Pandémie : réflexions de Dre Kami Kandola

« Il s’agissait d’une pandémie et mon objectif premier était de protéger les Ténois ; il n’est pas possible de gérer l’ensemble des impacts. » – Dre Kami Kandola

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Marie-Soleil Desautels

IJL – Réseau.Presse – L’Aquilon

Leçons apprises de la réponse à la pandémie de COVID-19. C’est le titre d’un rapport du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest publié en mars dernier. Il contient 23 recommandations. Par exemple : l’examen du pouvoir de prendre des arrêtés de santé publique pour s’assurer qu’il existe un niveau approprié de responsabilité publique pour les décisions prises pendant une pandémie ; la mise en œuvre obligatoire d’un Système de commandement des interventions coordonné entre tous les ministères et les agences ; l’évaluation en permanence de la charge de travail et de la capacité du personnel afin de s’assurer que des ressources adéquates sont disponibles.

Ces recommandations découlent d’une récolte de données réalisée durant l’été 2022 auprès d’une cinquantaine de fonctionnaires du GTNO, de dirigeants de gouvernements autochtones ou de communautés, ainsi que de l’analyse de sondages en ligne remplis par quelque 550 Ténois.

Selon l’administratrice en chef de la Santé publique, la Dre Kami Kandola, ces recommandations permettront de mieux protéger la population. Médias ténois en a profité pour revenir sur son expérience.

 

Médias ténois : Si l’on pense aux premiers mois de la pandémie, est-ce que la réponse des TNO était la bonne ?

Dre Kami Kandola : Je travaille dans les Territoires du Nord-Ouest depuis près de 20 ans et, durant toutes ces années, j’ai pu observer que lorsqu’une mauvaise grippe ou un virus respiratoire arrive dans une communauté, il est très, très difficile de prévenir la transmission. Il était essentiel de prévenir l’entrée et la transmission du virus pour que nous puissions gagner du temps en attendant la mise au point d’un vaccin. L’intervention la plus réussie, non seulement pour les Territoires du Nord-Ouest, mais aussi pour le Yukon et le Nunavut, a été de déclarer tous ensemble, à la même date, l’état d’urgence sanitaire, avant qu’un seul cas de COVID n’ait été signalé dans les territoires.

Aux TNO, nous n’avons pas eu de transmission communautaire avant aout 2021, soit près d’un an et demi après le début de la pandémie. Et, à ce moment-là, la grande majorité de notre population avait déjà reçu deux doses de vaccin.

 

Qu’auriez-vous fait de différent ?

On ne savait pas grand-chose du virus lorsqu’on a déclaré l’état d’urgence sanitaire en mars 2020. Il y avait beaucoup de choses qui se passaient en même temps et qui dépassaient les capacités des seuls responsables de la santé publique. Il y avait beaucoup de pression sur notre équipe. Ça aurait été utile d’avoir dès le départ un système pour gérer les opérations d’urgence entre les ministères où l’on aurait pu attribuer des tâches à diverses personnes.

La création du Secrétariat de coordination pour la COVID-19, fin aout 2020, a finalement apporté ce soutien et formalisé ce que les ministères faisaient.

S’il y a une autre pandémie, il faudrait mettre en place immédiatement l’équivalent d’un secrétariat interne, sans que ce soit une entité séparée, où chacun a un rôle et où tout le monde travaille en synergie.

 

Le ministère de l’Éducation, de la Culture et de la Formation s’attend à ce que les notes des élèves, les résultats des examens et les taux de diplomation soient inférieurs à ceux d’avant la pandémie à cause, notamment, des perturbations à la suite de la fermeture d’écoles et de l’apprentissage à distance. Pensez-vous néanmoins que c’était la bonne chose à faire ?

Les écoles ont été fermées en vertu des recommandations du Bureau de l’administrateur en chef de la santé publique, mais aussi à cause de décisions des commissions scolaires qui ne découlaient pas de nous. L’impact le plus important s’est produit dans les plus petites communautés autochtones, où les écoles ont été fermées plus longtemps que ce que j’aurais recommandé.

Le variant Omicron s’est mis à dominer aux TNO en décembre 2021 et il était moins grave vu qu’il touchait surtout les voies respiratoires supérieures. La plupart du temps, nous avons alors plaidé pour que les écoles restent ouvertes.

 

Vos décisions ont des impacts sociaux, comment en avez-vous tenu compte ?

Il s’agissait d’une pandémie et mon objectif premier était de protéger les Ténois ; il n’est pas possible de gérer l’ensemble des impacts. Certaines mesures de santé publique ont été prises à l’échelle mondiale. Ce n’est d’ailleurs qu’au cours des cinq premières semaines de la pandémie que nous avons eu un confinement où tout était réduit aux services essentiels.

Après le mois de mai 2020, il n’y a pratiquement jamais eu de période où les gens ne pouvaient pas aller au cinéma, chez le coiffeur ou au restaurant.

 

Quelle est la plus grande difficulté que vous avez rencontrée ?

Pour moi, c’est lié aux données de santé publique : c’est difficile de disposer de l’information et de communiquer les risques. Il serait souhaitable de pouvoir synthétiser l’information très rapidement et en temps réel, sans mettre une pression excessive sur les personnes qui fournissent les services. Il y a une énorme demande de la part du public pour des données à jour.

Une autre difficulté rencontrée touche la population sans-abri. Il était difficile d’y contrôler la transmission. Si aucun moyen n’est trouvé pour fournir à cette population vulnérable un endroit sûr où s’isoler avec des services comme la gestion de la consommation d’alcool, nous aurons les mêmes problèmes lors d’une autre pandémie.

 

Quelle recommandation du rapport doit être mise en place rapidement ?

Certaines des recommandations portent sur la façon dont le gouvernement réagit aux situations d’urgence, qu’il s’agisse d’incendies de forêt ou d’inondations, alors il ne faut pas attendre la prochaine pandémie pour les mettre en œuvre.

Les situations d’urgence nécessitent une réponse intégrée, collaborative et cohérente immédiate de la part du gouvernement et des municipalités pour y faire face.

 

Quelle est la chose la plus importante que vous avez apprise durant la pandémie ?

Il est important de disposer d’une capacité d’intervention rapide et constante tout au long d’une pandémie, mais de nombreuses personnes se sont retrouvées à faire beaucoup d’heures supplémentaires. Plusieurs, et pas seulement aux TNO, mais à travers le Canada, ont vécu un épuisement professionnel. Nous avons perdu beaucoup de personnel. Il est nécessaire d’avoir des rotations entre les employés. Il faut pouvoir maintenir notre capacité d’intervention tout en protégeant la santé et le bienêtre des acteurs qui interviennent de manière soutenue.

 

Vous étiez l’un des acteurs les plus importants, que pensez-vous de cette dernière affirmation pour vous-même ?

Moi, j’ai accepté un mandat, soit celui de protéger la santé et le bienêtre des résidants des Territoires du Nord-Ouest. S’il y a une pandémie et qu’on est en guerre contre un virus, il est important que le porte-parole reste le même pour maintenir le moral, la confiance et la mobilisation. Je savais dans quoi je m’embarquais et c’était mon choix, contrairement à des travailleurs de la santé ou des membres de mon personnel qui ont tout donné sans avoir signé pour autant de responsabilités.

Les propos de Dre Kami Kandola ont été édités à des fins de clarté ou de concision.

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Photos

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Légende : (Photo : Marie-Soleil Desautels – Archives)

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  • Date de création 10 octobre, 2023
  • Dernière mise à jour 10 octobre, 2023
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