Naviguer l’intégration en famille, un nouveau projet au CANAF

Le Centre d’accueil pour nouveaux arrivants francophones (CANAF) a inauguré, lors d'un événement officiel, le 30 mars dernier, son projet dédié à l’intégration des familles noires et immigrantes de Calgary. L'initiative vise à offrir un espace d’écoute où chacun peut partager ses expériences et s’acclimater aux valeurs albertaines, dans l’objectif d’atténuer le choc culturel souvent éprouvé à l’arrivée.
_____________________________

Gabrielle Audet-Michaud

IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO

Le processus d'intégration, loin d'être linéaire, peut être parsemé d'embûches, raconte Andre Nguini, un père de famille d’origine camerounaise établi dans la province albertaine depuis novembre 2023. «En commençant le projet d’immigration, nous sommes conscients que c’est un nouveau départ, que les choses seront forcément différentes. Nous nous sommes préparés à ça. [Néanmoins,] le choc, il est là. Moi, j’ai perdu mes repères», résume-t-il.

Les différences entre le Canada et le Cameroun s’étendent à divers aspects, du climat aux coutumes, mais pour Andre, ce qui s’avère le plus «déstabilisant» réside dans une nuance plus subtile. D’après lui, les interactions sociales sont beaucoup moins prédominantes dans la vie quotidienne des Canadiens que des Africains. «Ici, les gens restent dans leur coin», dit-il.

Et lorsque des échanges surviennent, ils ont tendance à être moins spontanés et chaleureux que ceux dans son pays natal. «Le seul bémol que je mets là-dessus, c’est que nous sommes arrivés au début de l’hiver. Alors peut-être que ça joue sur le côté chaleureux des gens», observe-t-il.

Depuis son arrivée à Calgary, la convivialité de la francophonie et l’organisation régulière d’événements sont vues d’un bon œil par le nouvel arrivant malgré qu’il remarque une certaine tendance au communautarisme qui freine en partie son intégration à la société majoritaire. «J’ai l’impression qu’il y a une séparation franche entre les communautés francophone et anglophone. Petit à petit, j’essaie de rencontrer des anglophones par moi-même, dans le cadre d’activités religieuses», souligne le Camerounais d’origine.

Une question d’interprétation?

Andre demeure prudent. Il précise que ses impressions sont basées sur ses connaissances culturelles actuelles et qu’elles sont appelées à évoluer au fur et à mesure qu'il en apprendra sur les cultures albertaine et canadienne. Le nouveau projet dédié aux familles noires et immigrantes, mis en place par le CANAF, arrive opportunément, ajoute-t-il.

«Ce que j’attends des organismes d’accueil, c’est qu’ils nous aident à comprendre le comportement général et l’état d’esprit des gens d’ici pour que je puisse m’ajuster, vivre un moins grand choc culturel et mieux m’intégrer. C’est précisément l’objectif du projet, alors c’est génial», mentionne-t-il.

Le directeur général du CANAF, Esdras Ngenzi, voit également ce nouveau projet comme une occasion d’aider les nouveaux arrivants francophones à s’initier aux coutumes albertaines. «Il y a des cultures où l’école prend en charge les enfants complètement et les parents ne sont pas impliqués. Ici, c’est totalement différent. Il faut donner ces notions aux nouveaux arrivants pour les rapprocher culturellement de leur société d’accueil», illustre-t-il.

Après tout, ajoute-t-il, le processus d’intégration commence avant par la «création d’une compréhension mutuelle» avec autrui. Aux mains d’ateliers et de discussions formelles, il espère donc rassembler une quarantaine de familles racisées (dont trente familles noires) et quelques familles d’accueil dans les prochains mois. Une première activité a déjà eu lieu avec une dizaine de familles le 30 mars dernier et un processus de recrutement est également en cours pour trouver d’autres participants.

Et si le projet s’adresse avant tout aux adultes, le directeur général entend trouver un moyen d’impliquer les plus jeunes dans les activités en leur permettant, par exemple, de créer du contenu pour les réseaux sociaux à partir des panels de discussion. «Ils pourront être eux-mêmes un relais de sensibilisation. On veut s’assurer que les discussions ne demeurent pas en vase clos», explique-t-il.

En impliquant des familles de la société d’accueil, le dirigeant du CANAF espère aussi sensibiliser les Albertains aux réalités que peuvent rencontrer les nouveaux arrivants, en particulier ceux d’origine racisée. «Les communautés noires ont été identifiées comme un des groupes qui est le plus [enclin] à subir le racisme systémique d’après le gouvernement fédéral. Ces communautés tendent à vivre dans l’isolement ou à rester au sein de leur communauté culturelle», analyse-t-il.

Mission : sensibilisation 

Fritz Cazeneuve, un Franco-Albertain d’origine haïtienne établi à Calgary depuis près de vingt-cinq ans, espère pouvoir accompagner les familles de nouveaux arrivants dans le cadre de ce projet du CANAF. «Ça fait longtemps que je suis ici et je suis bien entouré. J’ai envie de partager mes connaissances avec la nouvelle génération d’immigrants», souligne-t-il.

Bien qu’il n'ait jamais ressenti de discrimination raciale depuis son arrivée en Alberta, ce dernier reconnaît que les personnes noires et racisées peuvent rencontrer des difficultés lorsqu’ils s’installent dans la province. Il a d’ailleurs pris l’habitude d’ouvrir sa porte à tous ceux qui en ont besoin. «J’ai cinq personnes à la maison, des personnes noires, qui avaient de la difficulté à se trouver un logement et à s'intégrer, alors je leur ai dit de venir chez moi jusqu’à tant que leur situation se stabilise», raconte-t-il.

Andre Nguini et sa famille aspirent, quant à eux, à démystifier le racisme systémique et ses ramifications qui peuvent prendre diverses formes, allant des micro-agressions aux préjugés, afin de mieux identifier les comportements inappropriés. Ils ont déjà été confrontés, au cours des derniers mois, à quelques incidents qui les ont incités à la réflexion, mais ils préfèrent éviter de tirer des conclusions hâtives.

«Me faire fixer du regard dans le bus, c’est mal vu dans mon pays. Ça veut dire qu’on me dénigre. Mais ça arrive fréquemment ici. [...] Et d’où je viens, les enfants ont l’habitude de jouer ensemble, alors je ne comprends pas pourquoi des parents retirent leurs enfants lorsque ma fille les approche à la bibliothèque», explique-t-il.

En donnant la parole aux familles immigrantes, le CANAF espère en apprendre davantage sur les formes de racisme qui peuvent être vécues à l’arrivée au pays et permettre aux nouveaux arrivants de partager leurs ressentis en toute sécurité.

«Ils pourront parler de leurs défis, échanger sur le racisme. On espère parallèlement que ça permettra de faire une réflexion sur l’Alberta comme société d’accueil et de voir comment on peut être plus accueillants», conclut Esdras Ngenzi.

  • Nombre de fichiers 4
  • Date de création 19 avril, 2024
  • Dernière mise à jour 19 avril, 2024
error: Contenu protégé, veuillez télécharger l\'article