L’Ontario avait déjà dit «oui» à l’Université de Sudbury

Le gouvernement Ford avait déjà donné son sceau d’approbation au projet de l’Université de Sudbury, avant de finalement refuser son financement, près d’un an plus tard.

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Émilie Gougeon-Pelletier

IJL – Réseau.Presse – Le Droit

En août 2022, le recteur de l’Université de Sudbury (UdeS), Serge Miville, a envoyé au gouvernement ontarien sa première demande de financement pour la création du projet d’une université «par et pour» les francophones à Sudbury.

La ministre des Collèges et Universités Jill Dunlop avait alors donné son appui à cette demande, apprend-on dans une note interne du ministère que Le Droit a obtenue en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et à la vie privée.

Puisque la demande avait été formulée dans le cadre d’un programme provincial-fédéral qui permet le financement de projets d’enseignement postsecondaire des langues minoritaires, le ministère l’avait ensuite transférée au gouvernement fédéral pour qu’il l’étudie à son tour, selon la note interne.

Serge Miville demandait alors près de 2,8 millions de dollars sur deux ans, soit 1,5 million de dollars pour la première année (2021-22), et 745 000 dollars pour l’année suivante (2022-23).

Retrait de la demande

Peu après, le recteur Miville a retiré sa demande, sans savoir que la ministre lui avait déjà dit «oui», dit-il.

Il indiquait alors «qu’il la soumettrait à nouveau pour obtenir un financement plus important», peut-on lire dans la note.

En février 2023, soit cinq mois plus tard, Serge Miville déposait une seconde version de la demande de financement pour le projet.

Cette fois-ci, l’administration demandait un peu plus de 6,2 millions de dollars, soit 933 000 dollars pour 2022-2023, et 5,3 millions de dollars pour l’année d’après.

Entre le premier et le deuxième dépôt du projet auprès de la province, l’Université de Sudbury était en train de développer son plan d’affaires et voulait s’assurer que sa demande de financement corresponde à ce plan, explique Serge Miville.

«Moi, j’ai juste suivi les conseils du ministère, qui m’avait suggéré de soumettre une demande autour du mois d’août et de la retravailler plus tard lorsque le plan d’affaires serait prêt», avance le recteur.

Ce plan d’affaires, il a été produit grâce à un financement de 1,9 million de dollars du gouvernement fédéral, octroyé en avril 2022.

L’argent devait aussi aider l’université à se préparer pour l’analyse imminente de la Commission d’évaluation de la qualité de l’éducation postsecondaire (CEQEP/PEQAB).

C’est d’ailleurs la province qui avait demandé à Ottawa d’offrir cette aide financière à l’UdeS, après avoir mandaté la CEQEP/PEQAB de l’analyse du projet d’université indépendante francophone à Sudbury.

«Avoir su»

Le recteur de l’UdeS soutient qu’«avoir su» que la ministre Dunlop avait déjà approuvé le projet, et qu’il avait même été envoyé à Ottawa, il n’aurait jamais tenté de modifier sa demande.

Près d’un an après avoir initialement dit «oui» au projet, le gouvernement Ford a annoncé, le 30 juin 2023, qu’il ne financerait finalement pas l’UdeS.

La proposition de l’établissement «ne correspond pas à la demande actuelle et aux tendances relatives aux inscriptions, ni à la capacité actuelle des établissements post-secondaires existants à offrir une programmation en langue française dans le Grand Sudbury et aux quatre coins de l’Ontario», avait alors expliqué le sous-ministre adjoint aux Collèges et Universités, Denys Giguère.

Jusque-là, «la seule rétroaction qu’on obtenait par rapport au plan d’affaires était extrêmement élogieuse», avait réagi avec étonnement Serge Miville.

Un haut fonctionnaire au sein du gouvernement Ford assure que le ministère avait informé l’UdeS que la proposition antérieure avait obtenu l’approbation du gouvernement de l’Ontario et qu’elle avait été soumise au gouvernement fédéral.

Celui-ci rétorque aussi que la province avait informé l’UdeS qu’une nouvelle proposition allait enclencher un nouveau processus de décision.

Messages clés

Dans la note interne que nous avons obtenue, on peut aussi lire les «messages clés» qui ont été communiqués au sein du ministère dans ce dossier.

«La prestation d’une éducation postsecondaire en langue française de haute qualité continue d’être une priorité pour le ministère des Collèges et Universités, et notre gouvernement reconnaît l’importance d’assurer des options d’éducation postsecondaire en langue française de haute qualité en Ontario, en particulier dans le Nord de l’Ontario», lit-on.

Le ministère indique aussi, parmi ses messages clés, qu’avant de rendre une décision finale sur le financement de l’UdeS, il prendra en considération l’analyse de la CEQEP/PEQAB, le plan d’affaires de l’institution, ainsi que l’évaluation du comité d’experts «blue-ribbon», chargé par Jill Dunlop en mars 2023 de se pencher sur les conditions financières du secteur postsecondaire de l’Ontario.

Or, la CEQEP/PEQAB était favorable au financement de l’UdeS, selon son analyse remise au ministère en septembre 2022, dont Le Droit a obtenu copie en vertu à la Loi sur l’accès à l’information et à la vie privée.

Par ailleurs, les conclusions du comité d’experts «blue-ribbon» n’ont été dévoilées qu’en novembre 2023, dans le rapport Harrison, soit quatre mois après que la province eût annoncé son refus de financer l’UdeS.

Et jusqu’à la fin du mois d’octobre 2023, la province n’avait toujours pas reçu le rapport du groupe d’experts, selon ce qu’avait indiqué au Droit un haut fonctionnaire au sein du gouvernement Ford.

«Magouilles»

En omettant de dire à Serge Miville que son projet avait été approuvé, le gouvernement Ford «démontre encore à quel point il aime les magouilles», déplore le porte-parole néo-démocrate aux Affaires francophones, Guy Bourgouin.

Il se dit convaincu que la province «avait déjà son idée de faite, dès le départ», que «la réponse allait toujours être non», et que «Serge Miville s’est fait monter un beau grand bateau».

Le député de Mushkegowuk-Baie James, au nord de la province, indique qu’aux premiers balbutiements du projet de l’Université de Sudbury, peu après que l’Université Laurentienne annonce qu’elle s’était placée sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), le gouvernement ontarien laissait présager de l’espoir pour sa concrétisation.

La ministre des Affaires francophones, Caroline Mulroney, faisait d’ailleurs part d’un grand enthousiasme, en campagne électorale de mai 2022, quant au fait que sa collègue au ministère des Collèges et Universités eût fait appel à la CEQEP/PEQAB.

«On me disait que je n’avais pas besoin de faire trop de pression, puisque les choses allaient bon train», se souvient le député Bourgouin, qui aimerait que la ministre Mulroney s’implique davantage dans ce dossier.

«Mensonge par exclusion»

«Tout ceci me semble plutôt malhonnête», lance le porte-parole libéral en matière d’éducation postsecondaire, Adil Shamji.

«Que ce soit un acte de tromperie ou d’incompétence, l’Université de Sudbury et la communauté francophone méritent tout simplement mieux selon moi qu’un gouvernement qui conseille à une université de modifier une demande qui a déjà été approuvée, sans les en aviser. Ça me semble être un mensonge par exclusion», accuse le député.

«Le gouvernement fédéral doit être furieux actuellement», présume Adil Shamji, en pensant au 1,9 million de dollars qu’Ottawa a versés à l’UdeS, à la demande de l’Ontario, pour soutenir sa démarche vers la concrétisation de son projet, «pour ensuite voir que le matériel a été complètement ignoré».

«Mais c’est la marque de commerce du gouvernement Ford, note-t-il. Il s’attend à ce que le gouvernement fédéral subventionne les responsabilités provinciales, pour ensuite ne pas suivre ses propres engagements.»

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Photos 

 

  • Le gouvernement Ford avait déjà dit «oui» à une demande de financement pour le projet de l'Université de Sudbury. (Archives Le Droit , Patrick Woodbury/Archives Le Droit , Patrick Woodbury)
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  • Date de création 1 février, 2024
  • Dernière mise à jour 1 février, 2024
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