Où sont les francophones en politique active?

La réputation engagée et revendicatrice de la Franco-Yukonnie n’est plus à prouver. Or, si cet activisme est bien implanté dans la vie communautaire, il ne se reflète pas tout à fait sur les bulletins de vote des élections fédérales, territoriales ou municipales, sur lesquels les noms francophones sont rarement dans la liste des options. Pourquoi?

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Laurie Trottier

IJL – Réseau.Presse – L’Aurore boréale

 

Au fil des ans, une poignée de francophones ont inscrit leur nom sur une liste électorale municipale, fédérale ou territoriale au Yukon. Le territoire a élu plusieurs politicien·ne·s bilingues, mais très peu parlaient le français en tant que langue première. L’Aurore boréale a creusé la question lors d’une table ronde, en mars dernier.

La politique : pourquoi?

Il existe autant de raisons de se lancer en politique que de volontaires. Jean-Sébastien Blais et Julie Ménard ont tous deux tenté l’expérience lors des élections municipales de 2012 à Whitehorse. « J’étais déjà super impliquée avec la banque alimentaire et la coalition anti-pauvreté, donc plusieurs personnes me l’ont demandé », se remémore Julie Ménard.

Pour ­­Jean-Sébastien Blais, qui était au territoire depuis trois ans à ce moment-là, c’est le mouvement altermondialiste et les contestations face à la mondialisation dans les années 1990 qui ont façonné son intérêt pour la politique active.

Et l’effet boule de neige s’est bel et bien enclenché. « C’est après avoir vu Jean-Sébastien que je me suis lancé! », affirme Philippe Praproptnik, candidat aux élections municipales de 2015. Les trois n’ont pas remporté leurs élections et n’ont jamais retenté le coup. Leur expérience, cela dit, les aura marqué·e·s à jamais.

Une couleur ou une étiquette?

Pendant les élections, Philippe Praproptnik ne s’est jamais senti jugé en raison de son accent français. Le fait que les débats se déroulent exclusivement en anglais a cependant terni son expérience et complexifié sa tâche. Il faut s’y préparer, explique-t-il, avant de tempérer : « Une fois élu, je représente la population, pas seulement les francophones. »

Pour Marguerite Tölgyesi, jeune leader à la tête de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF) et impliquée au sein de plusieurs autres organisations, il ne fait aucun doute qu’il y a une étiquette qui s’appose. « Dès qu’on s’implique, on va être mis dans une boîte de “francophone” […] J’ai eu la discussion avec beaucoup de jeunes, c’est comme si une identité prenait toute la place des autres. On veut changer les choses, pas juste changer les choses dans une sphère de la francophonie », souligne-t-elle.

Pour Jean-Sébastien Blais, c’est plutôt la crainte d’être étiqueté à jamais à un parti politique qui a freiné ses ardeurs envers la politique territoriale ou fédérale. Ainsi, l’actuel président de la Commission scolaire francophone du Yukon (CSFY) se questionne : « Les gens vont-ils voir le candidat du parti ou vont-ils voir le représentant d’une école? »

Jean-Sébastien Blais s’était retrouvé au cœur de la saga judiciaire qui avait fait couler beaucoup d’encre au territoire il y a un peu moins de dix ans. La CSFY s’était rendue jusqu’en Cour suprême du Canada pour obtenir la pleine gestion scolaire de ses institutions, non sans peine. « Après des combats aussi lourds, la communauté est fatiguée et traumatisée d’avoir porté ce combat. Avec le recul, c’est un événement formateur pour nos jeunes parce qu’on peut voir que nos droits linguistiques peuvent être respectés », en retient-il tout de même.

Si Marguerite Tölgyesi ne tourne pas le dos à la possibilité de faire le saut en politique active dans quelques années, elle préfère pour l’instant poursuivre ses engagements avant de devoir choisir un parti politique qui, selon elle, la suivra toute sa carrière.

Des embûches de toutes sortes

Pour Philippe Praproptnik, le fait que les personnes nouvellement arrivées au Yukon ne restent pas forcément longtemps mine la possibilité de les voir s’impliquer. Il rappelle également que les francophones venant de l’extérieur du Canada ne peuvent prendre part à la vie politique sans obtenir certains papiers, ce qui peut prendre plusieurs années. Et il se questionne aussi : est-ce que la francophonie yukonnaise est encore homogène? Selon lui, une personne francophone qui se présente ne signifie pas nécessairement qu’elle le fait pour devenir le porte-flambeau de la langue.

Pour Julie Ménard, il serait peut-être question d’intérêt et de temps : « Je ne sais pas si les gens qui viennent [au Yukon] viennent pour ça. Souvent, ils viennent pour le plein air. Il y a beaucoup de jeunes familles avec de jeunes enfants aussi », suggère-t-elle.

Selon Jean-Sébastien Blais, c’est par une immigration francophone forte qu’on pourrait voir plus de représentation en politique. Pour que les jeunes s’impliquent davantage, il faudrait justement que cette représentation politique se diversifie, selon Marguerite Tölgyesi. « Quand on imagine un politicien, on imagine encore un homme blanc, âgé, avec un manque criant de cheveux », lance celle-ci à la blague.

Une influence autre part

Tous s’entendent pour dire que les Franco-Yukonnais et Franco-Yukonnaises sont nombreux à s’impliquer politiquement, d’une façon ou d’une autre.

Jean-Sébastien Blais rappelle que tout engagement au sein de la communauté est un geste politique. « Moi, quand je regarde la francophonie yukonnaise, qui s’est tellement développée depuis quelques décennies seulement, je me dis que la communauté et ses membres ont été de très fins politiciens qui ont pu influencer l’ordre du jour du territoire.  »

À cette heure, tant le Parti libéral du Yukon que le Nouveau Parti démocratique ont des député·e·s bilingues au sein de leur parti. Cette appréciation du bilinguisme doit continuer de s’étendre à toutes les sphères de la politique, selon la présidente de la FJCF.

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Photos

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Légende : Selon Philippe Praproptnik, Jean-Sébastien Blais et Marguerite Tölgyesi, présent·e·s à la table ronde, le fait francophone est loin d’être caché au territoire. On a vu des gains importants au Yukon ces dernières années, notamment avec les nominations d’Edith Campbell — première femme juge de la Cour suprême du Yukon et première à pouvoir s’exprimer dans les deux langues officielles du Canada — et d’Angélique Bernard au poste de commissaire du Yukon.

Photo : Maryne Dumaine

Titre : Vote.jpg

Photo : Pixabay

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  • Date de création 30 juin, 2023
  • Dernière mise à jour 24 juin, 2023
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