L’Ordre secret : creuser plus loin dans le passé de l’Ordre de Jacques-Cartier

« La Patente », ça vous dit quelque chose ? Les efforts de la société secrète de l’Ordre de Jacques-Cartier ont été décisifs dans la promotion des intérêts des Canadiens français. Près d’un siècle après sa fondation, son histoire est peu connue du grand public. Le nouveau documentaire de Phil Comeau, L’Ordre secret, compte changer cela.  

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Jean-Philippe Giroux

IJL – Réseau.Presse – Le Courrier de la Nouvelle-Écosse

Le documentaire du cinéaste acadien débute avec une mise en contexte. Phil Comeau relate que son père lui a confié sur son lit de mort quelque chose qu’il a gardé à lui-même toute sa vie : il a fait partie d’une société secrète.

Le réalisateur avait déjà entendu parler de l’Ordre de Jacques-Cartier (la Patente) avant de se lancer dans son nouveau projet documentaire. Toutefois, il n’y avait pas énormément de publications ou d’informations qui circulaient à ce sujet. « Ça m’a vraiment donné le goût d’en connaître un peu plus », mentionne-t-il.

En faisant sa recherche, il a été étonné de découvrir que la Patente avait des « noyaux » partout au pays, dont la première fondée à Vanier, aujourd’hui Ottawa. En fait, dans ses débuts, les regroupements secrets étaient surtout situés dans les régions francophones à l’extérieur du Québec.

Selon les registres des membres, la Patente comptait plus de 72 000 membres aux quatre coins du pays.

Sur le territoire de la Nouvelle-Écosse, les membres commandeurs des sept cellules, aussi nommé commanderies, ont œuvré à la Pointe-de-l’Église (35), Chéticamp (33), Sydney/New Waterford (19), Ile-Madame (15), Pubnico/Yarmouth (11), Halifax (10) et Saint-Joseph-du-Moine (3), pour un total de 126.

En cours de route, M. Comeau a découvert que son père, Julius Comeau, était également officier et cérémoniaire de sa cellule, à la Pointe-de-l’Église.

D’une certaine manière, la révélation de son père n'était pas une surprise totale, car il s’agissait d’un homme pleinement dévoué à l’épanouissement des associations acadiennes, entre autres le Festival acadien de Clare.

« C’est un homme qui a beaucoup travaillé pour son monde, précise M. Comeau. Je suis fier d’avoir hérité de sa philosophie. »

Remonter dans le temps

Le cinéaste voulait, dans un premier temps, comprendre davantage le fonctionnement de la Patente. Le documentaire inclut une reconstitution théâtrale de la cérémonie d’initiation des jeunes adultes. Pour ce faire, M. Comeau a consulté le livret de l’ordre qui détaille chacune des étapes d'initiation.

Cette reconstitution témoigne de l’importance de l'identité collective chez les jeunes durant la période où l’Ordre opérait. M. Comeau veut ainsi montrer à la jeunesse d’aujourd’hui ce que les anciennes générations ont accompli pour protéger leur identité culturelle et linguistique.

Dans un deuxième temps, il était curieux de savoir si une telle société pourrait exister de nos jours pour promouvoir les intérêts des francophones, notamment la préservation des circonscriptions acadiennes en Nouvelle-Écosse.

« L’Ordre de Jacques-Cartier serait intéressant dans des situations comme ça, mais je ne sais pas si ça marcherait aujourd’hui parce qu’avec Internet et toute la communication, c’est presque impossible de conserver des secrets. »

La discrétion était une valeur fondamentale de cette société secrète. Même 57 ans après sa dissolution, certains anciens membres de l’Ordre demeurent fidèles au serment qu’ils ont prêté.

M. Comeau l’a constaté assez rapidement en réalisant son documentaire. Quelques commandeurs étaient réticents à se faire filmer ou à parler, même si toutes les informations sur la Patente sont maintenant publiques.

Le rôle de la femme

Son nouveau projet met en lumière de multiples témoignages d’anciens commandeurs ainsi que des proches qui ont contribué au mouvement souterrain, dont les femmes des membres.

M. Comeau aurait trouvé drôle de réaliser un film sur un mouvement uniquement composé d’hommes sans mettre l’accent sur le rôle de la femme au sein du mouvement.

« Ce sont les femmes qui ont fait durer l’Acadie, dit-il. Jusqu’à récemment, ce sont les femmes qui éduquaient et élevaient les enfants. Leur influence à l’époque de l’Ordre de Jacques-Cartier est énorme. »

L’Ordre secret sera bientôt projeté en Nouvelle-Écosse. Il y aura une première à la Baie Sainte-Marie. La date de l’événement n’a pas encore été confirmée.

Reconnaissance de la France

Avant la première mondiale du documentaire, à Moncton, le Consul général de France dans les Provinces atlantiques, Johan Schitterer, a remis à Phil Comeau les insignes d’Officier de l’Ordre des arts et des lettres de la France, devant une foule de 800 spectateurs.

Notons que le cinéaste a été nommé Chevalier de l'Ordre des arts et des lettres en 2006.

M. Comeau dit qu’il est très touché de voir la France reconnaître son travail, notamment ses deux œuvres filmées en France, Belle-Île-en-Mer, île bretonne et acadienne (2016) et Belle-Île en Acadie (2019), qui s’est mérité 451 prix, dont 16 gagnés en France, fracassant le record Guinness.

« Ça fait extrêmement plaisir parce qu’il n’y a pas beaucoup de cinéastes qui sont Officiers de l’Ordre des arts et des lettres », mentionne-t-il. Effectivement, M. Comeau est le troisième Canadien à recevoir cette distinction et le premier Acadien à être décoré.

M. Comeau a aussi gagné le Prix littéraire France-Acadie 2015 pour son livre L'Acadie, hier et aujourd'hui, lui donnant davantage de visibilité en France.

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  • Date de création 6 décembre, 2022
  • Dernière mise à jour 6 décembre, 2022
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