipalité pour trouver des moyens de financer le site.

Mme Rainville mentionne que le refuge d'urgence de Sudbury est financé par une subvention fédérale et qu'il suffit à la ville de le doter en personnel. Or, M. King pense que c’est une initiative complexe. «Je peux vous dire que même à North Bay, cela a demandé beaucoup de travail. Tout d'abord, il a fallu trouver un emplacement, puis établir les obligations contractuelles afin de recruter les bonnes personnes pour le faire fonctionner, car on n'entre pas comme ça dans ces centres de réchauffement. C'est un travail difficile,» a-t-il déclaré, ajoutant que le CASSDN sous-traite l’opération de ces installations à d'autres organismes tels que le Crisis Centre North Bay et The Gathering Place.

La conseillère municipale Anne Tessier a demandé si M. Barbeau avait parlé à une représentante du Centre Horizon, un refuge pour femmes, lors de ses entretiens. Il a répondu que cet organisme n’avait pas été convoqué, mais qu'il «pourrait certainement être inclu à l'avenir.» Josée Rainville a aussi recommandé de consulter le Centre Horizon, qui a de l'expérience dans la gestion d'un refuge.

À la fin de la réunion de conseil, la conseillère Tessier a déposé un avis de motion, qui sera débattu à la prochaine réunion, demandant que «le Nipissing Ouest ne puisse expulser aucune personne sans-abri d’un terrain municipal avant qu'un centre de réchauffement ne soit établi.» L'avis mentionne également le travail de No More Tears et plaide en faveur d'un centre d'hébergement. Mme Rainville a déclaré qu'elle avait rédigé cette motion et demandé à Mme Tessier de la présenter. «Elle l'a fait au nom de No More Tears,» a expliqué Mme Rainville, ajoutant que Mme Tessier est aussi une bénévole occasionnelle pour le groupe.

No More Tears cherche également à jouer un rôle plus important. À cette fin, le groupe a entamé le processus pour être reconnu officiellement comme organisme à but non lucratif, ce qui lui permettrait d'obtenir une assurance-responsabilité et d'entreprendre la gestion d'un centre d'hébergement.

Pour l'instant, Mme Rainville est heureuse de voir enfin un peu de progrès sur le front de l'itinérance. «Je suis très agréablement surprise que M. Barbeau ait pris les devants, qu'il nous ait écoutés et qu'il ait essayé de nous aider,» dit-elle. «Je suis heureuse de voir qu'il y a une lumière au bout du tunnel, et je sais qu'elle est là, je la vois.»

Le conseiller Restoule, qui présidait la réunion en tant que maire-adjoint, a clôturé la discussion par des remarques optimistes, affirmant que le CASSDN avait reçu le message et qu'il était motivé à agir.

Légende:

Tina Mireille (Mimi) Monette, personne sans-abri, et Josée Rainville, présidente du groupe No More Tears, au campement des sans-abris dans le parc Lang à Sturgeon Falls le vendredi 3 novembre. Elles y ont rencontré le directeur général de la municipalité, Jean-Pierre Barbeau, accompagné du chef des pompiers de Nipissing Ouest, Frank Loeffen, venus se faire une idée de la situation des sans-abris pour y trouver des pistes de solution.

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  • Date de création 10 novembre, 2023
  • Dernière mise à jour 10 novembre, 2023
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