Malgré une forte opposition, le conseil municipal persiste sur la réglementation des logements de location à court terme

Isabel Mosseler

IJL – Réseau.Presse - Tribune : la Voix du Nipissing Ouest

Malgré la réception d'une pétition avec plus de 750 signatures d’opposants, le conseil municipal de Nipissing Ouest a adopté, lors de sa réunion ordinaire du 2 avril, un arrêté controversé visant à réglementer les logements de location à court terme (LLCT) dans la municipalité. Frustré, l'initiateur de la pétition, Roch Pellerin de Verner, lui-même propriétaire d'un LLCT, a déclaré dans une vidéo en ligne qu’il continue de recueillir des signatures et que sa pétition compte maintenant plus de 1000 signataires. Il vise à atteindre 4000 signatures, dans l'espoir de convaincre le conseil à revenir sur sa décision.

Certains des pétitionnaires ont assisté à la réunion du 2 avril dans l'espoir de se faire entendre, mais la procédure ne permet de discuter d'une pétition que lors de la réunion suivant celle où elle a été reçue. Après plusieurs irruptions dans la salle, l’auditoire a été avertie que le conseil ne tolérerait pas d’interruption.

L’arrêté avait fait l’objet de longues délibérations lors de la précédente réunion du conseil, puis des amendements avaient été apportés de manière à satisfaire à une majorité du conseil (voir l'article dans la Tribune du 27 mars). Le conseiller Jérôme Courchesne avait fait part de ses inquiétudes lors de cette discussion et, le 2 avril, il n'était toujours pas favorable au règlement tel que rédigé. Il a demandé au conseil d'attendre jusqu'en septembre 2024 pour passer au vote, citant de nouvelles informations reçues via «beaucoup d'appels téléphoniques, de bonnes conversations, de textos, de messages Facebook, de courriels (...). Je ne serais pas prêt à voter ce soir parce que (...) cela va avoir un impact important, positif ou négatif, sur les gens.»

M. Courchesne a fait remarquer que de nombreux LLTC sont déjà réservés pour la saison et qu'un report permettrait de procéder à une dernière série de consultations publiques. «Nous avons travaillé dur ces derniers mois pour élaborer un arrêté et je pense que nous sommes tous d'accord avec le texte final (...), mais il suffit de le repousser un peu pour donner à nos résidents plus de temps pour s'adapter à ce qui s'en vient (...). 2024 pourrait devenir une année de transition où (…) nous recevons des commentaires, nous finalisons le règlement et nous mettons tout en place (...). Si, pour une raison ou une autre, une personne ne remplit pas les conditions requises ou n'a pas de permis, alors qu'elle a déjà des réservations pour la moitié de l'été, cette personne est en fait responsable de 50 % des frais (...). Je n'étais pas au courant de cela il y a un mois,» a-t-il affirmé. Le conseiller Fernand Pellerin a appuyé la recommandation de M. Courchesne, comme il l'avait fait lors de la réunion précédente.

Le conseiller Jamie Restoule a rétorqué qu'il n'était pas nécessaire de procéder à d'autres consultations. «Je pense que nous en avons fait assez (...) Nous avons un sous-comité qui a pris en compte tous les commentaires qui ont été faits (...), nous en avons parlé. (...) Nous avons pris la majorité de la [dernière] réunion pour passer en revue chaque point et avoir nos propres discussions (...) Cela dure depuis 2021, ça fait trois ans (...), il est temps que nous allions de l'avant,» a-t-il affirmé. Des interjections du public ont interrompu les débats, obligeant la mairesse Kathleen Thorne Rochon à rappeler à l’auditoire que «l’assemblée n’est pas autorisée à parler pendant la réunion.»

Le conseiller Dan Gagné était d'accord avec le conseiller Restoule. «Nous avons procédé à une consultation, une consultation en ligne. Nous avons reçu des commentaires. Nous avons organisé un forum ouvert dans la salle du conseil. Je pense que nous avons déjà suffisamment prolongé ce processus. Les gens ont eu l'occasion de faire savoir leur opinion, d'appeler leur conseiller à maintes reprises, je pense qu'il est temps d'aller de l'avant,» a-t-il déclaré.

Il a toutefois évoqué la possibilité d'apporter de futures modifications à l’arrêté. «Ce n'est pas gravé dans le marbre. Nous pouvons le modifier. S'il y a quelque chose d'important, on peut y revenir,» a assuré M. Gagné.

Le conseiller Pellerin a fait un dernier plaidoyer pour reporter la décision, affirmant que la période de consultation avait été trop restreinte et peu connue. «Je pense qu'elle n’était pas suffisamment annoncée.» Il a fait remarquer que la pétition s’opposant à l’arrêté comptait des centaines de signatures, bien plus que les 59 commentaires recueillis lors de la consultation.

La conseillère Anne Tessier, qui faisait partie du comité spécial chargé d'élaborer l’arrêté, s'est prononcée en faveur d'un report. «Plus j'entends les gens, plus il y a de nouvelles informations (...). Si le règlement était adopté maintenant, ils [les propriétaires de LLCT] pourraient perdre de l'argent cet été (...). Selon moi, lorsque le texte final sera prêt à être adopté, il faudra procéder à une nouvelle consultation afin de s'assurer que tous les enjeux à considérer soient bien pris en compte.»

Le conseil a rejeté la proposition de M. Courchesne voulant reporter la décision, puis il a procédé au vote sur l’arrêt tel que rédigé. Les conseillers Courchesne, Pellerin et Tessier ont voté contre, tandis que les conseillers Gagné, Restoule et Kaitlynn Nicol ont voté en faveur. La mairesse Thorne Rochon a brisé l'égalité des voix. Le conseiller Roch St-Louis était absent et le conseiller Kris Rivard s'est abstenu de participer au débat et au vote, ayant déclaré un conflit d'intérêt.

Il s’est ensuivi une tempête de critiques et même d’accusations contre certains membres du conseil dans les réseaux sociaux. Le conseiller Kris Rivard a été interrogé sur les motifs de sa déclaration de conflit. Dans un entretien avec la Tribune, le conseiller Rivard a expliqué qu’il avait déposé ses documents avant chaque réunion et s'était retiré de toutes les délibérations sur cette question. M. Rivard travaille pour l'Office de protection de la nature de North Bay Mattawa (North Bay Mattawa Conservation Authority). «Je pense qu'il y a un intérêt pécuniaire indirect ou conflit d'intérêts, parce que mon employeur percevrait des droits pour les inspections et permis de systèmes d'égouts. Ce nouveau règlement pourrait donc entrainer des revenus additionnels pour mon employeur. Je ne veux pas risquer ma carrière, qui fait vivre ma famille, pour voter sur un arrêté,» a-t-il expliqué.

Plusieurs tentatives ont été faites pour parler à Roch Pellerin, initiateur de la pétition. Il n'était pas disponible pour la Tribune, mais il a fait des commentaires publics dans des interviews en ligne avec David Lewington, ancien candidat à la mairie de Nipissing Ouest. «Je suis moi-même un propriétaire de logement de location à court terme, ou de Airbnb si vous voulez, et je suis très opposé au règlement que le Conseil et la mairesse mettent en œuvre (...) Cela va nous nuire avec tous ces règlements, y compris 19 pages de restrictions.» Il estime qu'un grand nombre d'entreprises locales en souffriraient, car plusieurs propriétaires songeraient à cesser la location à court terme plutôt que de se soumettre aux règlements, ce qui réduirait les revenus du tourisme. «Quelques restaurants m'ont dit qu'ils étaient sur le point de fermer en raison du prix du loyer, du prix de la nourriture, du prix des impôts, etc,» a-t-il averti.

Messieurs Lewington et Pellerin ont indiqué que la période de consultation n'avait duré que 9 jours et que très peu de personnes en avaient eu connaissance. Or, il leur a fallu bien moins de temps pour recueillir des centaines de signatures en opposition. «J'avais huit jours et je n'en ai pris que six. Je ne voulais pas déranger les gens le Vendredi Saint et le dimanche de Pâques (...) Nous avons mis seulement six jours pour recueillir plus de 850 signatures. À l'heure où nous parlons, nous avons (...) plus de 1000 signatures contre ces règlements (...). J'ai 97 messages dans ma boîte vocale [demandant] «où est-ce que je peux aller signer?» (...) J'ai eu l'impression d’être trahi le 2 avril (...) et ils n'ont même pas mentionné le nombre de signatures sur la pétition. Ils ont seulement mentionné qu'il y avait une pétition et ce n'est qu'à la fin de la réunion qu'ils l'ont présentée très, très rapidement,» de déplorer M. Pellerin.

Il a raconté ce qui le motivait personnellement à agir contre cet arrêté. Handicapé physiquement à la suite d'un accident, M. Pellerin dépend des revenus de son LLCT. Natif de la région, il a fait allusion au risque d’être obligé de vendre sa propriété. «Nous n'abandonnerons pas cette lutte. Je sais que certaines personnes ont déjà retiré leurs annonces et je sais que six d'entre elles ont déjà mis leur propriété à vendre (...). Je fais savoir à tout le monde que nous n'avons pas fini de nous battre. Nous ne laisserons pas tomber cette affaire,» a-t-il insisté.

Le 5 avril, la municipalité a publié un communiqué de presse qui réfute certaines des déclarations faites. «Le 2 avril 2024, après 11 mois de recherche et de consultation, le Conseil municipal a voté en faveur de l’adoption du règlement sur les logements locatifs à court terme. L’objectif du règlement est de protéger la sécurité des résidents et des invités, de gérer les impacts environnementaux et de préserver la disponibilité de logements dans la communauté. Le nouveau règlement comprend des normes liées au maximum d’occupants, aux fosses septiques, à l’atténuation des nuisances et à d’autres exigences en matière de permis telles qu’une couverture d’assurance appropriée. Le règlement n’interdit pas aux entreprises de location à court terme d’exercer leurs activités dans le Nipissing Ouest. Toutefois, les propriétaires doivent désormais obtenir leur permis avant de louer tout ou partie d’un logement résidentiel pour un maximum de 28 jours consécutifs,» précise la ville.

Le mairesse Thorne Rochon est aussi citée dans le communiqué. «Lorsque des opérations commerciales sont menées dans un quartier résidentiel, nous avons la responsabilité de nous assurer qu’elles se font de manière respectueuse et sécuritaire. Nous comprenons que le tourisme et l’hébergement jouent un rôle économique important dans le Nipissing Ouest, et notre intention avec ce règlement est de trouver un équilibre entre l’option de pouvoir fournir un endroit agréable et sécuritaire à visiter, tout en préservant la qualité de vie des résidents.»

La ville souligne aussi que le sujet est à l'étude depuis 2021, initié par le conseil précédent, puis il est devenu une priorité du nouveau conseil, principalement en réponse aux appels de nuisance et aux préoccupations environnementales des citoyens. «Un sondage en ligne a été déployé le 10 octobre 2023 (...). Une consultation publique en personne a eu lieu au Bureau municipal le 19 octobre 2023. (...) Le conseil a formé un comité ad hoc afin d'évaluer le dossier de manière plus approfondie. Le groupe comprenait les conseillères Anne Tessier et Kaitlynn Nicol; Frank Loeffen, chef des pompiers et coordonnateur de la gestion des urgences; la Maire Thorne Rochon; Mélanie Ducharme, greffière municipale et planificatrice; ainsi que Stephan Poulin, Directeur des Services communautaires et du Développement économique. (...) Tout au long de la période de 11 mois, le règlement a été modifié pour refléter les besoins de la collectivité et des recommandations du comité ad hoc,» explique-t-on.

En réponse à la vague de critiques en ligne, la mairesse Thorne Rochon s’indigne. «L'idée que l'on s'en fait est très loin de la vérité. (...) Le conseil municipal et le personnel ont travaillé pendant sept mois (...) Ce projet est en cours depuis longtemps. (...) L'hypothèse selon laquelle les conseillers ne font pas leurs recherches ou ne s'informent pas lorsqu'il s'agit de questions importantes (...) minimise la quantité de travail que les gens consacrent à essayer de faire ce qui est juste.»

Elle fait remarquer que parmi les personnes présentes à la réunion du 2 avril, plusieurs étaient en faveur de l'arrêté, et le conseil aurait essayé de contenter les deux camps. «Je pense que nous prenons tous notre travail très au sérieux (...) Vous ne ferez pas le bonheur de tout le monde et le mieux que vous puissiez faire, c’est d'essayer de prendre des décisions éclairées et équilibrées.»

Elle rappelle aussi le déroulement des évènements, précisant que l’affaire remonte à décembre 2021. «Norm Roberge a soulevé la question au comité de planification urbaine à la suite de plaintes qu'il avait entendues. (...) [Le dossier] est passé par le comité de planification (...) Ce [comité] était composé de Chris Fisher, Denis Sénécal, Dan Roveda, Joanne Savage, Norm Roberge (...) et d'un autre citoyen membre.» Un rapport a été préparé par le personnel et présenté au conseil. Selon Mme Thorne Rochon, une résolution avait été adoptée en mars 2022 pour que le conseil agisse, mais la question a été mise en veilleuse en raison du dysfonctionnement de l’ancien conseil, avant d’être reprise par le nouveau conseil au début de son mandat. «En janvier de l'année dernière, cette question a été identifiée comme l'une des priorités de notre mandat, dont les objectifs ont été adoptés à l'unanimité (...). Le projet a ensuite été soumis au conseil municipal en septembre 2023.»

Quant aux accusations de conflit d'intérêts balancées en ligne à son égard, Mme Thorne Rochon les estime spécieuses. «Malgré le nombre de personnes qui les répètent, à ma connaissance, il n’y a aucune plainte formelle ou demande d'enquête (...) déposée auprès de notre commissaire à l'intégrité. J'ai également été très insistante pour que les membres de mon conseil demandent un avis légal en cas de doute [sur tout conflit d’intérêt], et je m’inclue dans cette responsabilité aussi. J'ai demandé conseil à notre commissaire à l'intégrité avant la réunion du 5 décembre parce qu'un blogueur local avait envoyé un courriel accusatoire. Je me moque qu'il ait écrit cela en ligne (...), il peut dire ce qu'il veut, mais il a écrit une lettre à l'ensemble du conseil pour porter des accusations contre moi et j'ai pensé qu'il était important pour les conseillers d'être assurés que je prenais ces choses au sérieux. J'ai donc demandé l’avis de notre commissaire à l'intégrité et je suis tout à fait à l'aise d’avoir participé à la discussion (...) Je n'ai aucune inquiétude,» de conclure Mme Thorne Rochon.

Photo : Le 11 avril, le site Airbnb montrait 782 sites de location à court terme dans le Nipissing Ouest. Ceux-ci font désormais l’objet d’une nouvelle réglementation adoptée par le conseil municipal le 2 avril.

Source : prise d’écran du site Airbnb.ca

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  • Date de création 13 avril, 2024
  • Dernière mise à jour 13 avril, 2024
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