«On doit arrêter de construire en bord de mer»

Le passage de la tempête Fiona, qui a ravagé les côtes de l’Île-du-Prince-Édouard, interroge notre manière d’habiter le littoral.  Les Insulaires qui habitent en bord de mer sont plus que jamais menacés par l’érosion et les changements climatiques.

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Marine Ernoult

IJL – Réseau.Presse – La Voix acadienne

 

 

 

Il y a près de trois semaines, la tempête tropicale Fiona frappait de plein fouet les côtes de l’Île-du-Prince-Édouard.  Des rafales de vent enregistrées à près de 150 km/h, des précipitations de plus de 100 mm, et une onde de tempête de un à deux mètres autour de l’île, ont provoqué des dégâts historiques.

Certains chalets, installés au bord de l’eau, ont été gravement endommagés.  D’autres ont été déplacés de plusieurs centaines de mètres.  Des amarres ont été brisées et des quais déchiquetés.  Les dunes du Parc national ont reculé de trois à dix mètres à certains endroits.  Des fils et des poteaux électriques à terre ont privé des dizaines de milliers d’insulaires d’électricité.

«Avec ce genre d’événements climatiques extrêmes de plus en plus fréquents et intenses, les zones côtières sont de plus en plus à risque», affirme Denis Gilbert, océanographe, physicien, nouvellement retraité de Pêches et Océans Canada.  Déjà, en 2019, la tempête Dorian s’était abattue sur l’Î.-P.-É. avec des vents à plus de 120 km/h et des pluies de 135 mm dans certaines zones.

Hausse inéluctable

En plus de ces événements extrêmes, le niveau de la mer monte sous l’effet du réchauffement de la surface de l’océan, grignotant sans relâche les falaises de grès rouge.  Autrement dit, le littoral de l’île ne cesse de reculer sous l’effet conjugué de tous les dérèglements climatiques.

Denis Gilbert explique que selon les dernières projections du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le niveau de l’océan montera à l’échelle de la planète de 60 centimètres à 1 mètre en 2100 par rapport à 1900.  «Ce sera encore pire à l’Î.-P.-É., à cause de la croûte terrestre qui s’y enfonce légèrement», alerte le chercheur.

Cette montée du niveau marin est inéluctable.  «L’évolution à court terme dépend peu de nos émissions de gaz à effet de serre actuelles.  En revanche, à l’horizon 2100, ces émissions peuvent en changer considérablement l’amplitude», précise Denis Gilbert.  À plus long terme encore (trois siècles), un scénario à 4 °C en 2100 pourrait aboutir à une hausse de plusieurs mètres.

Difficile acceptation sociale

«Ça fait des décennies que les scientifiques le disent : avec la montée des eaux, on doit arrêter de construire en bord de mer si l’on veut des bâtiments qui durent», insiste l’océanographe.

«Les politiques doivent prendre des mesures pour empêcher toute nouvelle construction, en changeant les schémas d’aménagement du territoire, et en revoyant les zonages», poursuit-il.

Denis Gilbert appelle aussi à ne pas reconstruire ou réparer les maisons détruites ou fortement endommagées en bord de mer.  «Si on donne de l’argent pour ça, on envoie le mauvais message.  Il vaut mieux indemniser les propriétaires pour qu’ils reconstruisent ailleurs, loin de l’eau», considère-t-il.

Un défi alors que l’attrait des bords de mer n’a jamais été aussi fort au sein de la population.  «Je sais que c’est difficile à faire accepter socialement, mais il est plus qu’urgent de poser des gestes concrets, de changer les lois, estime Denis Gilbert.  Financièrement, on ne va plus pouvoir se permettre de reconstruire à l’identique nos infrastructures dans les décennies à venir.»

 

 

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Photos

 

Sur cette photo, on peut voir où l’un des chalets était avant la tempête de Fiona, encore dans un bon coin à St. Philippe. (Photo : Marcia Enman)

 

Voici un exemple d’un chalet qui s’est déplacé de sur son lot au bord de la mer à St. Philippe. Même si les chalets étaient assez loin du bord de la mer, c’est incroyable comme l’eau est montée pour faire les dégâts. (Photo : Marcia Enman)

 

Denis Gilbert est océanographe physicien, nouvellement retraité de Pêches et Océans Canada.  (Photo : Gracieuseté)

 

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  • Date de création 14 octobre, 2022
  • Dernière mise à jour 14 octobre, 2022
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