Nos rêves de confinés
Les rêves des habitants de l’Île-du-Prince-Édouard sont plus que jamais influencés par la pandémie de coronavirus et le stress du confinement. Les changements dans les habitudes de sommeil et le tourbillon d'émotions amènent les confinés à faire des songes étranges, voire des cauchemars. Les explications d’une chercheuse sur le sommeil.
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Marine Ernoult
Initiative de journalisme local - APF – Atlantique
«J’étais en train de faire du pain, mais ça a déraillé d'une manière que je ne peux même pas expliquer… Il y avait un pain massif qui dépassait d’un espèce de hachoir à viande antique. La machine essayait de le griller, mais il ressortait noir charbon. Il était aussi à moitié dévoré, comme si quelque chose avec une très grande bouche avait arraché d'énormes morceaux… J'étais frustrée, ce n'était pas censé se passer comme ça, je voulais juste une miche, c'était foutu. Puis un énorme hibou est apparu et a dévoré le pain. Au même moment, quelque chose a commencé à me grignoter la main.»
Bien sûr, Emmy (le prénom a été modifié) rêvait. Elle fait partie des nombreux habitants de l’Île-du-Prince-Édouard qui expérimentent un nouveau phénomène : les songes de confinés à l’heure de la COVID-19. Selon Claudia Picard-Deland, assistante de recherche au Laboratoire des rêves et cauchemars du Centre d’études avancées en médecine du sommeil de Montréal, des tendances se dessinent parmi les bribes de songes qui nous parviennent : «On note des rêves d’angoisse de contamination, de mort, de maladie, avec la peur du contact physique en toile de fond». Les plus anxieux font des rêves «apocalyptiques».
Mais il ne faut pas dramatiser. «On observe aussi des scénarios festifs, heureux, poursuit la doctorante. Des rêves de fuite, d’ailleurs, dans lesquels se glisse parfois l’ombre d’un sentiment de culpabilité.» Une étude menée par l'Association italienne de médecine du sommeil suggère que les personnes les plus exposées, le personnel soignant, ceux dont les membres de la famille sont malades, sont plus susceptibles de faire des cauchemars en lien avec la pandémie.
Le cerveau en voyage
En 2018, des scientifiques finlandais ont démontré que la tranquillité d'esprit a un effet positif sur les rêves, alors que l’anxiété se traduit par des songes effrayants. L’activité onirique est en effet le reflet des préoccupations et activités pendant la période d’éveil. Dans la sécurité du subconscient, «nous utilisons les rêves pour gérer et réguler nos émotions», détaille Carole Picard-Deland. En ce moment, le stress généré par la pandémie envoie plus que jamais le cerveau en voyage pendant le sommeil.
Le rythme de vie lié au confinement semble propice à l’activité onirique. «Le sommeil paradoxal en fin de nuit favorise les rêves les plus intenses dont on peut se souvenir, révèle la doctorante. Actuellement, les gens se réveillent plus tard et se rappellent donc plus aisément leurs songes.» D’après elle, le sommeil perturbé par des réveils fréquents, liés au manque de fatigue physique et au stress, explique aussi qu’on se remémore plus facilement les rêves. Selon une étude lancée en mars par le Centre de recherche en neurosciences de Lyon (France), la pandémie a provoqué une augmentation de 35% du souvenir des rêves chez les participants. Les répondants signalent par ailleurs 15% de rêves négatifs de plus qu’à l’’habitude.
Scénariser les songes
Certains chercheurs affirment également que les rêveurs confinés, isolés dans un quotidien monotone, pourraient souffrir d’un manque d’inspiration, forçant leur subconscient à utiliser des souvenirs plus anciens. «C’est une possibilité», souligne Carole Picard-Deland. Mais à ses yeux, «nos vies personnelles, complètement chamboulées, donnent assez de matière pour rêver». Mais elle reconnaît que si le confinement se prolonge, «nous pourrions être amenés à puiser davantage dans notre passé».
Pour ceux qui font des cauchemars récurrents, les techniques de maîtrise des rêves peuvent se révéler utiles. Il s’agit notamment de «scénariser» les songes. La personne peut les écrire et les répéter avant de se coucher pour leur donner une nouvelle direction et reprendre le contrôle. «On peut également insuffler des thématiques agréables à nos rêves en y pensant volontairement avant de s’endormir», ajoute l’assistante de recherche qui estime que la crise actuelle aura une influence durable sur nos rêves, au-delà de la période de confinement.
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- Date de création 17 avril, 2020
- Dernière mise à jour 17 avril, 2020